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Entretien

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À La Villette : la concertation à l’épreuve


Entretien avec François Barré, Bernard Tschumi et Élisabeth Philipp
Réalisé par le Collectif La Villette le 28 octobre 1983 à l’Établissement Public du Parc de La Villette.



Collectif La Villette : Pouvez-vous nous préciser quand et où une première partie du Parc sera ouverte aux utilisateurs ?

François Barré [1] : Nous avons présenté le 26 octobre au Président de la République un document présentant les différentes phases de
réalisation : les plantations, les Folies, les activités, etc.

Cela commence en janvier 1984 avec l’ouverture de la salle provisoire de musique populaire. Ensuite en mars 1985, la salle de cinéma hémisphérique et la Grande Halle, puis en mars 1986 l’ouverture du Musée et de 15 hectares du Parc, environ l’équivalent du Parc Montsouris et de 22 hectares en mars 1987, l’équivalent du Luxembourg. En 1988, c’est la fin de la réalisation du Parc. Ces documents indiquent ce que nous souhaitons faire et la volonté de réaliser ce projet (voir plans à suivre).

Contraintes

C.L. V. : Bernard Tschumi [2], l’esquisse que vous avez rendue pour le concours, par définition, n’était pas un produit fini. Comment, en contact régulier avec le site et avec ses aménageurs, a évolué votre point de vue par rapport au programme et à votre rendu ? Dans quel sens a été précisé votre projet ?

Bernard Tschumi : Les contraintes du site sont apparues à notre arrivée,
à la fin du mois de mars 1983. Elles sont de plusieurs ordres : d’abord des constructions qui sont en cours sur le site, essentiellement le Musée, qui est considérable surtout par toute l’emprise que son chantier nécessite, ce qui nous donne un certain nombre de contraintes dans le phasage du Parc. D’autres éléments sont à prendre en considération : la salle provisoire de musique populaire, par exemple : éléments que nous essayons d’intégrer à l’intérieur du Parc, puisque c’était l’une de nos préoccupations lors du concours de pouvoir garder une certaine flexibilité, afin que de nouveaux éléments de programme au fil des années et des générations puissent être intégrés dans le Parc, cela sans nuire à son identité, à sa cohérence telle que
nous l’avions conçue au départ. Beaucoup de travail a été fait : apprendre quelles seraient ces différentes contraintes : permanentes telles que le Musée, la Grande Halle et la future Cité de la Musique, et temporaires dues aux différents chantiers sur le site qui ont un effet considérable sur le phasage du projet et enfin d’autres contraintes que nous commençons seulement à analyser, telles que les contraintes techniques du sous-sol.

Une seule Maison des enfants pour les quartiers environnants

C.L. V. : Sur le programme du Parc, source du concours, ces contraintes ont-elles aussi aujourd’hui une influence ?

B.T. : En ce qui me concerne, pas encore. L’approche suivie dans le concept choisi pour le Parc, était une approche qui permettait une certaine flexibilité programmatique. On pouvait développer faire évoluer le programme au fur et à mesure des besoins : nous n’avons donc pas eu de problèmes particuliers ou fondamentaux en ce qui concerne le programme. Mais peut-être Maître d’ouvrage [3] a un autre point de vue.

F.B. : Cette réflexion continue d’être d’actualité. Nous avons signé avec Tchsumi successivement deux contrats : le premier permet d’agir sur les évènements nécessitant des interventions rapides, notamment la relation avec les maîtrises d’œuvres déjà engagées pour la Grande Halle et pour le Musée [4], qui ont des effets sur le Parc, avec parfois des contraintes de planning qui nécessitaient que le Maître d’œuvre Général du Parc puisse donner des réponses. Ce premier contact permet à Tschumi, sur les abords du Musée, de dire de quelle manière les solutions trouvées par Fainsilber devraient éventuellement être réaménagées pour que les projets Musée et Parc s’harmonisent. Le deuxième contrat est un contrat d’études de définition, qui nous conduit jusqu’au printemps 1984, et crée des contraintes pour le maître d’œuvre, mais aussi pour le maître d’ouvrage. Nous avions fait
jusqu’ici une série de définitions d’activités qui étaient suffisantes pour un programme de concours d’esquisses et qui ne le sont plus, quand on commence à figer un projet. Fin novembre 1983, nous devons rendre au maître d’œuvre des approfondissements de programme sur certains équipements prévus dans le cadre du Parc. Nous essayons de prendre en compte de manière plus fine, les interactions avec le quartier. Je prends un exemple, un de ceux sur lequel nous avons beaucoup réfléchi ces derniers temps : les Maisons des Enfants, il y en a deux dans le programme, et c’est évidemment maintenu [5]. Comment concilier la dimension nationale et la dimension locale ? Gérer un équipement international n’est pas le plus difficile, à condition d’avoir les équipes et les moyens nécessaires. Par contre, la dimension locale dans le cadre d’un équipement de dimension internationale pose des problèmes. Si on fait des Maisons des Enfants comme des équipements ouverts à la totalité des visiteurs enfants du Parc, il n’y a aucune possibilité d’appropriation du lieu par des usagers privilégiés (c’est à dire les enfants du quartier) et aucune possibilité d’activité longue. C’est le premier arrivé qui occupe le lieu, et quand il est plein on ferme.

On s’achemine actuellement vers une définition du programme de Maisons des Enfants dans lequel une des Maisons serait considérée comme une maison de quartier, qui fonctionnerait, en terme de gestion, avec un critère d’admission local, sur un rythme long, avec un nombre limité d’usagers, avec une sorte d’appropriation :on la voudrait comme une vraie maison, en terme d’ambiance, d’espaces… L’autre maison serait un lieu que les enfants traverseraient. cette deuxième maison n’aurait pas de dimension locale, mais celle d’un équipement international, plus spectaculaire, sans appropriation, sans activité longue, sans rituel, etc. et donc sans critère d’admission. La « Maison de La Villette » [6], est un projet qui fonctionne uniquement par rapport à des dimensions locales. Nous réfléchissons à un autre projet : qu’une ou deux Folies n’aient pas d’activités programmées, soient sans affectation, soient des lieux qui puissent correspondre à une demande non programmée, non prévisible, qui serait notamment et principalement une demande d’origine locale ; c’est le refus d’une volonté de rationaliser l’ensemble des activités à travers une programmation. Ce lieu serait ouvert, pour répondre à des demandes spécifiques.

350 à 400 logements, pas plus

C.L. V. : Dans le programme était prévu dans la zone Nord, la possibilité de construire 350 logements sociaux. La Ville de Paris revendiquerait désormais dans son plan d’aménagement de l’Est Parisien, l’implantation de 1000 logements sur le site. L’Établissement Public aura-t-il un droit de regard sur ces attributions ?

F .B. : Nous avons des relations suivies avec la Ville de Paris, pour parler de l’ensemble des relations du site avec le tissu, parisien. Pour parler de la zone Nord, la zone qui sépare le Musée de Corentin Cariou mais aussi des îlots avoisinants, de la zone Ouest des bords de la Darse, des berges du Canal de l’Ourcq et du Canal Saint-Denis, des parkings…

J’ai assisté à toutes ces réunions, je n’ai jamais entendu les représentants
de la Ville de Paris, demander précisément de 1000 logements à La Villette.

C.L. V. : Ils en demandent combien ?

F.B. : Davantage, c’est certain que ce qui a été décidé ; La ,Ville de Paris a vu le programme de concours du Parc, avant qu’il soit publié officiellement. Elle y a même inséré un dossier qui parlait des programmes de la Ville. Elle a connu dès le départ, le texte du programme dans lequel il était question de 350 logements.

La décision sur les logements a été prise par le Président de la République le 26 octobre 1983 : il y aura des logements dans la partie Nord du site, correspondant à une capacité de 350 à 400 logements, et conformément à ce qui avait été admis au moment du concours.

C.L. V. : Il n’y aura donc aucun logement dans la zone Sud, le long de la rue Adolphe Mille ou de la Darse.

F.B. : Non.

C.L. V. : C’est une précision importante, car beaucoup de bruits ont circulé.

F .B. : Nous en avons déjà discuté longuement ensemble ; c’est une
question qui a été débattue au cours de multiples réunions. Il y a eu le 25 octobre une réunion du « Groupe des Cinq » [7] et puis le 26 octobre une réunion à l’Élysée, pour prendre des décisions sur un certain nombre de problèmes concernant La Villette qui n’avaient pas encore été résolus [8]. Il y avait deux problèmes majeurs : les logements et la Cité de la Musique et un problème de couleurs du Musée.

Pour la première fois, il y a eu une présentation générale au Président de la République, du projet du Parc par Tschumi et la présentation du phasage. Ensuite, a été abordé le problème des logements : le Président de la République, en présence des Cinq, des responsables de la cellule de coordination des grands équipements, de l’Établissement Public et des maîtres d’œuvre, a examiné les propositions qui lui étaient soumises.

Il a pris la décision que 350 ou 400 logements soient construits dans la zone Nord et que dans la zone Sud, le programme de la Cité de la Musique soit complètement réalisé, mais avec phasage : une première tranche devrait faire très vite l’objet d’un concours et porterait sur le Conservatoire. Un nouveau Conservatoire puisqu’il ne s’agit pas d’une simple reconstruction de celui de la rue de Madrid, mais d’un Conservatoire renforcé qui correspond à la politique d’enseignement de la Musique, du ministre de la Culture et du directeur de la Musique.


EXCLUSIF !

En présence de François Barré et Paul Delouvrier (respectivement à gauche et à droite sur la photo), Bernard Tschumi nous
déclare :

C’est le dragon qui a gagné le Concours, mais, symbole des années 80, il sera déplacé vers… L’Ouest.

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Photo B. Guillerey.


Un Concours restreint pour la Cité de la Musique

F .B. : La deuxième phase du programme complet de cette Cité de
la Musique viendrait ultérieurement.

Sur les modalités du concours : les membres du jury, les documents
demandés aux candidats, rien n’est encore décidé. La liste des architectes
fera l’objet d’une décision prochaine.

C.L. V. : S’agit-il des « recalés » de l’Opéra de la Bastille ?

F.B. : Non. Comme aucun français (sauf Tschumi) n’a gagné un concours
international organisé à Paris, je dirais que nous avons un choix ouvert avec des gens de très grande qualité. Ce n’est cependant pas le critère retenu pour établir cette liste.

C.L. V. : Parmi les points du projet de Tschumi, il y avait l’affirmation d’un axe Nord-Sud, que nous souhaitons beaucoup également. Cet axe Nord-Sud fait-il partie des priorités d’implantation sur le site ?

B.T. : Absolument. Les chantiers de la zone Nord (Musée, salle
hémisphérique) et Sud (Grande Halle jusqu’en mars 1985) empêchent sa réalisation immédiate. L’objectif, pour mars 1986, est de réaliser la partie Sud de cet axe, car le chantier du Musée au Nord ne se libérera que peu avant l’inauguration du Musée. Les contraintes seront donc telles sur la partie Nord que dans un premier temps, nous ne pourrons réaliser que la partie Sud de l’axe et éventuellement la partie Est-Ouest le long du Canal de l’Ourcq et une petite part du Nord.

F.B. : Ce planning est calculé en fonction de la date d’ouverture du
Musée, c’est-à-dire mars 1986.

B.T. : Ce serait un peu malheureux d’inaugurer le Musée à l’intérieur d’un champs de gravats…

C.L. V. : Actuellement, il existe un espace vert aux Rond-Point des Canaux. Sera-t-il conservé pour qu’il y ait à tout moment, avant mars 1986 un minimum d’espace vert pour les usagers ?

B.T. : Sa partie Sud n’est absolument pas touchée. Sa partie Nord sera remaniée, le dragon y étant conservé, mais déplacé vers l’Ouest. Conserver un espace vert a toujours été affirmé. Quand la partie Sud du Parc aura été ouverte on aménagera la partie Nord du Parc, y compris l’axe Nord qui est programmé pour mars 1987.

F .B. : Le traitement de la place urbaine de la Fontaine aux Lions,
doit apparaître dès le départ. Si l’on veut préserver le jardin du Rond-Point
des Canaux, on ne peut construire l’axe Est-Ouest pour le moment.

Traiter le bruit à sa source

C.L. V. : Les riverains souhaitent éviter le bruit des motos et des autos sortant des parkings, côté Porte de Pantin et suggèrent une sortie vers le boulevard Sérurier.

B.T. : Des parkings liés à la salle de musique populaire seront aménagés
près de la Halle aux Cuirs et, de manière provisoire, est conservé le parking de la SEMVI [9].

F.B. : Nous utilisons l’existant. Le parking SEMVI continuera à sortir Porte de Pantin. Pour l’instant, il n’est pas prévu de nouveaux parkings pour une activité temporaire comme la salle de musique populaire.

B.T. : Il y aura donc deux sorties, Boulevard Sérurier et Porte de Pantin pour éviter les embouteillages.

C.L. V. : François Barré nous a dit que le bruit faisait partie de la Ville. Bernard Tschumi dit qu’il faut traiter le bruit à sa source. Le problème du traitement du bruit a-t-il fait l’objet d’études spécifiques, pour voir dans la phase provisoire et dans la phase définitive, comment séparer les espaces ?

B.T. : Il y a différents types de bruits sur le Parc : le bruit qui provient du périphérique, le bruit de la circulation des véhicules quittant les parkings, et évidemment les activités sur le site, avec leurs contraintes respectives et qui doivent être traités de manière spécifique.

Pour le périphérique, on s’oriente de plus en plus vers la solution que nous avions proposée lors du concours : l’interruption du bruit à sa source (par un mur le long du périphérique et des cascades, le long du mur sous le boulevard Sérurier- N.D.L.R.). Certaines estimations, certains coûts ont été analysés et il semble que c’est une interprétation assez réaliste.

Pour les sorties de parkings, l’étude est en cours, en relation avec la Ville de Paris.


Pour les rapports entre les différentes activités à l’intérieur du site,
il est clair que les activités du lieu de spectacles peuvent entrer en
conflit avec certaines activités qui auront lieu dans la Grande Halle.
On devra également tenir compte de l’environnement immédiat de
la salle de musique populaire, pour ne pas rendre impossible certaines
activités à l’intérieur du Parc.

F.B. : De la même manière, on entendra les manifestations de la Grande Halle à une certaine distance.

B.T. : Ce qui implique une programmation suffisamment fine pour éviter les conflits acoustiques majeurs à l’intérieur du Parc, et certaines protections ponctuelles que nous étudierons au fur et à mesure.

F.B. : Pour les activités, nous avons pris un certain nombre de mesures
 : la salle temporaire, dans un premier temps, devait être située à l’extrême Sud-Est du site. En raison des études acoustiques, elle a été déplacée. Située finalement le long du boulevard Sérurier à l’intérieur du site, elle ne gênera en rien les riverains.

II y a eu un petit problème avec le Chapiteau Nord, mis en place notamment pour accueillir les associations [10]. Il y a eu beaucoup de demandes d’associations d’immigrés :habitants du quartier, souvent dépourvus de lieu d’expression parfois bruyant : lorsqu’ils commencent à faire une fête, ils aiment bien faire de la musique et la font assez tard. Nous avons donc été obligés de renoncer à accueillir un certain nombre de manifestations, car des riverains se sont plaint. Pour les parkings, dans le projet définitif, il y aura certainement une sortie avenue Jean-Jaurès : mais c’est dans le cadre d’un retraitement en cours d’élaboration avec la Ville de Paris, de cette avenue - depuis la Porte de Pantin au moins jusqu ’à la rue Adolphe Mille -. Nous essaierons de trouver un système qui permettra d’éviter qu’il n’y ait trop de gêne pour les riverains.

C.L. V. : la programmation donne priorité aux équipements internationaux ou régionaux : la Grande halle, la Salle du Rock, la salle hémisphérique, Je Musée, dans quels délais les équipements de quartier comme la Maison des Enfants, les ateliers… ?

F.B. : Dans la mesure où l’on maintient au Rond-Point des Canaux les deux espaces qui ont aujourd’hui un caractère de proximité et que, de ce fait, on ne peut pas achever l’axe Est-Ouest avant d’avoir pu réaliser une opération tiroir, cela veut dire qu’actuellement la priorité est de maintenir l’activité de ces espaces et de trouver le plus vite possible leurs substituts.

La Maison de la Villette

C.L. V. : Il y a une pratique quotidienne ou hebdomadaire des habitants sur le site. Il faut faire en sorte que les équipements de quartiers puissent être mis en place très rapidement afin d’éviter que les usagers réguliers du site ne se retrouvent perdus, face à des équipements nationaux.

F.B. : En ce qui concerne la« Maison de La Villette », c’est un projet sur lequel nous travaillons beaucoup : nous voudrions que, dès la mise en fonction de la Grande Halle, elle puisse y trouver un espace de préfiguration pour fonctionner, cela veut dire dès mars 1985. Avec les architectes de la Grande Halle, nous essayons actuellement d’y retenir un espace qui soit un espace pour les activités de quartier.

C.L. V. : Sur le plan de phasage, la Rotonde des Vétérinaires est conservée. Est-ce définitif ?

F.B. : Non. C’est un sujet qui est toujours d’une actualité brûlante. Il y a des gens qui n’apprécient pas cette rotonde et qui considèrent qu’elle n’est pas très intéressante. Il y en a d’autres, dont nous sommes, qui considèrent que c’est un élément intéressant. Tschumi est de ceux-là, puisqu’il l’a conservée dans son projet. La décision d’implanter des logements au Nord pourrait éventuellement la remettre en cause.

C.L. V. : Dans le programme du concours, il était envisagé de pouvoir la déplacer. Est-ce intéressant ?

F.B. : La déplacer, c’est artificiel, parce qu’en fait, elle a aussi des caves magnifiques.

C.L. V. : Parmi les points forts du site, il y a cette Maison de La Villette qui va être un centre de ressources de l’histoire du quartier. Que va devenir cette maison ? Comment inciter les habitants à s’y intéresser, leur faire comprendre qu’ils sont concernés, que cette maison va parler du passé, du présent et même de l’avenir ?

Elisabeth Philipp : J’étais partie de l’idée de dialoguer avec les habitants
des environs. J’ai constaté que les gens aimaient bien raconter le site et ses quartiers environnants, et ce qui s’y passait, ce qu’ils vivaient. Faire l’histoire de La Villette, c’est donc aussi une occasion de leur donner la parole en abordant l’histoire au quotidien et pas forcément l’Histoire avec un grand H : ce qui les amène à raconter l’histoire quotidienne sans se rendre compte que c’est de l’Histoire. Quand on interroge les gens des restaurants, les bouchers, les gens qui tiennent un commerce depuis longtemps, on s’aperçoit qu’ils ont
des histoires fabuleuses à raconter. Ils viennent eux-même les dire, en particulier au point d’accueil Sud où ils veulent témoigner ; les anciens connaissent des histoires truculentes sur le site ; on ne parlera pas uniquement de la mémoire passée, de ce qu’ils vivaient et comment ils vivaient, mais aussi de ce qui se passe actuellement, en particulier avec les jeunes.

Les adolescents savent bien parler du site, de ce qu’ils ressentent par rapport à lui et à leur environnement, du quartier. .. Cela fait partie de l’histoire au quotidien que l’on va développer, par exemple en faisant des expositions, des reportages photographiques sur le quartier, des études sur les lieux de loisirs, sur la façon de percevoir les différentes populations. On parle souvent des différences entre les populations, pourquoi ne parlerait-on pas des ressemblances entre celles-ci ?

Une mine d’idées à exploiter

C.L. V. : Dans le travail effectué par l’Établissement Public sur les 471 rendus du concours, se détache-t-il un certain nombre d’idées intéressantes que le maître d’ouvrage ou le maître d’œuvre souhaiterait acquérir ? Certaines idées apparaissent-elles intégrables dans le projet de Tschumi ?

B.T. : L’étude est absolument considérable. Le nombre de projets qui ont un certain intérêt est immense ; les sélectionner et en tirer leurs essences, leurs avantages respectifs, est vraiment un travail de très longue haleine.

F .B. : Et puis désormais, il y a un parti général, un projet qui a été
couronné par le jury, qui a un esprit, et on peut trouver par exemple des jardins thématiques qui soient extraordinaires, mais qui ne correspondent
pas du tout au parti, à l’esprit du projet de Tschumi. Je parlai tout à l’heure des approfondissements de programme que nous devons donner fin novembre 1983 : nous allons faire sur ce sujet des jardins thématiques une note d’objectifs assez peu développée, car on arrive tout de suite à un travail de conception. C’est plutôt au maître d’œuvre, à partir de sa propre réflexion, et en se servant de cet outil, de nous faire des propositions. Nous travaillerons alors à partir de ce patrimoine, de cette banque de données en sachant que c’est compliqué.

Pouvoir tenir les délais

C.L. V. : Au printemps, vous parliez de trois études parallèles pour le coût du Parc.

F.B. : Oui. Deux ont été faites : celle de la Mission Parc (le directeur
d’investissement du Parc) et celle du conducteur d’opération (la division d’aménagement et de la construction) c’est-à-dire deux entités de la maîtrise d’ouvrage. Une troisième qui fait partie de l’étude de définition de Tschumi n’a pas encore été faite. Nous en avons parlé lors de la réunion avec le Président de la République. Nous serons capables début 1984, de formuler des chiffres
fiables et crédibles, en terme de coût d’investissement global et de coût de fonctionnement global du Parc.

C.L. V. : L’important est de savoir si cela peut modifier le planning qui nous est présenté et restreindre les ambitions du projet.

B.T. : Un chiffre ne veut pas dire grand chose, car il y a toute une série d’options. C’est un peu comme une voiture :on l’achète toute simple ou avec des turbos-freins. Nous avons dit que nous faisions notre estimation dans le cadre de l’étude de définition, et pas avant, pour pouvoir apprécier quelles sont les priorités et les différentes manières d’aborder le problème de coût.

C.L. V. : Dans une période de restriction budgétaire, Je budget de l’Établissement Public du Parc de La Villette pour 1984, et ce qu’on vous a laissé entrevoir pour les années à venir, vous permettent-ils de considérer que, conformément à ce qu’a dit le Président de la République - qui a demandé l’accélération des grands chantiers parisiens - et puis peut-être bénéficiant de l’abandon de l’Exposition Universelle de 1989, vous avez maintenant la certitude que vous irez au terme de votre mission ?

F.B. : Dire que l’on a la certitude d’aller au terme d’une telle mission ce serait être doté d’un optimisme un peu béat. Mais je crois à la réalisation des programmes annoncés, notamment après la réunion du 26 octobre à l’Élysée.

En ce qui concerne le budget 1984 du Parc, il n’y a pas de problème. Dans la mesure où il y a une demande d’accélération et notamment de tenir les délais pour l’ouverture du Musée et d’une part importante du Parc en 1986, il y a une volonté de nous doter des moyens nécessaires pour y parvenir.

C.L. V. : Dans le phasage, il est prévu de réaliser rapidement un certain nombre de Folies. Qui va les réaliser et comment assurer une certaine unité entre ces Folies, comme le souhaitait Tschumi, tout en prévoyant leur éventuelle transformation par la suite ?

B.T. : C’est une question prématurée, car c’est l’un de nos objectifs de l’étude de définition. Il y a, comme vous l’avez formulé, plusieurs options. Essentiellement dire telle Folie sera construite par telle ou telle personne, ou alors donner des directives précises pour éviter une hétérogénéité qui soit peut-être contraire à cette image forte du Parc que nous voulons. Dans cinq mois, je vous répondrai précisément.

C.L. V. : Est-ce trop tôt aujourd’hui pour dire si une Maison des Associations rapidement sur le site, c’est une folie ?

B.T. : Ça peut être lié à une Folie. Le point de départ de la Folie, c’est un bâtiment qui a 300m2. Si votre Maison des Associations en exige 450m2, ce ne sera pas une Folie simple, mais une Folie étendue. Une Maison des Associations sera-t-elle essentiellement dans la partie de base ou dans la partie étendue, je n’en sais rien.

F.B. : C’est une question de caractère programmatique et pour l’instant
nous n’avons pas tranché sur la présence de cette Maison.


La Villette, un éternel Potlach ? (voir Quartiers Libres n°18)


Privilégier ce qui est définitif par rapport au temporaire

C.L. V. : Vous avez opéré le marquage de deux Folies dans le parc. Dans quel but ?

B.T. : C’était simplement pour voir s’il était possible d’exprimer l’emplacement de ces Folies de manière différente : soit des mâts, des drapeaux, soit les rendre plus visibles par des échafaudages : ces deux « tours » étaient le test d’une possibilité, je ne suis pas sûr qu’il est absolument nécessaire aujourd’hui.

F .B. : Ce geste était clair et assez dynamique si nous avions pu le
réaliser juste après le concours. Aujourd’hui avec un projet qui doit se réaliser pleinement et avec la conjoncture rigoureuse, nous voulons privilégier tout ce qui est définitif par rapport à ce qui est temporaire.

C.L. V. : Dans vos rapports avec les autres missions de l’Établissement Public nous avons l’impression d’un décalage, d’une mauvaise coordination. Y a-t-il eu des confrontations, des querelles de territoires entre les missions ?

B.T. : Bien sûr, il y a eu des querelles de territoires ! C’est la moindre des choses, mais elles ne sont pas très graves. Le concours a été lancé alors qu’il y avait déjà des opérations en cours sur le site. Il était nécessaire d’établir une certaine coordination pour qu’il n’y ait pas de conflits majeurs. Les exigences du Parc et du Musée, c’est une des premières questions que nous avons abordée et pratiquement résolue sauf sur des détails. Un zonage et une surface de la Cité de la Musique avaient été déterminés dans le concours du Parc. Cette définition du périmètre de la Cité de la Musique est en train de s’affiner pour pouvoir lancer le concours.

C.L. V. : L’implantation de la Cité de la Musique est-elle toujours séparée en deux parties à l’Ouest et à l’Est de la zone Sud ?

B.T. : C’est une question fondamentale qui va marquer le phasage de la construction de la Cité de la Musique. Le programme de cette Cité, très complexe, n’est pas encore défini à l00%.

C.L. V. : Souhaitez-vous conserver les dispositions de la Cité telles qu’elles étaient dans votre projet ?

B.T. : Ce qui est indiqué dans notre projet comme masse construite n’est qu’une indication d’une espèce de symbole de l’existence de la Cité de la Musique, qui ne correspondait pas à un programme qui nous était donné. Maintenant, le programme très précis qui est défini ne correspond plus à cette organisation des masses. Pour des raisons acoustiques il est préférable de situer l’auditorium côté Porte de Pantin plutôt que côté Adolphe Mille. J’insiste beaucoup pour que le Parc s’ouvre largement vers l’avenue Jean Jaurès, pour qu’un front bâti ne coupe pas le Parc du reste du quartier. La Place aux Lions devrait être conservée telle qu’elle est actuellement, et même
élargie.

F.B. : La décision sur la Cité de la Musique ne date que du 26 octobre
1983.

C.L. V. : Il faut donc attendre le résultat du concours…

F.B. : … qui dépendra du cahier des charges. Dans le texte du concours qui est la responsabilité de Jean-Pierrre Guillard, Directeur de la Mission Musique, nous pourrions demander aux candidats de préserver de façon obligatoire l’ouverture de la Place de la Fontaine aux Lions sur l’avenue Jean Jaurès, ou sous une autre forme d’assurer la transparence mais sans que ce soit une obligation : c’est à ce type de débat actuel que Tschumi fait allusion.
On peut imaginer que certains considèrent qu’un parti peut être intéressant
tout en fermant la Place de la Fontaine aux Lions avec un immeuble à arcades. Tschumi souhaite que ce parti soit exclu et qu’il y ait une ouverture réelle de la place sur l’avenue Jean Jaurès.

C.L. V. : L’architecte va avoir envie de donner sa réponse, peut-être de formaliser une porte. Il ne faut pas tomber dans un excès programmatif.

B.T. :Dans tout concours, il y a un règlement. S’il y a des raisons impératives de le transgresser … on le transgresse. C’est au jury de juger dans quelle mesure c’est acceptable.

F.B. : C’est souvent comme cela que l’on gagne un concours…

L’emplacement de la cité administrative… Un des plus beaux endroits du site

C.L. V. : Qui a eu l’idée de la localisation de la Cité Administrative ? Elle gèle une partie très intéressante du site et de plus donne une mauvaise image de la modernité dont le site doit être porteur.

F.B. : C’est une décision prise il y a longtemps. C’est en effet un des plus beaux endroits du site.

C.L. V. : La première phase du projet de Tschumi aurait eu une autre consistance avec ce terrain libéré.

Deux risques réels

C.L. V. : Tout le monde était d’accord pour refuser un Parc de type « Dysneyland ». Lors du débat qui a eu lieu à Beaubourg ce printemps, le sociologue Robert Ballion avait dénoté deux risques dans le programme. C’était d’une part le risque du supermarché, d’épicerie culturelle - ce que nous appelions « le risque du bourrage » lorsque nous discutions du programme - et d’autre part le risque d’un modèle messianique, du type jardin républicain.

Pour vous, faire le Parc du XXIe siècle, est-ce grisant ? Peut-on éviter ces deux écueils ?

B.T. : Je laisserai à Barré le soin de parler du bourrage programmatique.
Le messianisme, c’était justement ce qu’il fallait éviter. Il ne s’agit pas de faire un modèle figé, d’un idéal que l’on implanterait de force à La Villette, mais au contraire de trouver une structure contemporaine qui puisse accueillir toute une série d’évènements. C’était le point de départ de notre projet, c’est toujours une de nos préoccupations, qui devient peut-être encore plus intéressante car il s’agit de l’appliquer à la réalité. Faire coller les évènements à la réalité physique du Parc, c’est le contraire d’un messianisme qui appliquerait une loi et une approche stricte.

Retrouver des espaces de rencontre

F.B. : Les observations de Robert Ballion sont très intéressantes. D’ailleurs il est un de nos conseils et nous a fait une étude très fine sur les publics. Il a mis le doigt sur deux risques réels. On ne fait pas un projet comme celui-là sans risquer de faire des erreurs. Cela fait partie des écueils potentiels. Dans la ville ancienne, il y avait des espaces collectifs qui avaient un rôle de sociabilité extraordinaire qui étaient la rue, la place. Ces espaces collectifs ont complètement perdu leurs fonctions. Ce sont devenus des espaces circulatoires.

Aujourd’hui des espaces collectifs d’un genre nouveau existent : ce sont les galeries marchandes, des forums commerciaux qui sont exclusivement consommatoires. On a perdu dans la ville d’aujourd’hui de véritables espaces de rencontre, de déambulation, d’échanges. Ce n’est pas messianique de s’inquiéter de cette disparition et de dire qu’il faut retrouver des espaces de rencontre qui reprennent de la tradition de la fonction de la rue, de la place et du parc. Cela correspond à une réalité et à un besoin moderne, actuel. Le danger est réel d’une espèce de patchwork complètement éclaté : mais aujourd’hui nous avons une culture et une société de plus en plus pluraliste.
L’équilibre est à trouver.

L’autre danger, ce serait de faire un parc minéral, mais je ne crois pas que ce soit le cas : on perçoit mal tout le travail fait par Tschumi, mais c’est un travail très fin. Dans ce Parc il y aura l’équivalent de 10 hectares entièrement plantés, c’est-à-dire la plus grande superficie plantée de tout Paris. Il y aura 5000 arbres dont 1 500 de haute tige et 3 500 de deuxième grandeur, et à peu près un million de plantes tapissantes, rampantes et arbustes. Ce lieu, par son échelle, peut admettre une pluralité d’activités et d’ambiances. Le Président de la République est très intéressé par tout ce qui est végétal : dans la présentation du projet nous lui avons montré les différentes ambiances et réalités du Parc dont il faut préserver la diversité en même
temps que la plénitude. Ces ambiances ne sont peut-être pas assez
perceptibles sur le plan de Tschumi, on distingue parfois malles relations
complexes des grands cheminements végétaux et des parcours plus intimes. L’une des difficultés du lieu sera de préserver ces espaces lors des grandes manifestations de la Grande Halle par exemple. Plus de 600 arbres sont déjà achetés par l’Établissement Public et cultivés ; la totalité des terres végétales nécessaires au Parc est déjà réservée.

C.L. V. : L’installation d’un train à l’intérieur du site est -elle toujours prévue ?

B.T. : Le problème d’un transport en site propre n’est pas encore tranché. Certains considèrent que c’est une nécessité absolue, pas nous. Cela est nécessaire dans le cadre d’un équipement fonctionnel comme un aéroport, une gare … Si les gens venant dans un parc ont vraiment la nécessité d’aller très vite, ils se trompent sans doute sur la nature du lieu. Dans un parc, il y a un rythme de déambulation qui peut permettre aux gens de faire 800 mètres en marchant. Le problèmes des handicapés, de tous les mal-marchants est différent. On peut imaginer d’autres systèmes pour éviter à ces personnes un parcours difficile.

Les alentours du site : une chasse gardée du Maire de Paris

C.L. V. : Le lycée Diderot va-t-il finalement être construit sur le site ou sur un terrain aux alentours, avenue Corentin Cariou par exemple ? Une implantation précise a-t-elle été déterminée ?

F .B. : Étant donné la décision prise sur les logements, le lycée sera
implanté à l’extérieur du site : il y a des lieux envisagés à proximité.

C.L. V. : Votre mission vous don.ne le droit d’agir à l’extérieur du site. Le faites-vous, ou cela reste-t-il une potentialité d’intervention ? Les alentours restent-ils une chasse gardée de la Ville de Paris ou cherchez-vous à intervenir à l’extérieur du site pour contrebalancer certains effets pervers de l’arrivée de ces équipements internationaux et régionaux ?

F .B. : On étudie les potentialités extérieures, notamment pour y trouver
les capacités d’hébergement induites par le fonctionnement du site. Le Conservatoire, c’est 1300 élèves, dont 600 internes. Le Musée avec l’arrivée de classes transplantées, de classes urbaines de découvertes, de colloques, amènera beaucoup de monde dans le quartier au sens large : XIXe arrondissement et communes périphériques de la Seine-Saint-Denis. Tous ces problèmes sont à l’étude.

C.L. V. : Cela fait partie des thèmes qui sont discutés avec la Ville de Paris qui s’intéresse beaucoup aux alentours de La Villette ?

F .B. : Avec la Ville de Paris on parle beaucoup de la manière de traiter les franges du site.

C.L. V. : La Ville vous a-t-elle consultés pour les projets d’hébergements et d’hôtels, en particulier pour les deux projets d’hôtels au Rond-Point des Canaux et dans la ZAC « Flandre-Nord » sur l’utilité et la classe de ces hôtels ?

F.B. : Nous n’avons pas été consultés sur ce point, mais nous sommes
informés. Nous discutons avec la Ville : des problèmes de voirie, d’accès, etc. Pierre Riboulet travaille sur le front de l’avenue Corentin Cariou et la zone qui va jusqu’à la Seine-Saint-Denis : il doit faire une proposition à la Ville et à l’Établissement Public. Ses études sont globales. Ce ne sont pas uniquement des problèmes de définition des frontières. Nous parlons aussi du prolongement éventuel de la darse jusqu’à la rue Adolphe Mille, de la piste cyclable, du statut des voies sur berge, des projets immobiliers de la Ville rue
Adolphe Mille sur des terrains lui appartenant et actuellement utilisés par le service des égouts, de la coulée verte et des rives du Bassin de La Villette pour qu’il y ait une continuité d’aménagement, du déplacement de l’atelier des Canaux… La Ville nous tient bien sûr informés des grands projets concernant le quartier. Quant aux programmes de logements de la Ville nous en avons été informés, mais nous ne participerons pas à leur définition.

C.L. V. : Dans le rendu du concours du Parc un panneau traitait des alentours. L’avez-vous utilisé dans les analyses de contenu ?

F.B. : Nous avons fait une erreur d’échelle pour ce plan qui est difficile
à lire. Mais de toutes façons, peu de propositions étaient réalistes.

C.L. V. : Dans certains projets il y avait une idée intéressante, c’était des systèmes qui passaient par-dessus le périphérique.

C.L. V. : La Ville de Paris vous a-t-elle donné des garanties sur l’élargissement rapide de la rue de Flandre ?

F.B. : Elle considère, me semble-t-il, que c’est une de ses priorités.

C.L. V. : La coulée verte entre La Villette et les Buttes Chaumont se fera-t-elle ?

F.B. : C’est un projet qui intéresse à la fois les services de la Ville et ceux de l’arrondissement. Nous devons en reparler dans les semaines qui suivent.

Informer les habitants aussi par l’intermédiaire des écoles

C.L. V. : Le chantier du point d’accueil Sud s’achève. Les habitants du quartier, mais aussi ceux qui y travaillent sans y vivre, pourront-ils s’y exprimer ?

Elisabeth Philipp : Il y aura une présentation de tout ce qui se passera
sur le site :les différents secteurs du Musée, les phases d’évolutions du site avec des panneaux et un diaporama, un point d’histoire également.

F.B. : Il y aura aussi des expositions, et une information possible pour les associations, un concours de dessins avec les enfants des écoles, notamment de la Cité Curial, etc.

C.L. V. : L’expérience d’information qui va avoir lieu dans un groupe scolaire à l’intention des habitants de la Cité Curial-Cambrai sera-telle renouvelée avec d’autres écoles de l’arrondissement ou des communes aux alentours ?

E.P. : Le 5 novembre a lieu une journée portes ouvertes dans la Cité
Curial-Cambrai, avec un représentant de chaque mission ; des questionnaires
seront soumis à tous les enfants et aux parents. De nombreuses demandes d’écoles nous sont parvenues auxquelles nous allons répondre. C’est une façon de montrer l’environnement aux enfants et d’y intéresser les parents, leurs enfants apportant documents et informations.

F .B. : Cette expérience sera renouvelée.

Des milliers d’emplois à la Villette, que cela se sache !

C.L. V. :Dans Je XIXe arrondissement, il y a 9000 chômeurs. Dans le point accueil de ce site créateur d’emploi y aura-t-il des informations sur l’emploi ?

Dans le collectif, deux associations, l’AJAR et l’AEFTI sont intéressés. L’AJAR doit former des jeunes pour un hypothétique emploi : dans le XIXe, le plus important des lieux créateurs d’emploi, c’est La Villette. Les missions de l’Établissement Public doivent définir les profils des emplois à créer dans quelques années. 1986, c’est dans deux ans, c’est justement le temps qui permet de faire un cycle de formation. Le Musée va avoir besoin d’électro-mécaniciens pour l’entretien, d’animateurs de manipulation, etc, le Parc d’animateurs d’ateliers, de jardiniers, etc. des milliers d’emplois vont être créés ; les habitants du quartier au chômage ou voulant se recycler sont intéressés. De plus les chantiers vont employer beaucoup de monde et
l’Établissement Public également recrute beaucoup. Il faut que cela se sache.

F .B. : Il y a trois éléments :
• Le chantier de réalisation à proprement parler, et là nous n’avons
à ma connaissance pas de possibilités d’action.
• Les recrutements de l’Établissement Public aujourd’hui :cela peut
sans doute être indiqué au point accueil. Il faudrait approfondir cette
question.
• Les recrutements dans l’avenir. Évidemment on sait que l’on va avoir besoins d’animateurs, de jardiniers, etc, mais on est incapable aujourd’hui de dire précisément combien et à quelle date exacte.

Le Dragon et ses alentours seront nettoyés

C.L. V. : Beaucoup de gens protestent. Ce n’est pas très agréable d’aller au jardin du Rond-Point des Canaux, les alentours du Dragon en particulier sont très sales. Nous vous l’avons signalé depuis longtemps. En raison de cette saleté les endroits agréables du site sont peu fréquentés.

F.B. : C’est tout à fait juste, notamment pour le Dragon et ses alentours.
Nous allons installer des poubelles sur la totalité du site, le nettoyer et mieux gardienner les espaces publics… Même sur un site qui ne fonctionne pas le nombre d’interventions à effectuer est très élevé : remettre tous les lampadaires cassés, stabiliser les endroits dangereux. etc. Nous faisons tout ceci avec la SEMVI, bien sûr, mais en travaillant également avec une association [11] qui regroupe des jeunes en recherche de premier emploi ou des gens qui ont des problèmes d’insertion sociale.

Ce n’est pas par des annonces individuelles que nous pourrons résoudre le problème général des embauches dans l’avenir. Nous pouvons sans doute le faire en partie en passant par des associations.

L’expérience de la concertation

C.L. V. : Que pensez-vous de la concertation avec les associations ?

F .B. : C’est très difficile à faire. Moi, je crois que c’est indispensable. En même temps, lancés dans la réalisation de tels équipements, nous avons une dynamique quotidienne, une routine, enfin pas une routine parce que c’est exaltant. Nous avons l’impression que les gens doivent venir nous voir s’ils veulent que nous fassions des choses ensemble. Nous manquons souvent, sans doute, du réflexe d’aller voir les gens… Nous avons l’impression d’avoir un projet intéressant, un programme assez riche, qui nécessite beaucoup d’aménagements. Nous sommes demandeurs de la part des associations de
propositions d’ordre programmatif : comment aménager cet espace ? Le programme n’est pas encore figé et il devrait évoluer.

La structure du Collectif est un peu lourde. C’est peut-être nécessaire, étant donné que vous êtes un Collectif. Les relations ont toujours un côté un peu formel et bureaucratique ; quand on se voit, cela ne facilite pas une relation de travail. On s’écrit des lettres très formelles.

Il y a aussi de la part des associations - moi je fais partie de plusieurs
associations et depuis fort longtemps - un espèce de devoir d’impertinence qui fait que si l’on ne dit pas des choses un peu désagréables, on a l’impression d’être complices du pouvoir. S’imaginer que, si l’on n’est pas quelque part « poil à gratter » on ne joue pas son rôle, à la fin c’est parfois agaçant.

Nous n’avons pas encore trouvé les moyens de bien travailler, j’en suis convaincu. De notre part, il n’y a pas une volonté de refuser ce travail, mais au contraire une volonté de travailler avec vous. C’est très compliqué de trouver le moyen. Se limiter à un échange d’informations, c’est facile ; mais ce serai des relations passives.

C.L. V. : Nous avions soumis en octobre 1982, un projet d’animation et de formation. Vous n’y avez pas donné suite, il est passé à la trappe…

F.B. : Nous avons à faire un équipement à la fois de dimension internationale et locale. Il faut programmer ces équipements, pour qu’ils répondent aux différents besoins. Faire de l’animation ce doit être en termes professionnels, du plus haut niveau. Si une association propose de faire une animation vidéo, cela ne se justifie sur un site comme celui de La Villette, que si cette association a eu en matière de vidéo une expérience professionnelle de grande qualité. Sur un équipement de cette dimension, en terme d’animation ou d’exploitation, il faut avoir une qualité professionnelle du plus haut niveau.

C.L. V. : Cela ne laisse pas de place aux bénévoles…

F .B. : Le problème des bénévoles devient plus ambigü quand leur
action nécessite un financement.

C.L. V. : On conçoit que l’Établissement Public n’ait pas envie de porter des petits satellites. Il faut avoir des compétences et les moyens financiers de faire des propositions sérieuses. Le Collectif a ces problèmes : il faut être sûr d’avoir les moyens de réaliser les projets. Pour nous, la concertation, ce n’est pas écouter, il faut forger un outil qui manque.

F.B. : Ce que je dis n’est pas dirigé contre les associations du Collectif.
L’État nous donne peu d’argent pour l’animation : il considère que nous sommes un Établissement Public aménageur et donc que notre mission première n’est pas de faire des actions temporaires sur le site. Il ne faut cependant pas oublier que le chapiteau Nord a été implanté pour répondre à la demande des associations. Pour la Grande Halle, nous proposons de créer une association de gestion. L’Établissement Public n’a pas la structure juridique adéquate pour agir en terme d’animation et d’exploitation. Une association de gestion de la Grande Halle pourrait peut-être prendre en charge l’animation provisoire du site : ce serait beaucoup plus souple, des
petits contrats pourraient être passés. Pour l’instant, on est très
démuni. Que peut-on apporter ?

C.L. V. : Vous pouvez apporter le site, ce n’est déjà pas mal…

La voix des associations au jury

C.L. V. : Nous avons soutenu dans le jury, le projet de Tschumi. On se sent plutôt à l’aise par rapport à ce projet. Que pensez-vous de l’expérience d’avoir eu un représentant des associations dans le jury ? Est-ce une chose que vous conseillerez de faire à d’autres ? L’apport de cette participation des associations a-t-il été important ?

F.B. : Nous, c’est quelque chose que nous rappelons systématiquement.
C’est le seul concours où il y a eu cette expérience. Sur la participation au jury de Bernard Bourgade, il est difficile de faire la part de ce qui est l’expertise de l’architecte, de quelqu’un qui est un connaisseur, et de ce qui est le témoignage d’une sensibilité des associations du quartier. Il a été exemplaire dans ce domaine : à chaque fois, il a parlé au nom des associations. Quelqu’un qui est un expert, un professionnel, s’il y a un projet qui est mauvais mais qui correspond au vœu des associations, il y a une part de lui-même qui lui dit « ce n’est pas possible ».

En l’occurrence, cela ne s’est pas passé de cette manière un peu schizophrénique : il a systématiquement présenté le point de vue des associations.

Pour nous, maître d’ouvrage, cela n’était pas quelque chose d’extrêmement
éclairant, dans la mesure où on s’était déjà vu avant et nous connaissions les souhaits des associations. Je ne dis pas que s’il n’y avait pas eu de représentant des associations, on les aurait répercutés, je serais hypocrite en disant que nous l’aurions fait systématiquement. Peut-être l’aurions nous fait comme cela à l’occasion. Par contre, pour en avoir discuté avec des jurés étrangers, je sais qu’ils ont trouvé cela tout à fait important, pour prendre leur décision. Un certain nombre d’interventions de Bernard Bourgade, pour dire quel était le point de vue des habitants, ont pesé lourd dans la
décision du jury, et notamment des jurés étrangers, c’est évident.
Bernard Bourgade : "Ce sont eux qui venaient pour me voir, plus que
les jurés français. Dans certains cas, cela a permis d’éviter de trop déraper sur des querelles d’écoles, de tendances, pour essayer de ramener le problème concrètement sur l’aménagement d’un terrain avec des contraintes qui sont difficiles. C’était un avantage ; il serait intéressant que cela se reproduise pour d’autres concours
". Nous regrettons que cela n’ait pas été fait pour l’Opéra de la Bastille.

C.L. V. : Vous envisagez de créer une association pour gérer la Grande Halle et peut-être l’animation provisoire du site, c’est très important. Il y a conflit plus ou moins violent avec le quartier dès qu’il y a des grandes manifestations. N’est-il pas possible d’y intégrer un représentant des quartiers environnants ?

F.B. : Avant même l’ouverture de la Grande Halle, car actuellement nous ne pouvons prendre aucun engagement de programmation. Nous avons besoin d’une structure juridique qui soit définitive ou relais.

De plus, nous ne connaissons pas la structure juridique du Parc dans l’avenir, Établissement Public Industriel et Commercial ou autre. La mise en place de cette association est en discussion avec le Ministère de la Culture. Il conviendrait que la décision soit prise d’ici la fin de l’année.

Des les structures liées au fonctionnement de la Grande Halle, nous avons proposé qu’il puisse y avoir des représentants des associations du quartier.


Fin de l’entretien effectué le 28.10.83
N.D.L.R. : Les intertitres sont du Collectif La Villette


JPEG - 175.2 ko

La Grande Halle en septembre 1983 Mars 1985, l’ouverture. Photo B. Guillerey.


Le Phasage du Parc Objectif 1988


Mars 1985

- Ouverture de la Grande Halle
- Ouverture de la salle Hémisphérique au Sud du Musée
- Aménagement provisoire de leurs abords.



Mars 1986

Le Parc prend forme :
- L’axe Nord-Sud est dégagé, l’axe Est-Ouest se dessine ; les abords des équipements sont réalisés
- Ouverture du Théâtre de plein air
Déjà s’amorcent les principales circulations, la promenade des Jardins
thématiques
Les grandes allées d’arbres de haute tige sont plantées
Les Folies les plus identifiables apparaissent (thermes, restaurants, Maison des enfants,… )
Superficie accessible au public : environ 16 hectares (parc Mont-souris : 15 hectares).



Mars 1987

- Les deux grands axes du Parc sont réalisés et fonctionnent avec leurs Folies
- Les jardins thématiques se développent
- Superficie accessible au public : environ 22 hectares (Luxembourg : 23 hectares).



Mars 1988

- L’ensemble des équipements majeurs a pris place dans les Folies
- Les jardins de découverte sont créés
- Les jardins thématiques sont terminés
- Superficie accessible au public : environ 35 hectares (Tuileries : 33 hectares).


Lire aussi : La Villette mon amour

Article mis en ligne en mars 2014.

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Téléphone 01 77 35 80 88 / Fax 01 40 36 81 57

Nous contacter

Consultez nos archives sur :
Quartiers Libres Numérique sur la Ville des Gens

[1François Barré : Directeur Délégué de l’E.P.P.V. et Responsable de la Mission Parc.

[2Bernard Tschumi : Lauréat du Concours International du Parc de la Villette. Architecte, désormais maître d’œuvre général du Parc.

[3Maître d’ouvrage : L’Établissement Public du Parc de la Villette (E.P.P.V.)

[4Maître d’œuvre : Pour le Parc : Bernard Tschumi - Pour le Musée : Adrien Fainsilber - Pour la Grande Halle : Bernard Reichen et Philippe Robert.

[5Lors des discussions avec l’E.P .P. V. sur le programme du Concours, un des seuls points sur lequel nous avions obtenu une modification était de porter de une à deux ces Maisons des Enfants, une côté Porte de la Villette et une côté Porte de Pantin. Nous demandions qu’elles aient un caractère local.

[6Maison de La Villette : Structure en cours d’élaboration animée par Elisabeth Philipp.

[7Composé de Messieurs Quillès, Lang, Quilliot, Guimard et Lion.

[8Nos lecteurs pourront se reporter à l’article de Pascaline Cuvelier paru dans « Libération » du 8 novembre 1983 où est racontée la réunion du 26 octobre.

[9SEMVI : Société d’Économie Mixte de La Villette. Celle qui était en charge de construire les nouveaux abattoirs, et chargée depuis leur fermeture de gérer le site.

[10Les associations n’ont pas été consultées sur son lieu d’implantation.

[11Travail et Vie.

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