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Ballade

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Bottier à Belleville (2)


Arnoult - Bottier - 85, rue de Belleville - Chaussures sur mesure et toutes faites - Maison fondée en 1937. Maurice, l’un des derniers artistes de la chaussure - qui préfère à tout qualificatif le noble nom de cordonnier - a commencé dans nos colonnes à dire ses débuts, son attachement progressif au métier et ses réflexions personnelles sur le travail et la place de l’artisan dans la ville. Il y revient aujourd’hui, notant la similitude de destin du Belleville populaire et des métiers qui en faisaient la vie.


Presque tout le monde se connaissait dans le temps à Belleville.

Presque tout le monde se connaissait dans le temps à Belleville. Il y avait une certaine solidarité,on se recevait, on parlait ensemble, même à l’échelle du petit bistrot. Il ne faut pas croire que nous y allions pour nous saouler la gueule : le bistrot c’était une bourse, un lieu de réunion.. presqu’une maison de la culture en quelque sorte.

Oui parce qu’on y prenait rendez-vous :"là il se passe ceci, là il se passe cela", "ah dis donc il va y avoir une jolie pièce de théâtre, on doit jouer FAUST, j’ai entendu ça au coin de la rue Réberval". Alors les places étaient retenues. Il ne faut pas croire que la population de Belleville était un milieu d’abrutis ! Pas du tout ! On attendait notre théâtre. Il y avait y avait deux genres de spectacle : le cinéma et les Folies-Belleville -un petit Music-hall-, et puis le théâtre de Belleville ou l’on jouait les grands classiques, opéra-comique, et opéra…

Quand toute intelligentzia de Belleville descendait, il n’y avait plus de place. Certains spectateurs -ceux- là le faisaient exprès- arrivaient très tard pour avoir des places debout et ne pas payer. Alors, aux poulailler, c’était une ambiance tout à fait à part, c’était le village, on se connaissait, on se reconnaissait. Avant que le rideau ne se lève :"ah, salut, tu vas bien ?" Et puis tout d’un coup, discipline : le rideau se levait, on tapait les trois coups… alors là, pas d’histoire, on était tous yeux, toutes oreilles !

La conscience de classe existait et même assez fortement.

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Maurice Arnoult- Bottier

Tout Bellleville était cordonnier, mécanicien ou maroquinier. On arriver à gagner notre vie dans une excellente ambiance. Nos camarades étaient des amis d’atelier. Et comme Bellleville était plein d’ateliers, on arrivait à se connaitre tous. La conscience de classe existait et même assez fortement. Peux-être plus qu’ailleurs à Belleville.

Parce qu’il y avait le passé, les vieux eux aussi parlaient de leurs souvenirs : c’était le père de l’un d’entre eux qui avait fait un barricade, l’oncle d’un autre qui s’était fait zigouiller dans la rue par les Versaillais, ou tel autre qui avait assisté horrifié,au massacre des communards. Ce sont là des événements qui reste dans la vie de quelqu’un. Et la commune a marqué la mémoire de Belleville.


C’est qu’à l’époque agissait "La Sociale". C’était pas le parti communiste, c’était des gens de gauche et ça s’appelait "La Sociale". Un mouvement qui reprenait les idées de Proudhon, Blanqui.. pour un mieux vivre, contre l’exploitation. Et les gars y tenaient à leur "Sociale" oui, il y avait une conscience de classe très forte, et nous les mômes, on était très impressionné par ça.

Jusqu’en 1939 il n’y a pas grand chose qui change à Belleville. Si ce n’est un
chômage du tonnerre de Dieu avec la réaction de la droite populaire. Et puis la guerre quand personne n’y croit ! Ici ça végète.


Fait prisonnier, je m’évade et je reviens à Belleville.

Fait prisonnier, je m’évade et je reviens à Belleville. Avec un tout autre caractère- sans doute le caractère de ceux qui sortent de prison, des espèces de révoltés qui sentent qu’il y a quelque chose qui s’est cassé en eux. Plus rien ne marche comme avant. Ainsi ce petit terrain que j’avais acheté en grande banlieue parce que ma femme était de condition délicate, avec les quelques économies réalisées au cours de trois quatre années heureuses. J’avais construit dessus une petite baraque avec des caisses à bananes et j’avais planté des arbres. quand je reviens, il n’y a plus rien-il fallait bien se chauffer, et sans charbon… C’était vraiment la ruine partout.

Et puis tout se remet en route, un mouvement d’affaire se produit, on retrouve peu à peu son équilibre. Les équipes se remettent au boulot. on retrouve un tas d’ateliers et chacun gagne sa vie. On connait une période heureuse. Trois,quatre salles de cinéma ouvrent à Belleville et chaque prolétaire s’y rend quatre fois par semaine, ce qui ne s’était jamais vu de mémoire d’homme !

Belleville, topographiquement est resté ce qu’il était, ça va bien.

Et puis un jour c’est le grand boum !

Et puis tout à coup on entend parler d’urbanisme, de promoteurs !… Certains qui ont amassé de l’argent dans tel domaine doivent se dire :- tiens, on pourrait gagner ailleurs, disons l’immobilier ! on casse et on construit !- On commence à en parler dés 1955. Des projets s’élaborent. Et puis un jour c’est le grand boum !

D’abord dans les espaces inoccupés et les maisons d’un étage, comme les ateliers d’ artisans : ils seront les premiers expulsés- à des prix dérisoires ; parfois même manu militari s’ils s’obstinent.

Qui n’est pas sensible aux promesses ?

Place des Fêtes qui n’était qu’ateliers, rue de Belleville, rue Piat ou l’artisanat de Belleville était concentré : c’est un monde qui s’en va… On ne forme plus d’apprentis, et les gens paraissent tant bien que mal accepter cela. D’autant qu’on leur faisait des promesses- qui n’est pas sensible aux promesses ?

Le Bellevillois s’était jusque là contenté d’arranger sa maison, de la décorer. Sa maison. Il n’a quand même jamais formuler le vœu de la casser ! pour lui l’idée fondamentale est de durer, rester là où il avait toujours vécu, où ses enfants même avaient grandi. Il ne faut pas croire qu’on attrapait la tuberculose à Belleville dans les vieux immeubles, pas du tout, les gars étaient immunisés ! Et puis au travers des baraques se faufilaient, éclatants, maints espaces verts et jardins coquets !

Alors les artisans s’en vont, et puis les autres aussi, quoi !

À leur place se dressaient les premiers HLM. Pour les travailleurs de Belleville, pensez-vous ? Même pas ! On y prenait tout le monde, il fallait établir un dossier, présenter une situation convenable, et même les loyers n’étaient pas à la portée de toutes les bourses. Alors les artisans s’en vont, et puis les autres aussi, quoi !

Maintenant Belleville a bien changé d’allure sociale. C’est drôle parce qu’avant les gens de la ville, en bas, là-bas, disaient : " Belleville ? n’y allez pas, ce sont des gangsters !" On ne pouvait que se faire tuer, à Belleville. Cette masse d’ouvriers, c’était forcément de mauvais gens…

On les avait inventés filous, maquereaux. Alors on les a chassés, on a cassé leurs maisons, leur village. Et on a rénové le quartier pour permettre son appropriation progressive par les classes sociales plus riches, pour que les gens de la ville s’y sentent complétement chez eux, un tantinet encanaillés.

(À suivre…)

Photo © L. Le Gall


Article mis en ligne en janvier 2012 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens, actualisé en octobre 2013.

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Réactions
par Myriam - le : 16 décembre 2012

BOTTIER A BELLEVILLE (2)

Bonjour,
Je cherche un artisan bottier pour changer les pressions ou mettre une fermeture éclair sur des bottines (neuves mais dont les pressions cèdent à la marche).
Suis-je à la bonne adresse pour faire effectuer ce travail ?
et est-il possible de se rendre à votre atelier au 89 rue de Belleville, ou éventuellement à une autre adresse ?
Je serais trés heureuse que vous répondiez à ce mail car je cherche depuis longtemps un artisan bottier sur Paris, et de préférence dans mon quartier (j’habite le 19ème).
Merci à vous et veuillez recevoir mes plus sincères salutations.
Melle Myriam Rivenez.

Répondre à Myriam

le : 24 février 2013 par lionel marie en réponse à Myriam

BOTTIER A BELLEVILLE (2)

salut,ici lionel(mazerieux),mon tel:06 62 62 49 25 ,H aperitifs.a bientot.un vieil ami.

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