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Les Hommes et les choses…

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De la Commune de Paris à La Villette et à Belleville (II)


Nous continuons, dans ce numéro 37, la relation des faits marquants survenus dans notre quartier durant La Commune de Paris. Après son début et ses réalisations que nous avons rappelés dans le numéro précédent sous le titre de : " La Commune Victorieuse " nous abordons aujourd’hui sa fin, c’est à-dire : « La Semaine Sanglante ».

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Les docks de la Villette et la Rotonde après l’incendie.



« La Semaine Sanglante »

À partir du 21 mai 1871 commence la chute de la Commune de Paris et, malgré la résistance très acharnée de ses maigres troupes, en huit jours, inexorablement, l’armée versaillaise, dix fois plus nombreuse que celle de Paris, va occuper toute la Capitale et exercer une répression qui scandalisera par sa brutalité parfois même les partisans de Thiers. Cette semaine restera dans l’Histoire sous le nom révélateur de : «  La Semaine Sanglante ».

Du fait de leur situation géographique et de la composition sociologique de leur population, les derniers quartiers qui tombent aux mains des troupes versaillaises sont ceux de La Villette et de Belleville. Rappelons que la ville de Paris était protégée par des forts unis par une ceinture fortifiée et que les voies d’accès à la Capitale étaient en principe, gardées…

À la veille du 21 mai 1871, la situation de Paris est donc celle d’une ville assiégée à la fois par les troupes de Thiers qui se massent autour des fortifications de l’ouest et du sud et par les troupes prussiennes qui, depuis le traité de paix, occupent l’Est et le Nord de la région parisienne. Depuis le 18 mars et avec la participation bienveillante des Prussiens, le gouvernement Thiers a pu considérablement augmenter le nombre de ses troupes et les préparer psychologiquement à leur combat contre la Commune.

Sus à la "crapule" de Paris !

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L’uniforme des Vengeurs de Flourens.

Le dimanche 21 mai 1871, à trois heures de l’après-midi, Ducatel, employé des Ponts et Chaussées chargé par la Commune de la sous commission des barricades de Passy, informe le chef des troupes versaillaises les plus proches que la porte de Saint-Cloud n’est plus gardée…

À cinq heures, les premières troupes de ligne rentrent dans Paris et il y a déjà vingt mille soldats versaillais à l’intérieur de l’enceinte à sept heures trente. Cette entrée inopinée surprendra totalement la direction de la Commune qui, pour comble de légèreté, s’est dotée de chefs militaires incapables de diriger et d’organiser la défense.

Le sabotage d’agents de Versailles restés en place dans l’administration, aggravant encore la désorganisation de cette défense ainsi que l’indiscipline de la plupart des bataillons fédérés feront que la progression versaillaise sera rapide dans les arrondissements de l’Ouest et du Sud parisien.

Le plan des versaillais commence à se dessiner : encercler progressivement à partir de l’Ouest et du Sud les quartiers de l’Est et pousser les troupes de la Commune vers les remparts du XIXème et du XXème arrondissement. Les moyens en hommes de Versailles sont considérables : 130 000 soldats très bien armés et payés, psychologiquement remontés contre la " crapule " de Paris à qui vont s’opposer au maximum 12.000 fédérés, Gardes Nationaux ou volontaires.

JPEG - 57 koÀ partir du lundi 22 mai, la résistance de Paris commence à s’organiser et les barricades se multiplient. Malheureusement, elles s’érigent sans pensée militaire, au hasard, en fonction des goûts et des envies de chaque responsable de bataillon ou de légion et, comme le souligne Lissagaray, historien et participant actif de la Commune : « les points véritablement stratégiques restent dégarnis… »

Cependant, assez rapidement, les grandes voies d’accès aux Batignolles à Montmartre, La Chapelle, les Buttes-Chaumont et Belleville sont barricadées de même que les anciens boulevards.

La progression versaillaise sera grandement facilitée par les travaux d’Haussmann qui ont tracé de grands axes de pénétration, facilement carrossables dans Paris. Ainsi, Belleville pouvait être aisément pris à revers par des troupes utilisant la voie récemment percée de la rue des Pyrénées rue suffisamment large pour que puissent s’y déployer cavalerie et artillerie alors que les autres artères de l’arrondissement ne le permettaient pas.

Au soir du 24 mai, la ligne de l’armée versaillaise s’étend de la Butte aux Cailles à la Chapelle. Les Fédérés ne possèdent plus que les XIème, XIIème, XIème et XXème arrondissements et une partie des IVème, IIIème et Xème. La ligne de front dessine ainsi un éventail dont les deux branches, en se refermant, vont écraser Belleville qui en constitue grossièrement le milieu.

Le 25 mai sera marqué par la mort, sur une barricade de la place du Château-D’Eau ( actuelle place de la République ) de Charles Delescluse, élu du XIXème arrondissement. Lissagaray décrit ainsi sa mort : « Delescluse, lui, continua de marcher. La scène est là, gravée à tout jamais dans notre mémoire. Le soleil se couchait. Delescluse, sans regarder s’il était suivi, s’avançait du même pas. Nous le voyions distinctement à cent mètres, le seul être humain sur le boulevard. Arrivé à la barricade, il obliqua à gauche et gravit les pavés. Pour la dernière fois, sa face austère, encadrée dans sa barbe blanche, nous apparut tournée vers la mort. Tout à coup, il disparut ; il venait de tomber comme foudroyé sur la place du Château-D’Eau ».



L’agonie de La Commune

À partir du 26 mai 1871, seuls les XIXème et XXème arrondissements résistent et sont encore intacts. Les services municipaux sont transférés dans le XXème arrondissement, à la mairie de Ménilmontant. Les débris des bataillons de tous les quartiers se regroupent dans Belleville et le quartier général sera transporté au 145 de la rue Haxo.

La pression versaillaise s’accentue : les généraux Vinoy, remontant vers le Père-Lachaise et Ladmirault vers les Buttes-Chaumont progressent dans leur mouvement d’encerclement de Belleville. À La Villette, Ladmirault s’efforce de tourner par les rues La Fayette et d’Aubervilliers ainsi que par les boulevards extérieurs les barricades de la Rotonde qui sont la clef de voûte de la résistance de ces quartiers.

Les fédérés retranchés dans l’entrepôt de La Villette, attaqués de face et de flanc, finissent par céder et laissent derrière eux des docks en flammes. Le feu dévorant les alcools, les sucres, les bois ’et les goudrons entreposés transforma le bassin en un gigantesque punch dont les flammes étaient si hautes qu’elles se voyaient à quarante kilomètres à la ronde …
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L’incendie des magasins de La Villette.


Une à une, les barricades de la rue de Flandre et de la rue d’Allemagne (actuelle avenue Jean Jaurès) tombent et les survivants sont immédiatement fusillés sur place ; le 27 mai au soir, les Abattoirs et le Marche à Bestiaux sont pris à leur tour.

La progression versaillaise va s’accompagner d’un mouvement de troupe des Prussiens qui, à partir du jeudi 26 vont verrouiller toute possibilité de fuite des fédérés en formant un cordon de cinq mille hommes de Montreuil à Saint-Denis et en livrant même aux troupes de Thiers les Communards échappant aux massacres.

Le même jour, au numéro 85 de la rue Haxo, dans une maison appelée depuis "Villa des Otages", cinquante-deux prisonniers de la Commune parmi lesquels des ecclésiastiques, des gardes de Paris et des agents de Versailles sont sommairement exécutés par la foule rendue exaspérée par les massacres et les exactions des troupes versaillaises malgré l’intervention de plusieurs élus de la Commune tels Eudes et Varlin.

Cette villa, rachetée par les Jésuites sera ultérieurement l’objet de visites, presque d’un pèlerinage.
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Exécution des otages ("reconstitution").


Le samedi 27 mai voit tomber la mairie du XXème et surtout les Buttes-Chaumont après trois jours de bombardements incessants et une lutte féroce à l’arme blanche. Les six cents défenseurs survivants sont aussitôt exécutés.

Au Père-Lachaise, attaqué des trois côtés à la fois, les combats se déroulent au corps à corps, dans les allées, sur les tombes et les derniers fédérés qui s’y battent, au nombre de cent cinquante sept, seront fusillés contre le mur du cimetière.

Le 28 mai, la résistance est circonscrite à quelques rues du Bas-Belleville ; la dernière barricade sera celle de la rue de Tourtille, à l’angle de la rue Ramponneau et Lissagaray en est probablement un des derniers défenseurs.

Les partisans de la Commune survivants tenteront de s’enfuir, de se cacher chez des amis ou des parents ; beaucoup seront dénoncés par les voisins, les concierges ou par ceux qui, craignant eux-mêmes la répression chercheront à se dédouaner. Certains communards se réfugieront dans les Carrières d’Amérique où traqués sans pitié quelques-uns préfèreront se suicider.

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La dernière barricade.


Une répression sans merci

La répression immédiate est brutale, massive et sans jugement ; tout suspect est immédiatement fusillé, la moindre trace de poudre sur les mains entraîne la mort aussitôt. Le chiffre exact de la répression ne sera jamais connu mais, aux Buttes-Chaumont, un énorme bûcher est dressé dans lequel, durant des jours et des jours seront jetés bois et cadavres, pèle-mêle. L’odeur de pourriture et de chair brulée, le lourd nuage de fumée noire qui descend sur Paris resteront longtemps dans la mémoire des habitants du quartier comme un souvenir atroce. Les cadavres de centaines, peut être de milliers, de partisans de la Commune disparaissent ainsi à tout jamais.

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Le mur des fédérés.


Plus tard, certains rescapés de la répression du début seront jugés par des cours martiales ; parmi eux, le cordonnier Trinquet, membre de la Commune pour le XXème arrondissement ne renie rien de ce qu’il avait fait durant l’insurrection et termine sa défense par ces mots : « … mon seul regret est de n’avoir pas été tué, je n’aurai pas le chagrin d’assister ici au triste spectacle de collègues cherchant à éluder la responsabilité d’actes qu’ils semblaient si pressés de commettre… ».

À Belleville, la répression n’épargnera pas les habitants, et, jusqu’à la fin de 1872, des partisans de la Commune seront arrêtés, traduits devant les tribunaux militaires, jugés et emprisonnés ou déportés en Nouvelle Calédonie.
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À la recherche des traces de poudre…


Le quartier apparaîtra aux yeux des observateurs comme vaincu et terrorisé mais toujours insoumis ; un général écrira même à son propos : « le quartier entre la rue de Meaux et la rue de Belleville est le plus mauvais de Paris, les insurgés échappés ne craignent pas d’y manifester leur espoir de recommencer la partie … »

Les injures aux agents de police et aux soldats sont monnaie courante et les arrestations de Bellevillois accusés d’avoir affirmé que la revanche viendra et que la Commune n’est pas morte vont se multiplier dans les mois et les années qui suivent la victoire des hommes de Versailles.


Jean-Paul Haghe et Gérard Serra



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Barricade du canal St-Martin 1871.

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La Villette - Commune de Paris 1871.

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Commune de Paris : les docks de la Villette après les combats.

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Les docks de la Villette et la Rotonde après l’incendie.

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Belleville durant "la Semaine Sanglante".



Retour à l’article récapitulatif (suite et autres article) : http://des-gens.net/LA-COMMUNE-Quartiers-Libres

Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en septembre 2013.

Quartiers Libres, le canard de Belleville et du 19ème (1978-2006) numérisé sur le site internet La Ville des Gens depuis 2009.

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Réactions
par Pascal Varejka - le : 16 janvier 2018

De la Commune de Paris à La Villette et à Belleville (II)

Bonjour,
J’aimerais beaucoup savoir d’où provient la magnifique citation comparant les docks de la Villette en train de brûler à un gigantesque punch. Je pensais que c’était de Lissagaray, Mais ce n’est pas le cas. Y aurait-il un moyen de trouver son origine, bien que l’article ait été écrit il y a pas mal d’années… Merci d’avance de votre réponse.
Pascal Varejka

Répondre à Pascal Varejka

par Michaël - le : 12 mai 2019

De la Commune de Paris à La Villette et à Belleville (II)

Du 22 au 27 mai 1871, les communards exécutèrent 83 prisonniers, au minimum.

Répondre à Michaël

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