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Quelle réalité ?

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Personnes handicapées et droits civiques


« La raison du meilleur est toujours la plus forte. »
Victor Hugo

Il semble paradoxal de s’interroger encore sur la réalité de l’accès aux droits civiques des personnes handicapées en France, pays des Droits de l’Homme, après le vote, il y a un an par l’ONU, d’une Convention sur les droits des personnes handicapées qui consacre une évolution de soixante ans en faveur du principe de non-discrimination ; dix ans après la réaffirmation de ce même principe par le Traité d’Amsterdam ; après l’adoption par notre pays, le 11 février 2005 d’une grande loi visant à promouvoir « L’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».

Doit-on dès lors s’interroger, alors que tous ces textes reconnaissent aux personnes handicapées une égalité absolue en matière d’information, de participation et de défense des droits civiques ? N’est-il pas paradoxal de confronter Handicap et Citoyenneté alors que 2007 avait été proclamée par la Commission européenne « Année européenne de l’égalité des chances pour tous » ?

Plus simplement, la constante réaffirmation de ces droits fondamentaux ne traduit-elle pas, en fait, le hiatus bien réel qui subsiste entre les déclarations de principes et la réalité de leur mise en œuvre ?

C’est ce qui semble ressortir de la « stratégie ambitieuse » définie par la Commission européenne dans le domaine de « l’accès aux droits politiques pour tous », et de l’objectif visant à « stimuler un débat sur les moyens de renforcer la participation par la représentation, des groupes victimes de discrimination », la Commission de constater qu’au sein de nos parlements… « les personnes atteintes d’un handicap sont peu visibles ».

La réalité est, en fait, infiniment plus contrastée. Si, dans la majorité des pays, un « renouveau de la vie démocratique » par la participation, le vote (y compris à domicile) et l’élection de personnes handicapées (y compris mentales) a été encouragé dès les années soixante, en revanche, la France s’est distinguée dans le même temps par son obstination à occulter ces évolutions. Elle n’a que très récemment admis et sous la contrainte (des usagers handicapés et des instruments internationaux), la participation des personnes handicapées à la définition de leur projet de vie et leur représentation au sein des établissements et services, selon le principe universellement admis depuis la Déclaration de Madrid (mars 2002) : « Rien pour les personnes handicapées, sans les personnes handicapées ».

La France détient sans doute aujourd’hui le record du nombre d’adultes encore privés de leurs droits civiques du fait de leur situation de « majeurs protégés »

Concernant l’exercice réel des droits civiques et les mesures visant à réaliser l’égalité politique des citoyens handicapés, les progrès restent encore extrêmement parcimonieux, relevant souvent d’initiatives très isolées et essentiellement centrés sur l’accessibilité.

La loi de 2005, en rappelant l’obligation de « permettre aux électeurs handicapés de voter de façon autonome, quel que soit leur handicap » (art. 72 – Loi 11 février 2005), a certainement contribué à une sensibilisation récente des responsables et à la mise en place d’une palette de réponses pratiques qui mériteraient d’être recensées et généralisées : accessibilité des bureaux de vote - impression des bulletins de vote en braille et gros caractères - accompagnement des citoyens les plus dépendants - traduction en langue des signes ou sous titrage des interventions et débats politiques … Autant de mesures qui, de part leur visibilité immédiate, laisseraient à penser que tout est vraiment mis en œuvre pour permettre aux personnes handicapées de voter et d’exercer leur pleine et entière citoyenneté.

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Pour autant, l’accès aux droits civiques ne se résume pas à l’installation de rampes, à une approche exclusivement environnementale et situationnelle de l’accessibilité, fût-elle déclinée selon les règles de l’universal design.

Malgré cette bonne volonté affichée, la France détient sans doute aujourd’hui le record du nombre d’adultes encore privés de leurs droits civiques du fait de leur situation de « majeurs protégés » sous tutelle. Selon les dernières estimations, plus de 800 000 adultes (soit près de 2% de la population en âge de voter) sont ainsi écartés de leur participation aux différents votes. Cette privation des droits civiques qui constitue l’exception française en matière de démocratie a d’ailleurs été reconduite par la loi de 2005 ( « Les majeurs placés sous tutelle ne peuvent être inscrits sur les listes électorales »- « Ne peuvent être élus les majeurs placés sous tutelle ou sous curatelle. Titre VI relatif à la Citoyenneté - art. 72 – loi du 11 février 2005).

S’agissant des critères moins immédiatement visibles mais tout aussi constitutifs des droits civiques et donc illustratifs du degré de notre exigence en matière d’égalité démocratique, à savoir l’information, la consultation, la participation et l’élection des personnes handicapées, la situation est tout aussi édifiante et traduit un très inquiétant déficit de citoyenneté.

Les personnes handicapées ne disposent pas à ce jour, en effet, d’informations fiables et objectives. Elles restent encore dans le domaine du handicap, et quelle qu’en soit la source, extrêmement lacunaires (généralement cantonnées à des informations juridiques et administratives), parcellaires et orientées, empruntes d’un discours politiquement et psychologiquement correct, infantilisant, inapte à nourrir le sens critique, à former le jugement et le libre arbitre des personnes handicapées, à leur permettre de formuler librement des choix, notamment politiques.

En termes de consultation et de concertation, le constat est tout aussi alarmant et contraire aux droits fondamentaux. Bien qu’il existe différents Conseils nationaux et commissions locales dans le domaine du handicap, ceux-ci restent encore très éloignés de la neutralité économique, et politique, attendues de ce type d’instance. Les personnes directement concernées par le handicap en sont les grandes absentes, exceptées celles qui y siègent au nom des institutions qui les délèguent (associations – entreprises- assurances – milieux financiers et organisations catégorielles) dont l’objet ne peut être que loué mais dont les intérêts sont rarement compatibles avec ceux des personnes au nom desquelles elles sont censées s’exprimer.

Abusivement crédités d’une représentativité, ces Conseils n’ont fait qu’affirmer leur capacité depuis des décennies à dicter une politique hégémonique ayant pour effet de réduire les personnes handicapées au silence et à maintenir cette clientèle captive dans leur dépendance économique. Pour ces raisons, hier responsables du retard accumulé par la France, aujourd’hui à l’avant garde de la privatisation et du transfert des services publics vers le secteur marchand, ces conseils consultatifs ont toujours été, et restent encore, les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics.

Excepté quelques rares exceptions d’associations militantes de personnes handicapées (Groupement français des personnes handicapées – Collectif des Démocrates handicapés – Pôle Handicap et citoyenneté …), il n’existe pas, en France, de réel lobby de personnes handicapées. Les personnes handicapées restent consultées par procuration, sans moyens d’exercer les pressions nécessaires à la défense de leurs intérêts. Il faut certainement voir dans cette lacune une des faiblesses majeures de l’accès aux droits civiques des personnes handicapées.

Dans cette même logique, l’absence, ou la présence exceptionnelle, d’élus handicapés au sein des assemblées nationales et territoriales, prolonge cette mise à l’écart politique. Contrairement à nos pays voisins qui ont depuis longtemps fait en sorte de garantir l’effectivité des droits civiques de leurs concitoyens handicapés, n’hésitant pas à leur attribuer des postes à haute responsabilité, la place de nos élus handicapés, lourdement marquée par des préjugés tenaces, reste essentiellement symbolique et dictée par la bonne conscience et l’affichage politique.

En conséquence, les citoyens handicapés restent ainsi, malgré eux, cantonnés à l’écart du débat politique dont ils sont l’enjeu et l’on comprend mieux, dans ces conditions, les retards accumulés par la France pour respecter ses obligations en matière de citoyenneté, les atteintes aux droits fondamentaux, les abus de faiblesse, les tentatives d’atteinte aux biens et spoliation des personnes vulnérables (récupérations sur succession et tutelles) prises en toute légalité mais en sous mains et en toute discrétion…

Les droits civiques des personnes handicapées restent donc à conquérir par le combat politique…

En conclusion, malgré quelques avancées de façade, le diagnostic de l’effectivité de l’accès aux droits civiques des personnes handicapées est extrêmement critique. Nous nous trouvons confrontés à un véritable déni de démocratie sur fond d’enjeu économique, et aujourd’hui encore, la démocratie représentative des personnes handicapées reste un sujet tabou. Ni informées, ni consultées, absentes des instances représentatives de notre République, les personnes handicapées subissent les lois auxquelles elles ne contribuent pas, restent cantonnées au statut de citoyens de seconde zone, de citoyens passifs, sujets d’une République peu respectueuse des principes de liberté et d’égalité démocratique.

Le processus démocratique est très loin d’être enclenché dans le domaine du handicap pris en tenaille entre charité compatissante et indifférence, et alors que s’impose le concept d’une diversité qui ne semble pas inclure les personnes fragilisées par la déficience. Les droits civiques des personnes handicapées restent donc à conquérir par le combat politique, comme le furent ceux de toutes les minorités, les noirs, les femmes, les homosexuels…

Notre pays balbutie et ne prend pas encore toute la mesure du changement alors que les jeunes générations, issues des années quatre-vingt, revendiquent fortement leur citoyenneté au sein de mouvements radicaux (de type People Firt et Independent Living) et trouvent les relais médiatiques qui feront écho à leurs impatiences.

Les prochaines élections municipales et la place que les listes municipales vont réserver aux candidats concernés par le handicap vont constituer un excellent test de notre démocratie et dire si notre République est garante ou non de l’accès aux libertés et à l’égalité démocratique des personnes vulnérables ; si la France aura eu le courage de s’inscrire dans la modernité du respect des droits civiques des personnes handicapées.

« Hommes et citoyens, nous l’avons dit plus d’une fois dans notre orgueil : le 18e siècle a proclamé le droit de l’homme ; le 19e siècle proclamera le droit de la femme ; mais il faut l’avouer, citoyens, nous ne nous sommes point hâtés … » (Victor Hugo – Actes et paroles).


Qu’en sera-t-il de l’égalité réelle des droits civiques des personnes handicapées ?


Geneviève Lang

CNAM – chaire de Travail social – Coordinatrice du Pôle handicap et Citoyenneté – Adjointe au Maire (Paris 19ème).


Article mis en ligne en 2010 par Salvatore Ursini. Actualisé en octobre 2013.

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