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La Commune dans nos quartiers

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Le commandant Jules Vallès et la prise de la mairie du 19e arrdt


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Jules Vallès photographié à l’époque du siège de Paris : il a 38 ans - (Bibliothèque Nationale).

Jules Vallès, grand écrivain et révolutionnaire, s’est toujours refusé à tirer gloire de ses états de service militaires en faveur de la Commune. C’est que, courageux combattant de l’Idée sociale sur les barricades, il se savait en même temps très peu tissé de la fibre du soldat. Il n’empêche qu’il fut bel et bien officier d’une unité de la garde nationale pendant plus d’un mois. Mieux : au soir d’une journée insurrectionnelle à l’Hôtel de Ville de Paris, le commandant Vallès, à la tête de 36 hommes de son 191e bataillon, s’emparait de la mairie du 19e arrondissement. C’était le 31 octobre 1870.

Il pensait la révolution communaliste ouverte avec quelques mois d’avance. En réalité, les conditions de la Commune n’étaient pas encore réunies. Après une vingtaine d’heures d’occupation, il fut contraint d’évacuer la place et de prendre la fuite pour échapper à l’arrestation. Cet épisode de la geste révolutionnaire de l’auteur de « L’Insurgé » est moins connu que sa participation aux derniers feux communards à Belleville, les 25 et 28 mai 1871. Et comme il est toujours bon de ne pas se camper au seul niveau des grands ressorts épiques de l’action, nous allons raconter cette page d’histoire en dégageant des mobiles personnels de l’homme.

L’hôtel municipal qu’investirent Jules et ses gardes n’était pas, autant le dire tout de suite, la forteresse qui s’élève aujourd’hui sur notre place Armand-Carrel. Ce monument n’entrera en fonction qu’en 1876. A l’époque qui nous intéresse, la mairie du 19e arrondissement s’abritait dans un édifice bien moins grandiose, presque campagnard, au 160 de la rue de Crimée, à La Villette [1]. Cette précision laisse cependant intacte l’interrogation : Que venait faire Vallès dans les faubourgs orientaux de Paris alors qu’il avait plutôt été jusque là une figure républicaine emblématique de la rive gauche et surtout du quartier Latin ? Comment lui, le littéraire, l’intellectuel, s’est-il trouvé au commandement d’un corps de la garde nationale composé pour l’essentiel d’ouvriers bellevillois ?

Ainsi qu’il le confesse dans « L’Insurgé » et plusieurs articles de journaux, c’est seulement en 1869 que son républicanisme d’opposition à l’Empire se teinta de couleurs socialisantes. Ses premiers contacts avec les milieux ouvriers politisés datent de ce moment et il est probable qu’il n’avait jamais connu Belleville auparavant, ce pays qu’il saluera bientôt comme « la terre classique de la révolte ». Il vint y habiter vers le 6 septembre 1870, au tout début du règne du nouveau pouvoir qui succéda à la chute de Napoléon III et peu avant le début du siège de Paris par les armées prussiennes. Où ça ? Eh bien, au 19 de la rue de Belleville, l’adresse qui figure sur des documents militaires signés par le commandant Vallès [2].

De là, l’écrivain et journaliste n’avait que quelques pas à faire pour se rendre à la salle Favié, au n° 13. C’était l’un des plus illustres bals de la butte bellevilloise mais aussi l’un des foyers majeurs de la contestation populaire du gouvernement dit de Défense nationale [3]. Vallès fut, avec Ranvier, Vésinier et Oudet, au nombre des agitateurs qui, dès le 10 septembre 1870, ouvrirent en cet endroit un club « rouge », pilier local d’un véritable contre-pouvoir connu sous le nom de Comité central républicain des 20 arrondissements de Paris. Jules en était membre depuis le 6, délégué des 19e et 20e. Ses prises de parole au club Favié lui gagnèrent rapidement la confiance du public ouvrier. C’est celui-ci qui, bien que l’écrivain fût peu enclin à endosser l’uniforme, le porta littéralement à présenter sa candidature au commandement du tout nouveau 191e bataillon de la garde nationale.

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Des brodequins qui mènent à une armoire

Dans ce type de corps militaire civique, les hommes du rang avaient le privilège de désigner leur chef. Ils élurent Vallès le 20 ou 21 septembre. « à la presque unanimité », souligne le rédacteur de « L’Insurgé ». Mais cet enthousiasme n’était pas du tout partagé par le maire du 19e arrondissement, Félix Richard. Le personnage, fabricant d’instruments optiques, obéissait en effet aux ordres des gouvernementaux (Jules Ferry, Jules Favre, etc.), qui avaient toutes les raisons de s’inquiéter de l’effervescence dans les faubourgs populaires de Paris et tenaient Jules pour un dangereux meneur. Alors, le voir à la tête d’un corps armé…

Le clash entre l’édile et le nouveau commandant ne tarda pas. L’un des premiers actes de Vallès ne fut-il pas de conduire ses hommes pieds nus - mais fusils à l’épaule - aux portes du 160, rue de Crimée afin de réclamer les brodequins de marche qui leur manquaient et que la Mairie, jouant le rôle d’intendance, tardait à leur fournir ? Devant la manifestation de force, Richard fut obligé de délivrer le bon de remise. Mais il encaissa mal l’initiative de Vallès. Et c’est le début de la chaîne des évènements qui conduiront à l’investissement de la Mairie, le 31 octobre 1870.

Selon le témoignage du journaliste, Richard ourdit un coup tordu trois ou quatre semaines plus tard. Il pleuvait ce jour-là, et le commandant du 191e, ne prévoyant pas d’opération, était demeuré chez lui, rue de Belleville. Profitant de son absence, Richard se prévalut de prétendues instructions que Vallès lui aurait laissées pour envoyer une compagnie du bataillon le rejoindre à l’exercice du feu hors les murs de Paris, en vue de l’armée prussienne. Les troupiers ne trouvèrent évidemment pas leur chef au lieu dit et, furieux de cette plaisanterie périlleuse, trempés, ils allèrent protester sous les fenêtres de l’habitat de l’officier. Ils le forcèrent à descendre s’expliquer à la salle Favié, où de 500 à 600 personnes s’assemblèrent. Invectivé, montré du poing, Vallès eut grand-peine à convaincre les gardes de son innocence et de la rouerie de Richard. Il y parvint cependant mais, lucide sur ce que la contestation de ses soldats contenait de juste, il rendit ses galons. Ces compagnons d’armes, comme l’officier démissionnaire eut l’occasion de le dire, étaient d’« honnêtes gens » et, s’ils apercevaient le manque d’aptitude de Vallès pour les choses militaires, ils voyaient aussi brûler en lui la flamme révolutionnaire capable de galvaniser l’esprit de combat. D’eux-mêmes, ils lui demandèrent donc quelques jours après de reprendre son commandement.

Tout donne à penser que Vallès nourrissait l’intention de faire payer au maire sa félonie dès que l’occasion s’en présenterait. Elle arriva le 31 octobre. C’est ainsi que se peuvent comprendre certains détails de la relation tracée par Jules de son occupation de la Mairie du 19e arrondissement au soir de la journée insurrectionnelle. Écoutons Jacques Vingtras, le double de Jules dans « L’Insurgé » :

« Je viens d’entendre, dans l’escalier [de la Mairie], un boucan de tous les diables. C’est Richard, l’ancien maire, qui vient de l’Hôtel de Ville où il est allé chercher des ordres près de ses patrons, et qui traverse le bataillon des envahisseurs. Il se précipite sur l’écharpe [d’édile] dans laquelle on m’a saucissonné […] Il me tient au ventre et essaie de m’arracher la ceinture tricolore qui s’est enroulée en nœud coulant. […] On fait lâcher prise au bonhomme qu’on serre de très près à son tour. Il renverse déjà les yeux ! […]
- Vous pouvez me torturer, je vous dis que demain, vous serez châtié !
- Nul ne songe à vous torturer, mais pour que vous n’embêtiez plus le monde, on va vous coller dans une armoire.
« Et je l’ai fait porter dans un placard… un placard énorme où il est très à l’aise, ma foi, s’il veut rester debout, et où il peut faire très bien un somme, s’il veut s’étendre
sur la planche du milieu, en chien de fusil. […] Une heure du matin. Un des gardiens demande à parler au maire en exercice, au nom du maire sous les scellés. […]
Pardon, excuse, mon officier… mais c’est qu’il se tortille depuis un bon moment. […] Vous comprenez, faut-il le laisser aller, citoyen ?
- Le laisser aller dans l’armoire, oui, a dit Grêlier, l’adjoint. […]
- Vous êtes dur.
- Il est rageur, le gars, et résolu ! Laissez le donc mouiller sa poudre.
« Qu’il la mouille. Moins d’une heure après, un sergent se présente. […] Il apporte des nouvelles de l’armoire.
- Elle est inondée ! […] Mais ce n’est pas seulement cela, mon commandant, il demande à sortir une minute pour… quelque chose de sérieux. […]
- Lâchez-le moi pour de bon ! Passez du chlore dans l’armoire, et donnez à Richard la clé des champs avec la clé des lieux.
 »

Ferme mais mesuré, le réfractaire Vallès ! Dans une version antérieure de ce récit, rédigée une semaine après les événements [4], il la jouait plus grand seigneur démocrate encore : « M. Richard, écrivait-il, a été, c’est vrai, isolé un moment, c’est-à-dire éloigné par la force du danger. Il y avait à craindre qu’il ne fût dans les rues battu, fouetté ! J’ai voulu éviter à la République la responsabilité d’une violence et à cet homme la honte d’une humiliation. » Mais peut-on douter que, dans son for intérieur, l’être de chair Jules jubila de la posture scabreuse infligée à son ennemi personnel ?



Gloire au 191e bataillon !

Garde national partant pour le combat. Lithographie de Daumier pour le Charivari du 20 septembre 1870. Bibliothèque nationale.

Les circonstances politiques l’éloignèrent ensuite des troupiers du 191e. Mais, par le cœur, il leur resta toujours attaché, à preuve, ces lignes vibrantes de son article « Les Bellevillois » dans Le Cri du peuple du 14 avril 1871, au temps de la Commune : « Le 191e bataillon, commandé par le citoyen Lecomte, revenait hier du fort d’Issy, où il était depuis huit jours. Il a passé sur la place de l’Hôtel de Ville, où des membres de la Commune sont venus le recevoir et le féliciter de son excellente tenue. Il rapportait comme trophée une couverture rouge qui lui avait servi de drapeau et était toute criblée de balles, de mitrailles. Un membre de la Commune, du 19e arrondissement, a reconduit jusqu’à Belleville ce glorieux bataillon. […] Il était beau de voir ces gardes venant se reposer au sein de leur famille, et tous prêts à répondre à un nouvel appel de la Commune. »

Le 27 mai 1871, aux heures les plus terribles de la Semaine sanglante, Vingtras-Vallès retrouva des gardes du 191e sur la place des Trois-Bornes, tout en bas de Belleville. Il rapporte dans « L’Insurgé » :
« Jadis, quand j’étais leur commandant, je sauvais mes airs de garde champêtre et mon incapacité militaire en jurant qu’au moment suprême, je serais là avec le bataillon ou ce qu’il en resterait. Il n’en reste pas lourd mais ce reste-là est content de me revoir.
- Alors, vous ne quitterez pas ?…
- Non.
- C’est bien, ça, citoyen.
 »

Vive le commandant Vallès !


Maxime Braquet



Les amours de Jules et Joséphine à Belleville
Le 25 mai 1871, Jules Vallès est présent à la Mairie du 20e arrondissement, au 136 de la rue de Belleville, où les débris du pouvoir révolutionnaire communaliste se sont repliés face à la progression des troupes versaillaises.

Le 26, on le retrouve à la cité Vincennes, rue Haxo, sur les hauteurs bellevilloises, au quartier général de l’ancien secteur de défense contre les Prussiens. Morfondu, impuissant, il assiste là au massacre des otages de la Commune. La foule des fusilleurs, désespérée, enragée par les exactions des troupes de Thiers, assoiffée de vengeance, ne voulait plus rien savoir et envoyait promener les élus communards qui, tel Eugène Varlin, tentèrent d’empêcher le carnage bien inutile. On menaça même de les ajouter devant le peloton d’exécution !

Le 27, Vallès combat sur la place des Trois-Bornes, au bas de Belleville. Au petit matin du 28, ultime jour de la Commune, l’écrivain et journaliste tient son fusil à l’entrée de la rue de Belleville. De son périple tragique sur les pentes de notre montagne, Jules Vallès fait le récit détaillé dans les pages de « L’Insurgé ». Il cite toutes les personnalités qu’il côtoie en ces sombres heures mais omet cependant de signaler une présence constante à ses côtés, celle de sa tendre amie Joséphine Lapointe.

Discret comme il se montra toujours sur sa vie sentimentale, Jules n’en fera jamais la révélation qu’à son vieil ami intime, communard comme lui, Arthur Arnould au sein d’une lettre qu’il rédigea de son exil londonien en juillet 1872 : « Joséphine est une noble fille, elle ne m’a pas quitté une heure, jusqu’à la dernière minute où je lui ai fait mes adieux pour aller à la dernière barricade qu’elle pouvait voir de sa fenêtre. »

Il s’agit de la barricade géante qu’il décrit dans« L’Insurgé » comme se trouvant presque au niveau de la salle de bal Favié, 13, rue de Belleville. C’est certainement au 19 de cette artère que Joséphine habitait encore en mai 1871 et où elle avait vécu avec Jules entre le 6 septembre et le 31 octobre 1870, lorsque son compagnon commandait le 191e bataillon de la garde nationale. On peut imaginer qu’elle garda l’appartement après que Vallès eut été contraint de fuir le 19e arrondissement, au lendemain de l’insurrection ratée du 31 octobre. Sans doute même le communard, dans les semaines de mars à mai 1871, quitta-t-il plusieurs nuits les salons de l’Hôtel de Ville où la Commune tenait ses séances pour aller dormir auprès de celle qu’il appelait sa « grande blonde ».

Il n’y a rien de plus émouvant dans la vie échevelée des combattants révolutionnaires que ces instants d’alcôve volés.


Maxime Braquet


Article mis en ligne en 2010. Actualisé en septembre 2014.

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[1Occupé après 1876 par un orphelinat des Sœurs de la charité de saint Vincent de Paul, le site, complètement modifié, loge de nos jours un centre PMI Enfance et santé.

[2Pour les fouineurs, Archives de la Ville de Paris, cartons D2R4 30 bis, 37 et 130.

[3Lire à ce propos le chapitre « La politique au cabaret « dans La Gloire de la Courtille, bulletin n° 30 de l’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement (AHAV), 2004, rédaction de Christiane Douyère-Demeulenaere, assistée de Maxime Braquet.

[4Lettre ouverte parue dans divers journaux le 8 novembre 1870 en droit de réponse à une campagne calomniatrice lancée par Richard.

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Réactions
par manu - le : 16 novembre 2009

Le commandant Jules Vallès et le 19ème

un exemple à suivre…….

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