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La colonne de Juillet, nécropole révolutionnaire et républicaine


Bien que la Colonne de Juillet ne soit pas sur le territoire de Belleville, l’occasion exceptionnelle d’une visite des caveaux par J.F.D justifiait que ses réflexions sur ce haut lieu de liberté soient partagées avec nos lecteurs.


JPEG - 58.8 koParis, capitale de la France républicaine honore ses grands hommes et ses héros en Patrie reconnaissante à ceux qui donnèrent leur vie pour le triomphe des idées de la Révolution, promotrice des Droits de l’Homme et du Citoyen, jusque dans le droit à l’insurrection contenu dans le 15e article de son préambule : "Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs."

S’appuyant sur les principes de Liberté et d’Égalité, le Peuple de Paris secoue le joug des oppresseurs, lorsque le poids des iniquités est trop insupportable. Les masses laborieuses se soulèvent lorsque Charles X, du guillotiné de 1793, publie les Ordonnances. Celles-ci imposent la dissolution de la Chambre des députés, pourtant réactionnaire, la modification de la loi électorale et la suppression de la liberté de la presse. Les Trois Glorieuses des 27, 28 et 29 juillet 1830 liquident les Bourbons et installent le duc d’Orléans à la tête de l’état. Il est proclamé roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe 1er ; la distinction du vocable Français au pluriel a son importance politique. Le drapeau tricolore flotte à nouveau sur les bâtiments publics. Portée au pouvoir par la courte révolution estivale, la Monarchie de Juillet gouverne bourgeoisement pendant dix huit ans et commet, sous le ministère de Guizot, les mêmes erreurs que Charles X. La dépression économique de 1846, provoquée par la maladie de la pomme de terre et la mauvaise récolte des céréales, entraîne la spéculation sur les matières premières alimentaires. En 1847, les libéraux demandent une modification du système électoral ; en refusant toute réforme, le premier ministre provoque une insurrection de trois journées, les 22, 23 et 24 février 1848.


Paris et ses villages en 1848

Paris compte alors 340.000 ouvriers journaliers gagnant en moyenne deux à trois francs par jour, pour 1.053.000 habitants… La construction des chemins de fer et des fortifications amène une forte concentration ouvrière sur les villages du nord et de l’est parisien, Batignolles, Epinettes, Montmartre, La Chapelle, Belleville, Ménilmontant, La Villette, Charonne, qui s’ajoute au prolétariat artisan. Un pain de quatre livres (2 kilogrammes), au prix de 60 centimes la livre, coûte plus d’une journée de travail pour la plupart des travailleurs. Le 25 février 1848, place de l’Hôtel de Ville, l’ouvrier Marche interpelle le gouvernement provisoire : "Citoyens ! L’organisation du travail, le droit au travail dans une heure ! Telle est la volonté du Peuple !"

Aussi glorieuses que les précédentes, les journées insurrectionnelles se transforment en Révolution par les déclarations de changement de régime, du droit au travail et du suffrage universel. Le 27 février, le Gouvernement provisoire, monté sur le piédestal de la colonne en construction, proclame la République et les émeutiers y brûlent le trône de Louis-Philippe.



Histoire de la colonne du Génie de la Bastille

L’histoire de la colonne du Génie de la Bastille, dite Colonne de Juillet, est directement liée aux évènements insurrectionnels des deux Révolutions déclenchées par la volonté populaire de voir appliqué le principe sacré de sa liberté. La loi du 13 décembre 1830 sur les récompenses nationales précise dans son article 15 qu’"un monument sera consacré à la mémoire des événements de Juillet". La Chambre des Pairs ajoute que"La place de la Bastille nous a paru l’emplacement le plus convenable pour l’érection d’un monument, comme destiné à rappeler les deux mémorables époques du triomphe de la liberté française, 1789 et 1830." La Révolution Française qui instaura la Première République est vite oubliée et la loi de mars 1832 ne rend hommage qu’"aux citoyens morts pour la patrie en défendant les lois et la liberté dans les journées des 27, 28, et 29 juillet 1830." La loi du 9 mars 1833 fixe définitivement la forme et la destination du monument :"une colonne reposant sur un piédestal dont les quatre faces seront ornées d’inscriptions rappelant le grand événement qu’il s’agit de transmettre à la postérité." Une crypte servira de sépulture aux combattants de la Liberté dont les noms seront inscrits sur le métal de la colonne. Une statue de bronze symbolisant le Génie de la Liberté surmonte l’ensemble. Les chaînes brisées portées par le bras libérateur sont visibles de toutes les avenues aboutissant sur la place de la Bastille et des hauteurs de Belleville et de Ménilmontant. Les anecdotes sur le choix légitime des héros devant reposer sous la dalle funéraire sont nombreuses. La commission ad hoc retient 496 noms justifiés par le ministre de l’Intérieur d’Argourt comme étant ceux figurant "sur des documents qui ne permettent pas d’en mettre en doute l’exactitude" puisque ceux-ci proviennent d’une liste des registres de la sépulture nationale du Panthéon établie en 1831… par les services de police dépendant du ministère de l’Intérieur. Parmi les réclamations figurent celle des héritiers d’un sieur Mesnil, professeur de violon au lycée Henri IV, tué (accidentellement) lors de l’attaque de la caserne des gardes de la rue de Babylone [1]. L’épouse du citoyen Papu ne veut pas que son mari soit oublié, lui qui combattit en héros à l’Hôtel de Ville, et quelques autres dont l’histoire n’a pas retenu les manœuvres pour voir leur ancêtre figurer sur le recensement mortuaire et reposer pour l’éternité au milieu de la circulation parisienne.


Les travaux traînent en longueur et les commerçants agacés adressent une pétition au ministre, le 28 janvier 1839 : "Depuis la chute de la branche aînée des Bourbons, huit années se sont déjà écoulées, et c’est à peine si le monument qui doit être le vrai symbole de la Révolution de 1830 a pu sortir de ses fondations. Nous ne chercherons pas à pénétrer les motifs que tant de ministères passés ont eus d’éluder ou de différer l’érection de ce monument. Chaque année de retard est une insulte à la Révolution. L’histoire éclairera un jour ce mystère et nos neveux sauront quelle fut la longanimité du peuple parisien." [2]. Les travaux s’accélèrent enfin, et l’été 1839 voit les trois quarts de l’édifice s’élever au milieu de la place. Le chapiteau est acheminé un dimanche pour éviter un arrêt supplémentaire dû aux délais de transports. Les ouvriers, malgré une gratification de cinq francs en plus de leur salaire, manifestent leur mécontentement et les incidents qui parsèment le parcours transforment le voyage en agitation populaire. Le préfet de police s’inquiète, les rues sont envahies de manifestants porteurs de drapeaux rouges, criant :"Vive la République ! A bas les Ministres !"et chantant à tue-tête le "Chant du Départ" et "La Marseillaise". Certains voulant transformer les troubles en émeute reprennent les strophes du "Prolétaire", sur l’air de "Verse, verse le vin de France" réminiscence du chant des combattant des Trois Glorieuses ; d’autres entonnent les paroles de "Appel" et de "Ménilmontant" écrites par Félicien David :

Comme un privilège arbitraire
Nous détruirons l’oisiveté ;
Le travail aura son salaire,
Et les grands la capacité :
Solidaires les uns des autres,
Les hommes se soutiendront tous.
La pose de la statue du Génie de la Liberté est terminée le 29 avril 1840.

Les caveaux

Les dépouilles des combattants sont amenées de la rue Fromenteau, du marché des Innocents, du Champ-de-Mars, de Grenelle et des caves de la Bibliothèque Nationale et du Louvre, pour être inhumées dans les caveaux de la crypte. Dans leur précipitation, les fonctionnaires municipaux préposés aux transports des cadavres collectent les momies égyptiennes rapportées par les missions scientifiques du Directoire et du Consulat. Elles reposaient dans les sous sols des réserves du musée national en compagnie des quelques-unes des victimes de la Révolution de 1830. L’état de conservation (sic) des unes et des autres rendant la confusion plausible, les corps reposent maintenant de conserve dans l’attente de la Résurrection ; gageons que le Juge Suprême saura reconnaître les siens. La colonne est inaugurée solennellement le 29 juillet 1840, célébrant le dixième anniversaire de la révolution.



Les morts des journées de 1848

L’Histoire populaire se répète lorsqu’il s’agit de la Liberté. Le décret du 2 mars 1848 apporte son lot de héros à la colonne votive."Les corps des citoyens morts pour la République dans les journées des 23 et 24 février 1848 seront déposés dans les caveaux de la Colonne de Juillet et réunis aux cendres des combattants de 1830". Adolphe Crémieux, ministre de la justice, représente le Gouvernement provisoire de la République aux funérailles des insurgés : "En 1789, à cette place, on prenait la Bastille ; en 1830, on nous donnait la colonne de la Liberté ; aujourd’hui nous avons fondé la République. Voilà la gradation. Ce sera la dernière révolution, espérons-le, et nos neveux conserveront un culte pieux aux citoyens qui ont assuré à la France un gouvernement républicain." Le coup d’état du Prince-Président, émule de son oncle Bonaparte, devait démentir ce généreux optimisme. Les glorieux morts de la Commune et les victimes innocentes de la Semaine Sanglante de 1871 furent trop nombreux pour rejoindre leurs illustres prédécesseurs dans les caveaux de la Colonne de la Liberté devenus trop exigus.



État des lieux

Le pèlerin qui a la chance de pouvoir se recueillir sur les tombeaux regrette avec Madame Walhain, Architecte des bâtiments de France au service départemental de l’architecture et du patrimoine de Paris pour les arrondissements circonvoisins, que ces lieux de mémoire républicaine restent fermés au public. Si l’endroit se prête peu aux mouvements de foule, l’aménagement pour une circulation adaptée permettrait aux citoyens de rendre l’hommage qu’il convient aux mânes de leurs libérateurs. Il est judicieux que les visites dans les hauteurs de l’édifice aient été supprimées au milieux des années 1950. Les marches sont glissantes et la plate-forme, aux débords inclinés vers l’extérieur, est plus incitatrice au suicide qu’à la contemplation didactique. Une organisation de conférences par petits groupes, comme la Caisse Nationale en organise pour la Manufacture des Gobelins, semble une formule à retenir. Encore faudrait-il que la Mairie de Paris aménage un passage protégé permettant aux piétons de rejoindre, sans risquer leur vie, le trottoir qui entoure la Colonne de Juillet. L’investissement pour honorer la Liberté est-il à la hauteur du poids électoral représenté par quelques dizaines de républicains impénitents, électeurs, sans doute, de circonscriptions étrangères à la capitale ? Le citoyen impuissant intériorise sa déception lorsqu’il apprend le texte des épitaphes apposés sur les tombes héroïques par plusieurs décrets de l’Assemblée Nationale.

La première fosse porte les mots :"Ici reposent les corps des citoyens français qui s’armèrent pour la défense des libertés publiques les 27,28,29 juillet 1830."
Dans la deuxième crypte, le cœur de l’ardent révolutionnaire tressaille à la lecture de l’inscription gravée dans la pierre : "Ici reposent les corps des citoyens français tombés pour l’établissement d’une République démocratique et sociale [3], les 22, 23, 24 février 1848."

En ces temps d’économie libérale sacrifiant les idées sociales et la conscience politique aux spéculations financières les plus liberticides, une lueur d’espoir luit au fond d’un caveau suspendu sur les eaux du canal traversant la place de la Bastille. La Convention de 1793 voulait baptiser l’endroit laissé disponible par la destruction de la forteresse royale : place de la Liberté.


Jean-François Decraene


Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en février 2014.

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[1Albert Mousset, Petite histoire des grands monuments de Paris, Amiot Dumont, 1949

[2Opus cité et Archives nationales F13.1244

[3Sic transit

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Réactions
par durieux - le : 5 décembre 2014

La colonne de Juillet, nécropole révolutionnaire et républicaine

merci de ces précisions . Je suis entrain de travailler sur F ARAGO et notamment sa statue à Perpignan où on le montre allant de l’observatoire à l’hôtel de ville .

Il aurait été présent le 27 février a la colonne de juillet .
Par contre je n’ai aucun renseignement sur ses apparitions et/ou discours à l’hôtel de ville de Paris .

Où était le siège de ce gouvernement provisoire dont il faisait partie ?

Merci d’avance

Répondre à durieux

le : 8 décembre 2014 par Salvatore en réponse à durieux

La colonne de Juillet, nécropole révolutionnaire et républicaine

Bonjour M. Durieux,

Je pense qu’il siégeait à Versailles mais j’ai demandé confirmation à nos amis historiens.

Je reviens vers vous rapidement.
Cordialement.
S.Ursini
La Ville des Gens

par Salvatore - le : 10 décembre 2014

La colonne de Juillet, nécropole révolutionnaire et républicaine

Bonjour M. Durieux,

Nous avons trouvé une réponse sur l’article du site Wikipédia consacré au Palais des Tuileries, dont j’ai extrait ce texte :

Les Tuileries restèrent inhabitées jusqu’au 21 septembre 1831, date à laquelle Louis-Philippe préférant jusqu’ici résider dans sa demeure familiale, le Palais-Royal, fut contraint de s’installer au palais par Casimir Perier, qui désirait rehausser le prestige de la monarchie de Juillet. Son épouse, la reine Marie-Amélie le trouvait triste et le comparait à une casauba (casbah). La famille royale emménagea donc au rez-de-chaussée de l’aile sud.

Nous ne manquerons pas de vérifier par d’autres biais mais malgré ce que l’on peut entendre parfois, le site collaboratif gratuit Wikipédia contient très peu d’erreurs (3% environ) et est à l’écoute des précisions que peuvent apporter les lecteurs.

Pour confirmation M. André Nicaud nous avait auparavant envoyé ce message :
Voilà une colle intéressante que l’on peut poser à M.Francis Delon, conservateur aux Archives de Paris (Bd Sérurier) ou à la bibliothèque de l’hôtel de Ville (5,rue Lobau) ou à la
Bibliothèque historique de la Ville de Paris ou à Carnavalet.

Cordialement.
S.Ursini

Répondre à Salvatore

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