La ville des gens : 26/février
Un livre indispensable sur Belleville

Henri Launay, docteur ès-poupées


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L’âme populaire de Belleville vous intéresse dans toute sa profondeur ? Alors, il est impossible que vous passiez à côté du livre "La Bellevilloise (1877-1939), une page de l’histoire de la coopération et du mouvement ouvrier français". Il vient de sortir. Son prix est assez élevé mais il correspond à la qualité de l’ouvrage, et à une exceptionnelle série de photographies rarement montrées et toutes passionnantes. Si vous ne pouvez l’acheter, faites-le vous prêter ou bien consultez-le dans les bibliothèques de quartier et lisez-le toutes affaires cessantes.

La Bellevilloise, il y a une soixantaine d’années, pas un Parisien des faubourgs industrieux n’ignorait ce que c’était et où c’était. Elle représentait un symbole de Belleville. Il s’agissait d’abord d’une énorme coopérative ouvrière de consommation qui vendait à prix avantageux les articles d’alimentation et de ménage, vêtements, chaussures, de la meilleure qualité possible dans une quinzaine de magasins répartis sur Belleville, Ménilmontant et Charonne.

Mais ça allait bien au-delà. En réalité, La Bellevilloise constituait une Maison du peuple au plein sens du mot, à but premier économique mais encore syndical, politique et culturel. Y fonctionnaient des dispensaires, une caisse de mutuelle, des patronages, une université populaire, des classes de dessin, de danse, de chant, des orphéons, des chorales, des groupes de théâtre, de sport, une salle de cinéma… Dans les immeubles des 17-25, rue Boyer, où la Bellevilloise avait son centre directeur, se sont croisés Paul Vaillant-Couturier, l’enfant Henri Krasucki et le futur colonel Fabien, Jacques Prévert, André Gide, Eugène Dabit, Francis Lemarque, Jean Guéhenno, Paul Nizan et tant d’autres personnages qui, à leur mesure, ont contribué à l’histoire du XXe siècle.

Ce foyer extraordinaire, chose incroyable, n’avait pas encore suscité chez les historiens une étude digne. Grâce aux excellents travaux de l’équipe animée par Jean-Jacques Meusy, directeur de recherche au CNRS, cet oubli est aujourd’hui réparé d’un seul coup. Et de quelle façon magistrale ! Beaucoup de gens attendaient la sortie d’un pareil ouvrage. Ils ne seront pas déçus, bien au contraire. C’est à une véritable résurrection que l’on assiste au fil des chapitres. Et même si vous voulez approfondir l’étude du mouvement ouvrier et de la coopération, vous y trouverez largement votre compte.

Que l’éditeur Créaphis, auquel on devait déjà le formidable "Belleville, Belleville, visages d’une planète", soit vivement remercié pour avoir permis la publication de travaux qui ne pouvaient absolument pas demeurer inconnus.


M.B.

Ouvrage et éditeur cités, Paris, 2001.



II existe plusieurs manières de raconter une histoire. Aujourd’hui je vous propose un "conte urbain " mais cela aurait pu être un "conte économique"… exercice de style…

Sans nostalgie aucune, il fait bon flairer l’ancien temps, découvrir les métiers d’antan. Avant l’époque du jetable, du tout-à-l’égout, existait le temps du réparable : A l’époque, on conservait les objets et donc on les réparait, nous dit Henri Launay. A l’origine diplômé en électricité, Henri Launay est réparateur de parapluies et d’articles de voyage. Et les réparateurs de parapluies réparent aussi les poupées, lui assure un jour un client qui cherche à faire réparer une pépée. Ainsi naît Henri Launay docteur ès-poupées.

Pour cette nouvelle activité, il crée alors des outils appropriés, rachète des stocks de pièces détachées et répare les jambes cassées, redonne la vue, arrête la chute des cheveux… des poupées. Depuis maintenant trente sept ans, revêtu d’une blouse blanche, Henri Launay procède aux opérations avec précision, application et patience. "Je ne suis pas le seul mais je suis exclusif. Des gens qui font des réparations il en existe, mais des réparations comme je les fais… je suis imbattable, en toute modestie !"

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Sa boutique-atelier au 114, avenue Parmentier, est l’antithèse d’un magasin contemporain au décor aseptisé et aux rayons savamment agencés par des cadres en marketing. Sur les étagères de M. Launay, poupées-sylphides et baigneurs joufflus entrelacés reposent pêle-mêle dans un bazar organisé. Et ce n’est là qu’un aperçu du stock ! De superbes comptoirs de mercerie en chêne massif cachent yeux bleus, marron, verts, jambes blanches, noires, perruques en cheveux naturels, têtes en biscuit, celluloïd, carton-pâte… D’un des tiroirs il extrait deux yeux, allume la bougie d’un chandelier émaillé, écoule délicatement la cire chaude et fixe ainsi les deux petites billes rondes. Puis à l’aide d’un élastique et d’un outil confectionné par ses soins, il relie méticuleusement les membres désarticulés. Je suis bricologue, je travaille à l’œil, je fais l’ours et je suis récipiendaire, déclare-t-il dans un sourire fier et amusé. Les poupées d’Henri Launay sont des objets de valeur sentimentale - pendant la guerre la poupée et le cartable ont fait le voyage de l’exode - marchande - certaines atteignent plus de 50 000 FF et le marché de la poupée aux Etats-Unis est florissant… Henri Launay est aussi un moraliste : "Il faut valoriser le travail manuel. (…). Le travail manuel et artisanal a une valeur égale à celle de l’activité intellectuelle (…). On ne fait que des diplômés et tous les diplômés ne gagnent pas bien leur vie (…). J’ai beaucoup travaillé, j’ai élevé ma famille. Aujourd’hui, j’exerce en dilettante.
Bientôt la fin de l’activité. Mais je dis ça depuis des années… "

Oyez, oyez braves gens ! Avant qu’Henri Launay ne pose sa blouse, fouillez dans malles, caves et greniers : des trésors y sont sûrement oubliés.

Agnès FAMA

Photos Cédric LEMONNIER-LUNDBERG



Article mis en ligne en février 2015.

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