La ville des gens : 11/mars

Loin… et près… de Belleville


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Août 2000, au Fort-Bloqué entre l’estuaire de la Laïta - frontière entre le Finistère et le Morbihan - et l’Ile de Groix, mon Tikrab a 4 ans, elle trottine sur le sable vers les vaguelettes de la marée basse. Je la surveille consciencieusement, car même si la très faible pente de la plage rassure, quelques rares rochers libèrent des trous d’eaux de près d’un mètre, et justement, dans un de ceux-ci, il y a une cinquantaine d’année, s’il n’y avait eu la poigne attentive de mon grand-père, il y a de fortes chances que mon aventure existentielle n’aurait peut-être pas continué ; pour le mieux, j’aurais bu une bonne tasse. Il faisait aussi beau qu’aujourd’hui, mouettes et goémons complices.

Tiens, c’est marrant… , mon grand-père, au moment de mon sauvetage, il devait avoir l’âge que j’ai aujourd’hui. Attendez, 1902-1952/4, oui c’est ça. Tous les deux, au même endroit, à cinquante ans d’écart, on "prête la main" à l’éveil marin d’un petit linéaire, même si, pour ce qui me concerne, j’ai pu faire l’économie d’un échelon puisque Tikrab est ma fille, et que, lui, était mon grand-père.

Tiens, c’est marrant encore… si l’été est de toute façon toujours beau, en Bretagne, septembre se profile, et là c’est moins drôle, on va rentrer (issa à Belleville, rue de l’Atlas, justement dans le quartier où, du côté de ma mère, tout le monde s’est connu, a aimé, travaillé au moins depuis le XIXe siècle.

Famille parigote, comme souvent, métissée d’immigration régionale, de migrations internationales, baignée par le canal de l’Ourcq, le bassin de La Villette, et protégée par la cime des Buttes Chaumont, entre la rue Rouvet, la cour du 194 boulevard de La Villette, les rues Secrétan et Pradier, et les écoles de l’avenue Simon Bolivar.

Mon arrière-grand-père Alphonse Cellié fut contremaître à l’usine du Pont du Tarn, un contremaître à ceinture rouge pour les défilés du ler mai, et certainement d’autres raisons, puisque licencié vers 1910 quand il embarqua Félicie, sa femme et ses 4 enfants, Maurice, Jeanne, Louis et Sissi, pour s’installer rue Rouvet, le long du Canal et des boulevards extérieurs. Lettré, il sera employé d’une librairie passage des Panoramas dans le 2e arrondissement.

Tiens, c’est marrant encore… Louis, le grand-père maître-nageur né à Decazeville qui envoyait régulièrement jean-jaurès à l’Assemblée Nationale (où avait-il appris à nager ? Certainement pas à l’école de la République, ce n’était pas l’usage ; probablement dans les gorges du Tarn), a été arpette électricien avenue Simon Bolivar, à la Thomson d’avant la fusion CSF, et moi j’ai travaillé près de 10 ans pour la Thomson-CSF sur des chantiers du Moyen-Orient… Donc, le maître-nageur électricien, n’ayant pas suivi la essephèféicée (SFFIC) après Tours, victime précoce de la crise qui allait s’afficher en 1929, licencié Thomson, s’engage, un peu obligé me dira-t-il plus tard, dans la police, hirondelle cégétiste au Commissariat du 19e, tandis que Marthe, son épouse, devient concierge chez Montgolfier (les papiers Canson dont l’héritier exerce aujourd’hui les talents de Procureur de la République à Nice, après avoir chatouillé les ambitions de Bernard Tapie, entre autres) au 194 boulevard de LaVillette. Ma mère, ma tante et mon oncle, fréquenteront avec des fortunes diverses, les bancs des écoles bolivariennes, dont celle où Tikrab se fait les dents.

Et puis l’horreur ! Dans ce quartier où déjà toutes les cultures s’enrichissaient, comme aujourd’hui : des frisés fort peu sympathiques défilent, dominent et bientôt ratissent large. En 1941, son encadrement lui demande : de déclarer sur l’honneur, et par écrit, qu’il n’est ni Communiste, ni Franc-maçon, ni Juif Il reposera sa caisse à outils courants faibles sur son vélo, auquel il ajoutera une carriole pour concurrencer les taxis parisiens, les jours où les vaches maigres tenteront de paître entre les mares
des buttes. Il continuera ses activités syndicales policières malgré tout, et sera réintégré en 1944, pour prendre sa retraite et m’apprendre à nager, au Fort Bloqué. Dit comme cela, le film de sa vie paraît bien maigre, mais du coup, le trajet Belleville - Fort-Bloqué, et ces leçons de natation distantes de cinquante ans me donnent envie de retrouver les fils de ces vies - d’autant que du côté de Marthe Gauthier, ma grand-mère dont les parents quittèrent le quartier de 1870 à 1885, exilés à Carouge en Suisse - et de les raconter, pour le fun !

Salut Pépère, l’albigeois de Jaurès.

Dominique DARDEL



Article mis en ligne en mars 2015.

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