La ville des gens : 9/avril

Portait des ateliers Guillet

Le couturier des fleurs qui ne fanent jamais

Tous nos lecteurs savent que Belleville cache de nombreux ateliers artisanaux mais combien d’entre eux connaissent les Ateliers Guillet, au 29, rue du Soleil dans le 20e ?

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Leurs spécialités ? Les fleurs de soie, oui mais pas n’importe lesquelles, des fleurs haut de gamme. En réalité, l’appellation fleurs d’art correspondrait parfaitement à cet artisanat unique qui ne se confond pas avec certaines fabrications artificielles provenant des pays d’Asie du sud-est. Ici, les créations sont faites à la main dans des matières nobles. Et, s’il ne leur manque que le parfum une fois finies, la ressemblance au modèle original est si suggestive qu’elle peut titiller votre mémoire olfactive.

On assiste à plus d’un siècle de travail soigné, d’innovation et de beauté pour les plantes et les fleurs qui ornent salons, châteaux et vitrines mais aussi robes ou accessoires des grands couturiers, faisant la mémoire de l’entreprise familiale depuis quatre générations.

C’est en effet en 1896, que la société Guillet est créée par Madame Marie Guillet, artisan en broderie et fleurs, assistée par son fils André. Jusqu’en 1916, la société est plus particulièrement spécialisée dans le feuillage, installée rue des Bois dans le 19e jusqu’en 1924, date à laquelle elle déménage rue du Soleil. Vers 1940, elle emploie encore plus de 150 personnes. Entre les deux guerres, l’entreprise décide de s’orienter vers les fleurs de décoration que l’on trouve, dès 1956, dans les grands magasins parisiens du Printemps et des Galeries Lafayette qui continuent de nos jours à lui commander des créations et des réalisations de décoration pour tous leurs points de vente de France.

C’est à partir de cette même époque que les établissements Guillet conçoivent des décors magistraux pour les vitrines de la place Vendôme, de Cartier, de Guerlain et des magasins de renom tels que Louis Vuitton, Hermès, Gucci, Caron, Elisabeth Arden.

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En outre, l’Opéra Bastille, l’Opéra Garnier, la Comédie-Française, le Théâtre de Chaillot, ou encore les musées du château de Vaux-le-Vicomte et de Jacquemart-André sont régulièrement fleuris avec talent par le décorateur Raymond Lubrano, mari de Marcelle Guillet, petite-fille du fondateur. Enfin, le cinéma et la publicité font appel à leurs services, soit pour orner des costumes, soit pour des décors. Signalons par exemple que Jean-Paul Goude les a sollicités pour fabriquer plus de 5000 roses qui ont servi à la réalisation de son film publicitaire pour le parfum Eau d’Eden de Cacharel.

Marcelle Guillet, qui dirige aujourd’hui la société avec 40 salariés, s’est attachée à développer le secteur de la mode depuis déjà une vingtaine d’années. Les maisons de haute couture et de prêt-à-porter sont désormais ses interlocuteurs privilégiés : Christian Dior, Nina Ricci, Christian Lacroix, Emanuel Ungaro, Louis Féraud, Guy Laroche, Thierry Mugler, Léonard, Sonia Rykiel, Lolita Lempicka, Torrente, Ocimar Versolato… Leurs défilés s’enorgueillissent de ses fleurs au rythme des tendances et des couleurs en vogue mais la technique, elle, n’a pas changé depuis la fin du XVIIIe siècle. Et les mannequins arborent avec fierté, parfois avec nostalgie, ces délicats accessoires accrochés à leurs robes, leurs chapeaux ou leurs chaussures, quand ce n’est pas à leurs ceintures ou à leurs pochettes. Elles seront portées ensuite par des femmes fortunées et célèbres comme la Reine d’Angleterre et sa fille Anne, pour ne citer qu’elles.



Un siècle de savoir-faire

Guillet s’est constituée une collection de près de 2000 matrices (moules en fonte) qui permettent de fabriquer les pétales de fleurs. Soie, velours, dentelle, mousseline, percale ou encore organza prennent vie dans les ateliers de la rue du Soleil et deviennent fleurs grâce aux mains expertes des artisans fleuristes. L’expérience acquise au fil des décennies et l’adaptation à des méthodes nouvelles ont favorisé la création de 1500 modèles standard. Par ailleurs, Guillet développe des produits sur mesure allant de la pièce unique à l’industrialisation et qui s’exportent dans le monde entier Gapon, USA, Afrique, Moyen-Orient et Europe). Le Japon notamment apprécie beaucoup leur travail depuis que Marcelle Guillet a réalisé une démonstration de l’art de fabriquer les camélias, dans le cadre de la Semaine Française à Tokyo pour les magasins Mitsukoshi. Il serait même question de lui organiser une exposition dans la capitale nippone dans les mois à venir.

Plus près de chez nous, Marcelle Guillet participe activement à la formation de jeunes ouvriers et ouvrières, tant au sein de son propre atelier- avis aux jeunes bellevilloises en quête de vocation-, qu’en qualité de Conseiller de l’Enseignement Technologique et de Présidente du Jury des C.A.P. de Fleurs et Plumes pour la mode et la décoration.



La fabrication d’une fleur

"Le premier secret, confie Marcelle Lubrano, c’est observer la nature, apprendre à regarder. Être initié jour après jour, à la beauté des fleurs et des feuilles afin de susciter l’envie du beau, l’envie de rendre avec quelques étoffes cet aspect si proche de la nature."

La naissance d’une fleur commence par le découpage de la soie en pièces de 1,50 m, apprêtée ensuite un traitement mis au point à la maison Guillet, puis tendue sur des châssis (6 métiers d’un seul coup, 45 mètres en 2h30), et enfin acheminée vers un emporte-pièce choisi en fonction du modèle désiré, avant d’être découpée sous la forme de pétales.

Commence ensuite le travail particulièrement pointu du coloriste. Celui-ci trempe les pétales dans des mélanges de teinture, dont il est le seul à connaître la formule, afin d’obtenir des coloris dégradés, subtils et délicats qu’il retouche un à un au pinceau. Ainsi, pour la haute couture, qui demande parfois des couleurs très audacieuses mais aussi beaucoup de rigueur , l’équipe de Marcelle Lubrano a su combler Basia Zarzycka, la styliste londonienne, avec des roses stridentes et des violets brûlants sur des petits souliers.

Étape suivante, les fleuristes donnent à ces pétales plats leur forme naturelle, bombée, à l’aide de boules et de pinces. Ils façonnent ainsi une rose ouverte ou en bouton, un magnolia, du lilas, un iris ou un pavot. Pas une fleur ne leur échappe.

Les feuilles, durant ce temps, ont vu le jour une à une ; elles ont été collées sur une petite tige, puis nervurées, avant d’être vernies ou retouchées au pinceau, prêtes à composer un bouquet simple ou composé.

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Dans un tel contexte de rêve, on comprend pourquoi Marcelle Lubrano avoue sans hésiter qu’elle est heureuse, pas seulement d’avoir perpétué le travail de ses aïeuls, mais aussi d’avoir entraîné son mari, actuel directeur de la décoration, son fils et sa belle-fille dans les responsabilités de l’entreprise familiale. Tous captivés par leurs activités liées à la beauté et à la qualité qu’ils défendent avec dynamisme et amour. Résultat de leur persévérance et de leur sincérité : la maison Guillet reste la seule à fabriquer des végétaux en soie de A à Z et représente l’un des fleurons de l’artisanat français, méritant encouragements et protection afin de continuer à faire éclore des fleurs artificielles, dignes de ce nom, car éternelles.

Il est possible qu’après avoir découvert cette saga de couturiers de fleurs qui ne fanent jamais, vous ne puissiez plus regarder les défilés de mode sans penser, avec émotion et fierté, que ce merveilleux atelier, brillant comme le nom de sa rue, s’épanouit dans Belleville.


Sylviane MARTIN



Article mis en ligne en avril 2015.

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