La ville des gens : 27/juillet

J.-J. Rousseau passe mal les bornes à Oberkampf


Texte révisé au 27 juillet 2015

Commentaires en forme d’investigation policière sur les circonstances curieuses d’un accident dont Jean-Jacques Rousseau fut victime dans le bas pays de Ménilmontant en un lieu exactement déterminé qu’il ne serait pas vain d’indiquer.

D’après le récit (écrit sans doute en 1777) figurant dans la « deuxième promenade » des Rêveries d’un promeneur solitaire, premièrement publiées en 1782. Le présent texte est la réécriture d d’une version antérieure mise en ligne en avril 2015. Il tient beaucoup compte des observations et critiques que nous a adressées notre confrère Denis Goguet.


« Déposition » du sieur Rousseau, philosophe à la ville :
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Rousseau. Gravure non signée. Crédit : D.R.

« Le jeudi 24 octobre 1776, je suivis après dîner les boulevards jusqu’à la rue du Chemin-Vert par laquelle je gagnai les hauteurs de Ménilmontant, et de là prenant les sentiers à travers les vignes et les prairies, je traversai jusqu’à Charonne le riant paysage qui sépare ces deux villages, puis je fis un détour pour revenir par les mêmes prairies en prenant un autre chemin. […] Mon après-midi se passa dans ces paisibles méditations, et je m’en revenais très content de ma journée, quand au fort de ma rêverie j’en fus tiré par l’événement qui me reste à raconter. J’étais sur les six heures à la descente de Ménilmontant presque vis-à-vis du Galant Jardinier, quand, des personnes qui marchaient devant moi s’étant tout à coup brusquement écartées, je vis fondre sur moi un gros chien danois qui, s’élançant à toutes jambes devant un carrosse, n’eut pas même le temps de retenir sa course ou de se détourner quand il m’aperçut. Je jugeai que le seul moyen que j’avais d’éviter d’être jeté par terre était de faire un grand saut si juste que le chien passât sous moi tandis que je serais en l’air. Cette idée plus prompte que l’éclair et que je n’eus le temps ni de raisonner ni d’exécuter fut la dernière avant mon accident. Je ne sentis ni le coup ni la chute, ni rien de ce qui s’ensuivit jusqu’au moment où je revins a moi. Il était presque nuit quand je repris connaissance. Je me trouvai entre les bras de trois ou. quatre jeunes gens. Lei me racontèrent ce qui venait de m’arriver. Le chien danois n’ayant pu retenir son élan s’était précipité sur mes deux jambes et, me choquant de sa masse et de sa vitesse, m’avait fait tomber la tête en avant : la mâchoire supérieure portant tout le poids de mon corps avait frappé sur un pavé très raboteux, et la chute avait été d’autant plus violente qu’étant à la descente, ma tête avait donné plus bas que mes pieds.

« Le carrosse auquel appartenait le chien suivait immédiatement et m’aurait passé sur le corps si le cocher n’eût à l’instant retenu ses chevaux. Voilà ce que j’appris par le récit de ceux qui m’avaient relevé et qui me soutenaient encore lorsque je revins à moi. L’état auquel je me trouvai dans cet instant est trop singulier pour n’en pas faire ici la description. La nuit s’avançait. J’aperçus le ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure. Cette première sensation fut un moment délicieux. Je ne me sentais encore que par là. Je naissais dans cet instant à la vie, et il me semblait que je remplissais de ma légère existence tous les objets que j’apercevais. Tout entier au moment présent je ne me souvenais de rien ; je n’avais nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venait de m’arriver ; je ne savais ni qui j’étais ni où j’étais ; je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquiétude. Je voyais couler mon sang comme j’aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m’appartînt en aucune sorte. Je sentais dans tout mon être un calme ravissant auquel, chaque fois que je me le rappelle, je ne trouve rien de comparable dans toute l’activité des plaisirs connus.

« On me demanda où je demeurais ; il me fut impossible de le dire. Je demandai où j’étais, on me dit, à la Haute-Borne, c’était comme si l’on m’eût dit au mont Atlas. Il fallut demander successivement le pays, la ville et le quartier où je me trouvais. Encore cela ne put-il suffire pour me reconnaître ; il me fallut tout le trajet de là jusqu’au boulevard pour me rappeler ma demeure et mon nom. Un monsieur que je ne connaissais pas et qui eut la charité de m’accompagner quelque temps, apprenant que je demeurais si loin, me conseilla de prendre au Temple un fiacre pour me reconduire chez moi. Je marchais très bien, très légèrement sans sentir ni douleur ni blessure, quoique je crachasse toujours beaucoup de sang. Mais j’avais un frisson glacial qui faisait claquer d’une façon très incommode mes dents fracassées. Arrive au Temple, je pensai que puisque je marchais sans peine il valait mieux continuer ainsi ma route à pied que de m’exposer à périr de froid dans un fiacre. Je fis ainsi la demi-lieue qu’il y a du Temple à la rue Plâtrière, marchant sans peine évitant les embarras, les voitures, choisissant et suivant mon chemin tout aussi bien que j’aurais pu faire en pleine santé. J’arrive, j’ouvre le secret qu’on a fait mettre à la porte de la rue, je monte l’escalier dans l’obscurité et j’entre enfin chez moi sans autre accident que ma chute et ses suites, dont je ne m’apercevais pas même encore alors. Les cris de ma femme en me voyant me firent comprendre que j’étais plus maltraité que je ne pensais. »


Avant d’entrer en matière, un petit salut s’impose : 64 ans, l’âge qu’avait Rousseau en 1776, n’est certes pas très avancé dans la vieillesse mais le philosophe avait quand même perdu depuis quelques printemps ses jambes de jeune homme. Dans ces conditions, réaliser une promenade pédestre de quelque quinze kilomètres — selon le trajet que le récit reproduit ci-avant décrit, c’est-à-dire au travers d’un paysage montueux — dans un seul après-midi constitue une performance physique tout à fait respectable. D’autant plus que la partie entière de retour de randonnée entre le bas Ménilmontant et la demeure parisienne du philosophe, à la rue Plâtrière (Jean-Jacques-Rousseau aujourd’hui), près de notre forum des Halles, a été accomplie par un homme fortement commotionné.



Analyse du récit fragment par fragment et interprétations sur l’emplacement exact dudit établissement le Galant Jardinier par le citoyen Maxime Braquet.

Après avoir herborisé sur les hauteurs de Ménilmontant puis à Charonne, Rousseau prend le chemin de retour vers son domicile, au cœur de la capitale. Il pratique, nous dit-il, la « descente de Ménilmontant ». Ce que l’écrivain désignait de la sorte est très probablement le long chemin tout en dénivellation qui relie le hameau de Ménilmontant (historiquement perché entre ces limites qui deviendraient nos rues Pelleport et du Retrait) au mail parisien bordé de théâtres qu’on appellerait boulevard du Crime à la Restauration. Le philosophe ne précise pas à quelle hauteur de son parcours de rentrée il rejoignit cette « descente de Ménilmontant » : à la croisée avec les jointures de champs préfigurant nos modernes rues Sorbier ? des Amandiers ? ou, plus bas encore, à la hauteur de ce que sont de nos jours les boulevards de Belleville et de Ménilmontant, inexistants en 1776, comme on sait. Quoi qu’il en soit, le promeneur solitaire cheminait sur ladite descente qui prolongeait sa pente vers Paris en traversant l’axe de la moderne rue Saint-Maur — laquelle, glissons cela en passant, représente un segment de l’antique route reliant les abbayes de Saint-Denis et de Saint-Maur-des-Fossés.

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En 2015, la « descente de Ménilmontant » dans le sens de la montée, vue du carrefour Saint-Maur/Oberkampf. Sur la gauche, on discerne le Café-Charbon. Crédit : DR.


« presque vis-à-vis du Galant Jardinier  ».

Il s’agit manifestement de l’enseigne d’un établissement commercial dont l’activité, cependant, ne nous est pas désignée par Rousseau. La plupart des commentateurs des Promenades pensent qu’il s’agit d’un cabaret ; c’est fort possible [1] mais point assuré. Il pouvait tout aussi bien être question d’un commerce de jardinage ou d’une pépinière. Faisons par ailleurs l’observation que Rousseau n’avait sans doute pas pris note de la proximité dudit Galant au moment de son choc avec le chien. Il était absorbé par ses pensées ambulatoires et c’est d’ailleurs pourquoi l’accrochage avec le danois, non anticipé, fut si dur.

« quand des personnes qui marchaient devant moi, s’étant tout à coup brusquement écartées, je vis fondre sur moi un gros chien danois qui, s’élançant à toutes jambes devant un carrosse, n’eut pas même le tems de retenir sa course ou de se détourner quand il m’aperçut. »

Le chien, donc, montait, suivi d’un attelage, et Rousseau descendait.

« Je ne sentis ni le coup ni la chute, ni rien de ce qui s’ensuivit jusqu’au moment où je revins à moi. Il était presque nuit quand je repris connaissance. »

Rousseau, qui a attaqué la « descente » au soir d’un après-midi de fin octobre, quand la lumière du jour décline déjà assez vite, a donc recouvré la conscience une bonne demi-heure après l’évanouissement.

« Je me trouvai entre les bras de trois ou quatre jeunes gens »

Ces « jeunes gens », peut-on imaginer, étaient les personnes qui « marchaient devant Rousseau », entre lui et le chien. Lui apportèrent-elles secours à même la chaussée ou bien portèrent-elles son corps inanimé dans une maison ? le Galant Jardinier, par exemple ? Le récit rousseauien nous laisse libres d’interpréter comme l’on veut. Le cocher du carrosse figurait sans doute aussi au nombre des secouristes car il n’est guère pensable que ce domestique soit resté perché au poste de conduite de l’attelage sans s’inquiéter de la santé du blessé. Y avait-il en outre un voyageur dans la voiture ? Et lui aussi ne serait-il pas descendu de son habitacle ? le contraire échapperait encore plus au pensable et friserait le délit de fuite. Le philosophe, cependant, ne dit rien sur tout ça, écrivant seulement :

« Le carrosse auquel appartenait le chien suivait immédiatement, et m’aurait passé dessus si le cocher n’eut à l’instant retenu ses chevaux. »

Soit mais à qui, alors, appartenait le carrosse ? Forcément, en ces temps de l’Ancien Régime, à quelqu’un d’un rang plutôt élevé dans la société. L’auteur des Promenades tait son nom dans ce livre — et l’on se demande pourquoi — mais le révèle à un ami intime, le journaliste Olivier de Corancez, qui, au matin du lendemain du jour de l’accident, rendit visite à l’infortuné Jean-Jacques, alité et bien amoché, de la bouche duquel il reçut la narration des faits de la veille [2]. Le maître du carrosse, du chien et du cocher était donc, selon l’aveu même de Rousseau, Michel-Etienne Le Peletier de Saint-Fargeau, très haut magistrat de la Couronne et par ailleurs seigneur de Ménilmontant [3]. Il avait un château familial dans cette localité et c’est cette riche demeure de campagne-là qu’un autre journaliste, Louis-François Métra, qui, racontant à son tour, le 23 novembre suivant, la mésaventure de Jean-Jacques — dont le bruit circula assez vite —, appelle la « petite maison » où monsieur de Saint-Fargeau aurait passé la journée du 24 octobre 1776 en compagnie de sa maîtresse [4]. Rentrant à Paris en son carrosse, il aurait croisé l’herborisateur dans les circonstances fâcheuses que l’on sait maintenant.

Visiblement, il y a une contradiction avec le récit du philosophe, relayé par Corancez, qui, on l’a vu, présente le carrosse montant, et non descendant, la cote de Ménilmontant, c’est-à-dire dans le sens de la grimpée vers le château. Dans la relation de Métra, d’autres éléments méritent une égale circonspection même s’ils ne revêtent pas le même degré de fantaisie flagrante que l’on retrouve sous la plume de maints gazettiers de 1776 à propos de la fameuse collision canino-rousseauienne. Pour Métra, par exemple, l’évènement se déroula en quasi-rase campagne, presque sans témoins, laissant seul abandonné à terre le malheureux auteur des Confessions. Le chroniqueur écrit : « Telle eût été la fin de ce grand homme, si un paysan qui passait par hasard ne l’eût aperçu dans cet état et n’eût l’humanité de chercher du secours à une maison encore très éloignée. » Il relate aussi, information d’une importance indéniable quoique peu vérifiable, que « le maître du carrosse [Le Peletier], ayant par hasard appris quel était l’homme que son chien avait maltraité, a envoyé faire des excuses au philosophe et demander de ses nouvelles. ‘’Dites à votre maître, a répondu Jean-Jacques au valet de chambre, que je suis mieux, que je le remercie de ses offres, et ne lui demander qu’une chose, la suppression d’un chien inutile et dangereux.’’ » (Corancez rapporte le contraire à propos du chien.)

Passons. Ce sont les secouristes qui apprennent à Rousseau ce qui lui est arrivé après le heurt avec le danois — y compris, de toute probabilité, l’appartenance du carrosse à M. Le Peletier ; le philosophe, sur le moment de son réveil, choqué, sonné, à moitié amnésique, n’avait en outre conservé aucune idée, sans doute, de ce qui précéda : l’évènement.

« Voilà ce que j’appris par le récit de ceux qui m’avaient relevé, et qui me soutenaient encore lorsque je revins à moi. L’état auquel je me trouvai dans cet instant est trop singulier pour n’en pas faire ici la description. […] On me demanda où je demeurais ; il me fut impossible de le dire. Je demandai où j’étais ; on me dit, à la haute borne ; c’était comme si l’on m’eût dit au mont Atlas. Il fallut demander successivement le pays, la ville & le quartier où je me trouvois. Encore cela ne put-il suffire pour me reconnaître ; il me fallut tout le trajet de-là jusqu’au boulevard pour me rappeler ma demeure et mon nom. »

La Haute-Borne : eh bien, voilà, nous sommes enfin assez exactement renseignés sur le théâtre de l’accident. La rédaction des Promenades prête à penser que Jean-Jacques n’avait pas connu l’endroit auparavant, qu’il le découvrait pour la douloureuse occasion ; il y passait pour la première fois. Mais le lieu ainsi dit est bien populairement connu, marqué comme tel sur plusieurs cartes du XVIIIe siècle : le plan de Roussel (1730) ; celui de Bernard-Antoine Jaillot (1762) et enfin celui de Jean-Baptiste Jaillot mis à l’impression juste un an avant l’aventure de Rousseau [5] : il s’agit du carrefour de nos modernes rues Oberkampf et Saint-Maur. Sur les deux derniers plans, le dessinateur a de plus figuré par le tracé d’un carré ce qui pourrait être la haute borne elle-même, l’objet éponyme de la croisée de voies en question.

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Détail du plan de Jean-Baptiste Renou dit Jaillot (1775) : le carrefour de la Haute-Borne (l’édifice éponyme est colorisé en rouge par nos soins). La rue que le cartographe nomme « Blanche » correspond à notre rue Saint-Maur ; la « rue de la Roulette » est le nom que porta autrefois, un temps, notre rue Oberkampf. Dans le cadran en bas et à droite, on discerne la silhouette de moulins : c’est dans leur parage direct qu’aurait pu se situer le Galant Jardinier. Crédit : BNF, C&P, GE A1370, et Gallica.


JPEG - 117.5 koQu’est-ce que cela pouvait être ? Très certainement une antique pierre levée, le vestige d’un mégalithe préceltique voire néolithique. Des « hautes bornes », souvent désignées par erreur menhirs, il en subsiste des dizaines en France aujourd’hui, protégées au titre des Monuments, comme celle de Fontaines-sur-Marne ((Haute-Marne) dont la photo est insérée ci-contre.

La nôtre, si nous pouvons parler ainsi, de haute borne a disparu totalement de la circulation, renversée, sans doute, et réduite en poussière dans un galop de l’urbanisation du quartier au début du XIXe siècle. N’aurait-on pas mieux fait de s’en servir afin d’écouter la suggestion qu’exprimait en 1789 Antoine de Barruel-Beauvert, premier biographe du Genevois [6], en se référant au croisement routier : « Si quelque jour l’on élève un monument à Jean-Jacques Rousseau, ce sera là, j’en ai exprès marqué la place » ? Avant sa déchéance, notre haute borne avait dû servir au bornage de champs. Pour ce même usage, il y eut apparemment nombre de bornes, mais plus basses, dans le pays bellevillois occidental ; d’où notre rue des Trois-Bornes, par exemple. En 1775, elle marquait peut-être, c’est à vérifier, l’endroit du bureau d’octroi de la Ferme-Générale, une barrière mobile, montée sur roues : d’où le nom de rue de la Roulette que porta à cette époque le segment du chemin de Ménilmontant entre les rues de Popincourt — dite la Folie-Méricourt à cet endroit de nos jours — et le carrefour Saint-Maur.

Revenons au Galant Jardinier qui, soit dit en passant figure sans aucun commentaire dans le récit de Corancez.et n’est pas du tout présent dans celui de Métra. Barruel-Beauvert le mentionne aussi, certes, mais en tant qu’appellation de quartier (le biographe ignore manifestement l’usage du toponyme Haute-Borne) et non établissement commercial. Le narrateur Rousseau est finalement le seul à parler de la Haute-Borne. Et c’est déjà une excellente localisation sur l’axe qu’il appelle « descente de Ménilmontant », fort étiré.

Si l’on a ensuite le besoin de situer le Galant jardinier par rapport à la Haute-Borne et en même temps de déterminer assez précisément le point de l’embrassade brutale de l’écrivain et du danois, il faut alors se livrer à un jeu d’hypothèses à partir du récit de ce bon Jean-Jacques (le plus complet et fiable). Il y a deux grands cas de figures selon que la rencontre eut lieu avant ou après le franchissement de la barrière de douane par l’écrivain — et tout en admettant que le poste d’octroi se tenait en effet au carrefour Saint-Maur/Oberkampf en 1776. Si ce fut avant, on doit imaginer quelques dizaines de mètres au moins entre la barrière flottante et le Galant — vis-à-vis duquel l’excellent Jean-Jacques avait « presque » mené ses pas — car le chien, dont la course a nécessairement été stoppée — ralentie en tout cas — par le passage de l’octroi, avait besoin d’une vraie reprise d’élan pour commotionner si grandement Rousseau quand il le rejoignit après avoir dépassé le Galant. Au minimum, ce dernier s’ouvrait donc, dans cette conjecture, plus ou moins à la hauteur de notre villa Gaudelet. Si le choc se fit au contraire après que Rousseau eut franchi la barrière, il est plus difficile d’évaluer les écarts puisque, en cette situation, rien n’entravait la course parfaitement lancée du chien si ce n’est l’obstacle même du promeneur : le Galant Jardinier pouvait alors se trouver à quelques pas en aval de la douane, soit à la hauteur des présents n°88 ou 86 de la rue Oberkampf, ou bien beaucoup plus bas, à une distance indéterminable mais sensiblement étendue au-delà de notre avenue de la République. Dans les deux hypothèses, ce qui limite en vérité l’évaluation de l’éloignement maximal, c’est le bon sens : passé un certain métrage, la référence d’un endroit donné à un lieudit, la Haute-Borne en l’occurrence, n’a plus de sens pratique ; raisonnablement, il faut au final réduire la zone d’implantation probable du Galant à l’espace entre l’actuelle rue Crespin-du-Gast et le carrefour de la rue Oberkampf avec nos avenues Parmentier et de la République.

Peut-on vraiment trancher entre les deux hypothèses ? Notre confrère historien Denis Goguet le croit, qui, au terme d’une longue investigation, échevelée mais rigoureuse, dans les archives du XVIIIe siècle (notamment les annonces de vente de terrains et les actes notariés), se sent assuré d’affirmer— non sans de bons arguments — que le Galant Jardinier, qui serait bel et bien un cabaret, suspendait son enseigne à la hauteur des n° 80 et 82 de notre actuelle rue Oberkampf, tout près de l’avenue de la République, laquelle, est-il besoin de le rappeler ? n’était pas encore tracée et encore moins nommée ainsi à l’époque anté-révolutionnaire de la mémorable promenade de M. Rousseau. M. Goguet devrait prochainement publier son minutieux travail au sein de la collection « Classiques » de l’éditeur Garnier, sous le titre : L’Accident de Ménilmontant.


Maxime Braquet
18 mai 2015



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Notes :