La ville des gens : 5/juin
Q.L N° 106 - Printemps 2008

Mémoire, mémoire.


En Afrique, on dit que lorsqu’un vieil homme s’en va rejoindre les ancêtres c’est une bibliothèque qui se meurt. Combien avons-nous laissé partir de rayons de livres sans réagir ?


Nous avons dans l’ensemble privilégié l’histoire fiction et l’anecdote politique, la vie des vedettes et le récit du détenu de droit commun. Nous avons malheureusement ignoré l’autobiographie de l’illustre inconnu. Par les faits relatés, ce dernier nous conte notre histoire et ses écrits sont plus enrichissants pour nous que ceux proposés par les médias à grand renfort de publicité. Le monde est ainsi fait, je terminerai donc ici mon analyse.

Dans l’autobiographie moderne, l’auteur se remémorant sa vie nous livre une petite partie de notre vécu. Souvent il se voit adolescent et jeune homme (adolescente et jeune femme) avec sa vision d’une personne retraitée. La mémoire peut être altérée par les années, les choses qui lui paraissent sans intérêt à l’âge mûr étaient peut-être attrayantes à 15 ans et la peur de dire la vérité peut altérer le récit.

Comment être sûr qu’un livre nous contant la vie d’une personne du début du XXe siècle soit sans erreurs ? Le fait de puiser dans d’autres récits réduit notre assurance en la vérité.

Il reste une solution, compulser les photos de famille et les cartes postales. Très en vogue au début du XXe siècle, elles ont emmagasiné une multitude de renseignements sur la vie de l’époque sans le vouloir. L’industrie naissante de la photographie alliée à l’imprimerie déjà bien ancrée dans les habitudes, nous ont laissé des millions de cartes postales. Elles ont été quelquefois enjolivées par des objets absents de l’endroit, mais aucun photographe ne pouvait inventer des choses inexistantes à l’époque.

Comment regarder ces photos au format 9 x 14 ? Certainement avec le plus grand soin pour ne pas dire à la loupe comme je le fais. Vous découvrirez tout un monde, nous indiquant : L’époque, l’environnement avec les habitations et les commerces. Le tissu social, et les manifestations de mécontentement. La mode avec la longueur des robes, les bérets, les chapeaux melon ou les canotiers.

La convivialité d’une même rue, tous posant pour le photographe et même l’homme levant son chapeau devant une dame. C’est une autre époque me direz vous, j’aimerais vous la faire découvrir au travers de quelques Cartes Postales Anciennes (CPA) de votre Quartier.


Cette carte très intéressante, du boulevard Magenta, peu éloigné du XIXe arrondissement, représente la manifestation du 1er mai 1906. Le photographe montre le début de cette « journée historique » les omnibus peuvent encore circuler, mais les commerces ont laissé leurs rideaux métalliques fermés. Vous pouvez remarquer qu’il n’y a que très peu de femmes, quelques-unes à droite. Les hommes sont de toutes classes sociales, de l’employé en costume trois-pièces et chapeau melon à l’ouvrier en bleu de travail et casquette. Certains ont le costume trois-pièces avec canotier ou casquette, comme un dimanche. La majorité des hommes ont des pardessus, certains ont des parapluies fermés. Ce premier mai était frais, et les esprits étaient échauffés, puisque selon les journaux de l’époque, la pluie qui est tombée n’a pas calmé l’ensemble de la manifestation. Un omnibus fut renversé et la garde à cheval que l’on aperçoit au milieu de la carte de chaque côté a chargé faisant 200 blessés et près de 700 arrestations dans Paris. Comment aurais-je pu, moi qui suis né 36 ans plus tard, voir et parler dans « l’Inconnu des Lilas » de cette journée sans trop faire d’erreur ?


Cette autre carte (année inconnue) nous montre l'angle de la rue Asselin et du boulevard de la Villette.

Cette autre carte (année inconnue) nous montre l’angle de la rue Asselin et du boulevard de La Villette. Cette rue rejoignait la rue Monjol et n’existe plus. Au sommet des escaliers, l’hôtel « Bel-Air », sur la droite celui du « Fort Monjol », en bas au n° 94 le café-hôtel « A la Renommée du picolo d’Auvergne » tout un programme. Un chien se prélasse devant la porte. Des hommes se retournent sur une femme qui vient de sortir de chez elle. Elle est en robe longue. Au milieu un livreur porte un casier à bouteilles sur l’épaule, un autre pousse une voiture à bras. À droite un terrain vague, déjà, avec une palissade, un homme passe rapidement devant trois enfants qui jouent sur le trottoir, en dessous de l’affiche du “Petit Parisien”. Plus à droite le spectacle de “la Scala” fait sa publicité. Ne croyez-vous pas que cette photo de la vie quotidienne empreinte de calme et de sérénité pourrait inspirer une nouvelle ?


Le métro aérien photographié de la rue La Fayette en direction de notre actuelle avenue Jean Jaurès, l’avenue Secrétan et le boulevard de la Villette se trouvent sur la droite. Cette carte datée de 1912 est très intéressante puisqu’elle signale la rue d’Allemagne qui a changé de dénomination en 1914 pour devenir Jean Jaurès. Sur cette carte il y a aussi des transports hippomobiles qui eux furent supprimés en 1913 Celui de gauche est en direction de La Villette, un fiacre au milieu se fraie un passage. Dans l’avenue Secrétan le « Grand Hôtel » dont le fronton sert de publicité au « Petit Parisien. » Près du kiosque à journaux, deux agents de police sont avec des tenues, boutonnage en V.


Cette carte de la rue de Belleville, compte tenu de la voiture et des tenues vestimentaires (chapeau cloche) semblerait dater des années trente, le tampon est illisible (1924 ou 1934.) Il n’est pas possible non plus de lire l’affiche du cinéma Le Floréal) à gauche sur l’auvent du café-tabac, une toile a été ajoutée avec les lettres P.M.U. Vers le haut une publicité pour un apéritif bien connu décore le fronton d’un immeuble, juste après le Belleville Pathé. Une foule importante marche sur les pavés, nulle trace de rails du célèbre tramway de Belleville. La ligne 11 fut construite en 1931 et mise en service en 1935. Avec tous les éléments cités, il est possible de donner l’endroit et la date de la photo sans trop d’erreurs en faisant quelques recherches.


Cette carte publicitaire, dont le dos servait à la commande de charbon, est prise de la passerelle. Nous sommes quai de Loire, elle nous montre le trafic fluvial important devant la Société des Charbonniers « pas moins de 5 péniches et 4 voitures à cheval sont en attente. Ne croyez pas qu’il n’y a personne, au milieu de la carte des manutentionnaires attendent les bras croisés devant des charrettes ». Dans l’entrepôt près de l’Hôtel du port c’est l’effervescence. Une femme tenant un enfant dans les bras est en robe longue sur l’avant d’une péniche.

Amoureux de votre quartier et curieux de son histoire je ne saurais trop vous conseiller de regarder différemment, pour ne pas dire à la loupe, vous apprendrez beaucoup de ces vieilles photos oubliées au fond d’un tiroir ou dans une malle. Elles sont la mémoire vivante de ce début de siècle que pratiquement personne d’entre nous n’a connu.

René Minoli



Article mis en ligne en 2010 par Salvatore Ursini. Actualisé en octobre 2013.

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