La ville des gens : 30/juin
Belleville à tombeau ouvert (2)

Mgr Maillet et l’aube bellevilloise des Petits Chanteurs à la croix de bois

JPEG - 108.5 ko

Belleville à tombeau ouvert : les hôtes remarquables du cimetière de la rue du Télégraphe.


JPEG - 39.4 ko

Le jeune abbé Maillet, 27 ans, frais nommé vicaire à l’église Saint-Jean- Baptiste de Belleville - (Archives des Petits Chanteurs à la croix de bois)

Notre première visite : Léon et Camille Gaumont (voir Q.L n° 103), aux hôtes marquants du cimetière ex-communal de Belleville nous avait reliés au monde du cinéma. Eh bien, l’arrêt que nous effectuons cette fois-ci devant la tombe de Mgr Maillet (1896-1963) [1] ne nous en éloigne pas complètement. Certes, la personnalité de ce prélat est, en dehors de sa mission religieuse, avant tout attachée à l’univers musical et plus particulièrement à l’art choral. Cependant, les enfants des Petits Chanteurs à la croix de bois dont il a dirigé l’ensemble pendant plus de trente ans, ces enfants, donc, ont prêté le concours de leurs voix d’or à plusieurs films. Ils y ont même tenu un rôle dans l’action dramatique. La plus remarquable de ces œuvres est sans doute La Cage aux rossignols, de Jean Dréville (1945), dont Christophe Barratier a récemment réalisé un remake brillant, Les Choristes, avec Gérard Jugnot.

Alors, nous n’irons pas plus loin dans le cinéma avec ce deuxième article mais nous ne nous consacrerons pas davantage à relater l’histoire des Petits Chanteurs ou la carrière de Mgr Maille. Ce sont seulement les origines de l’une et de l’autre qui nous intéresseront, non seulement parce qu’elles se trouvent liées, mais encore parce qu’elles s’enfoncent dans notre sol bellevillois. En passant, nous nous donnerons l’occasion d’éclairer une page méconnue de la chronique de notre terroir.

JPEG - 91.9 ko

À gauche, l’église Saint- François-d’Assise de nos jours, vue du 16, rue du Général- Brunet où s’ouvrait, en1921, une cour du patronage Saint-Landry

Nous partirons d’ailleurs de là. Sans être forcément catholique pratiquant, chacun connaît l’existence, au 9 de la rue de la Mouzaïa, dans le secteur dit des Carrières d’Amérique, de l’église Saint-François d’Assise. Sa silhouette architecturale tout en béton recouvert de brique et évoquant l’art roman ombrien se remarque en effet dans le décor local. La construction de ce temple chrétien avait été décidée un peu avant la Première Guerre mondiale en même temps que la création d’une nouvelle paroisse qui, au départ, n’était pas dédiée à la mémoire de l’homme qui parlait aux oiseaux mais à celle d’un saint bien moins médiatisé, Landry. Toutefois, une suite de circonstances, dont la guerre, retardèrent beaucoup les travaux de l’église, qui ne verront leur achèvement qu’en 1926. En attendant, l’archevêché de Paris fit aménager au 16, rue du Général-Brunet, dans un ancien atelier de serrurerie, une chapelle « de secours » pour que les infortunés paroissiens de Saint-Landry pussent quand même bénéficier de messes.


L’aumônier de Saint-Landry

À l’été de 1921, un prêtre de 25 ans tout récemment ordonné arriva ainsi dans la baraque en planches promue chapelle. Il devait s’occuper de deux patronages de filles et de garçons. Ce juvénile aumônier s’appelait Fernand Maillet. Sa désignation en ce coin un peu perdu de Belleville ne tenait certainement pas du hasard. En effet, Fernand, s’il ne fut pas natif de notre colline (il a vu le jour dans le 11e arrondissement), a passé une bonne partie de son enfance aux portes des Buttes-Chaumont. Sa famille habitait depuis 1907 sur les hauteurs de l’avenue Secrétan et, gosse, le futur prêtre jouait aux Peaux-Rouges sur les pelouses accidentées du grand jardin public. Élevé dans un esprit catholique fervent, il fut enfant de chœur à l’église Saint-Georges, dans le bas de l’avenue Simon-Bolivar. Fernand était donc une manière de « régional ».

Le tout neuf vicaire avait bien besoin de la foi ardente et de la fougue propres aux néophytes. On lui avait donné pour « presbytère » un logis étroit autant que spartiate au 31 de la rue du Général-Brunet et il devait crotter sa soutane pour encadrer ses petites ouailles foulant les terrains vagues boueux qui leur servaient de cours de jeu. En ce temps-là, rappelons-le, la riante cité résidentielle quadrillée de venelles fleuries qui s’étale aujourd’hui sur les coteaux Nord-bellevillois n’avait pas encore effacé, loin s’en faut, le paysage désert et déprimé que la fermeture des vieilles carrières de gypse avait laissé. Mais pour donner du cœur aux œuvres paroissiales, le sémillant abbé avait une idée. Séminariste,il avait découvert en 1917 les vertus du chant choral pour éveiller l’âme des jeunes chrétiens, cela en côtoyant une manécanterie de garçons de la rue Lecourbe (quartier Vaugirard). Cette formation, fondée dix ans plus tôt par des étudiants – dont Jean Rebuffat – et qui, dirigée par ce dernier devenu abbé, jouissait déjà d’une solide réputation à l’échelle nationale en 1921, se nommait les Petits Enfants à la croix de bois. Si ce n’est donc pas Fernand Maillet qui la créa, contrairement à ce qu’on entend parfois, elle fut pour lui l’inspiration décisive.

À peine installé à Saint-Landry, il entreprit de monter, avec une dizaine de gamins des rues Compans et de la Mouzaïa, une maîtrise enfantine paroissiale. Son enthousiasme parvint même à convaincre les supérieurs dont il dépendait de donner l’autorisation de bâtir, à côté de son habitation, un baraquement pour les répétitions. Il participa de sa poche à la construction. Naturellement, les Petits Chanteurs de Saint-Landry, titre de la jeune maîtrise, concoururent à la liturgie. Mais l’œuvre n’eut guère le temps de se développer car Fernand Maillet, en 1923, fut rattaché à l’église Saint-Jean-Baptiste, au cœur du village historique de Belleville. Il reçut alors la charge de l’aumônerie de l’école chrétienne des Frères du 46, rue des Solitaires [2], à deux pas de la place des Fêtes.


La chance formidable de l’abbé Maillet

Le changement d’affectation ne découragea nullement les plans de chorale du vicaire. Fort de l’appui de son curé, le chanoine Mouraux, il fonda une nouvelle maîtrise avec les élèves de l’école et les répétitions eurent lieu à côté, au 48. Rapidement, la Petite Maîtrise de Belleville fut en capacité, non seulement d’assister la chorale des adultes dans l’église Saint- Jean-Baptiste lors des messes, mais encore de donner des concerts de chants sacrés à l’extérieur.

C’est là que le merveilleux intervint. Fernand Maillet n’avait pas vraiment conscience de la notoriété de son travail quand, en 1924, il s’entendit formuler une offre extraordinaire. Pour situer l’évènement, il faut savoir que, depuis quelques années, la fameuse manécanterie des Petits Chanteurs à la croix de bois traversait une grave crise administrative et financière. Voici donc que, de cette chorale chevronnée, le successeur de l’abbé Rebuffat, Jacques de Noirmont – qui tenait en haute estime son homologue du 19e arrondissement –, vint à Belleville pour « négocier » la fusion des deux maîtrises avec l’abbé Maillet et le transfert du siège de Vaugirard sur notre colline. Se jugeant indigne de l’honneur qu’on lui rendait mais tout à la fois conscient de ses obligations, le jeune vicaire accepta sur-le-champ la proposition. Peu de temps après lui échut la responsabilité centrale de la manécanterie regroupée qui, tout en gardant le nom des Petits Chanteurs à la croix de bois, connut dès lors un second départ, l’essor définitif dont chacun connaît assez la grandiose épopée en France et sur tous les continents (elle se poursuit de nos jours). En 1930, sans changer de paroisse, la Mané, comme on la désignait familièrement, déménagea au 68, rue des Rigoles (Ménilmontant), dans des locaux plus vastes comprenant un réfectoire.

JPEG - 99.8 ko

Image souvenir de la fusion des manécanteries de Vaugirard et de Belleville en 1924. Au centre de la photo, l’abbé Maillet. (Archives des Petits Chanteurs à la croix de bois)


Jusqu’à la fin de 1942, les « Rigoles » demeurèrent le foyer pilote d’une œuvre qui, solidement organisée sur le modèle du scoutisme, prit en moins de dix ans la dimension d’une institution nationale. En même temps, l’inscription bellevilloise se renforça du simple fait que les enfants – c’est bien connu –vieillissent et qu’il faut donc les remplacer ; on verra ainsi les nouvelles recrues appelées à succéder, notamment, aux pionniers de la chorale de Vaugirard venir pour l’essentiel des familles humbles du crû.

JPEG - 32.7 ko

Tombe de Jean Marcopoulos. (Famille Marcopoulos et Maxime Braquet)

Faut-il après tout cela s’étonner de la reconnaissance que la municipalité du 19e arrondissement témoigna à Mgr Maillet [3], en 1963, dès le lendemain de sa mort, en donnant son nom au square de la place des Fêtes ? Rien de plus normal en fait. Tout comme se comprend la présence de la demeure ultime du vicaire de Saint-Jean-Baptiste au cimetière de la rue du Télégraphe. Détail émouvant, l’abbé Roger Delsinne est enterré dans la même enceinte ; il avait été le bras droit du chef de la Mané pendant des années et prit avec compétence sa succession jusqu’en 1978. Au centre de la nécropole figure également la sépulture d’un protégé de Fernand Maillet, le Petit Chanteur bellevillois Jean Marcopoulos [4] (né en 1923), qui était chef de partie soprano au sein de la patrouille Vincent-d’Indy. Les plus âgés des lecteurs de Q.L ont sans doute connu Jean aussi dans un tout autre registre. Rebaptisé pour la scène Marco, il fut en effet, après 1947, l’une des vedettes du légendaire orchestre de variétés de Jacques Hélian, précurseur de notre Splendid. Hélas, Jean périt tragiquement, en 1953, fauché en pleine gloire dans un accident de voiture. Auteur de chansons, il a notamment laissé ces vers : «  Il avait croqué une poignée de grains de café / Depuis il était très très très énervé / Il n’arrêtait plus de trotter à travers les rues / Il n’arrêtait plus d’chanter comme un perdu », qu’on voudra bien entendre ici afin de ne pas sortir de notre histoire de cimetière avec une tête d’enterrement.


Maxime BRAQUET


Bibliographie.

Abbé Maillet, Les Petits Chanteurs à la croix de bois, souvenirs et anecdotes,
éd. Flammarion, 1946, livre repris et complété par Les Petits Chanteurs à la croix de bois d’hieret d’aujourd’hui, éd. Flammarion, 1948.


Dernièrement, un lecteur nous a fait part du décès en août 2014 de Roger KREBS, un p’tit gars de belleville, acteur français et ex-petit chanteur à la croix de bois chez l’abbé MAILLET. Il fut célèbre dans les années 40 avec "La cage aux Rossignols" et "Le visiteur" de Jean Dréville ; "La Maternelle" de Henri Diamant-Berger ; et "Tête blonde" de Maurice Cam. Depuis 1950 il vivait au Canada … Il est parti avec ce même visage d’ange…

Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en juin 2014.

Quartiers Libres, le canard de Belleville et du 19ème (1978-2006) numérisé sur le site internet La Ville des Gens depuis 2009.

Consultez les archives et les nouveaux articles jamais parus dans la version papier de Quartiers Libres numérique

Toute utilisation en dehors du cadre privé ou scolaire doit faire l’objet d’une demande auprès de l’association Quartiers Libres et/ou de la Ville des Gens

Quartiers Libres - Contact et renseignements :

Michel Fabreguet et Richard Denis :quartierslibr1@gmail.com

La Ville des Gens - Salvatore Ursini

Rédacteur – Chargé des relations avec les publics

Téléphone 01 77 35 80 88 / Fax 01 40 36 81 57

Nous contacter

Consultez nos archives sur :
Quartiers Libres Numérique sur la Ville des Gens