La ville des gens : 9/septembre
« Que sont mes amis devenus »

Féérique, Danube et Tourelles…


… et bien d’autres dont les noms sont sortis de ma mémoire. Il a fallu que j’écrive un livre « L’Inconnu des Lilas » pour que des bribes de mon enfance me reviennent en surface. Ce passé bien enfoui resurgit grâce à Louis qui descend un escalier bien connu de moi, puisque situé en face de mon école d’apprentissage et tout près d’un de mes cinémas préférés.

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Claude Jade - (RATP-Minoli).

Cette grande place d’arme du début du vingtième siècle est transformée en piscine olympique, pour accueillir les jeux de 1924. C’est là que Johnny Weissmuller remporta une médaille en natation et c’est certainement devant le stade nautique, par cet escalier menant à la ligne n° 3 qu’il partit à la découverte de Paris.

De l’autre côté de cette piscine et de cet escalier 30 ans plus tard…

Je voyais face à moi ce Tarzan sauter de liane en liane, tandis que j’étais assis bien tranquillement au balcon des « Tourelles » un esquimau glacé entre les dents. La mémoire est surprenante et les situations le sont plus encore. Un quart de siècle après ces séances en noir et blanc, en 1979 pour être précis, je retournais au métro Porte des Lilas afin d’y exercer mon métier de photographe. L’entreprise qui m’employait loue des locaux inoccupés et même des stations à des productions cinématographiques. La station la plus utilisée se situe en parallèle à celle de la ligne 3bis pratiquement sous l’ancien cinéma des Tourelles chanté par Brassens dans le film Porte des Lilas. Film qui, d’ailleurs, fut tourné dans les studios de Boulogne à l’autre bout de Paris.


Une station Cinéma

C’est ainsi que le quai mort de la porte des Lilas a vu défiler une multitude d’acteurs et réalisateurs parmi les plus connus.

C’est une inversion de l’histoire, dans un tournage on appellerait cela un « champ-contrechamp. » Avant les gens prenaient le métro pour venir au cinéma, depuis que celui-ci est devenu un supermarché, le métro loue son quai pour faire du cinéma. « Nous ne l’avons pas assez aimé » c’est avec ce titre que débutait ma journée au près de Claude Jade, comédienne qui était en pleine gloire. Je la suivais comme un petit toutou lors du tournage. Elle prenait l’escalier mécanique, moi les marches, mais plus vite car il fallait que je sois devant pour la prise de vue. Elle redescendait, moi aussi, et je ne souhaitais qu’une chose, que la première « prise » soit la bonne !

C’est tellement simple de regarder un film à l’écran, que l’on s’imagine mal que souvent c’est dix fois sur le métier qu’il faut se remettre à l’ouvrage pour que le résultat soit concluant. Ce fut le cas dans « Romuald et Juliette » où Firmine Richard répondant à Daniel Auteuil dut recommencer la scène plusieurs fois. Un collègue me dit que le maximum fut pour un film américain, la séquence fut refaite 54 fois, à ma connaissance c’est un record. Mon imagination reprend le dessus et je pense à Charlot ou aux Max Brothers envoyant 54 fois de suite des tartes à la crème, bonne affaire pour le pâtissier, et mauvais pour le réceptionniste. Ne continuons pas le sujet, le terrain est glissant.

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« Romuald et Juliette » - (Minoli).


En suivant Claude Jade, je travaillais mais aussi c’est tout mon passé qui resurgissait, l’histoire me collait à la peau. J’étais dans le film, j’étais acteur, puisque faisant parti intégrante de l’équipe de tournage. L’histoire d’amours malheureuses n’est jamais gaie, ce pauvre Rutebeuf aurait dit : « l’amour est morte, ce sont amis que vent emporte. » Les miens d’amis ont abandonné face à la télévision et sont devenus grandes surfaces. Les Mousquetaires ne sont plus ce qu’ils étaient, ils manquent de panaches. J’imaginais mes héros d’enfance, d’Artagnan et Zorro descendre les escaliers avec leurs chevaux, prendre une rame Sprague, afin de se rendre au Louvre ou à l’Ambassade des États-Unis à la Concorde. Mon imagination galopante est supérieure aux Américains qui, eux, n’ont pas encore osé cette entorse à l’histoire et pourtant Milady en a vu de toutes les couleurs.

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« Le meurtre de Lætitia Toureaux ».

Des dizaines de films se sont succédé dans cette station consacrée au septième art et c’est toujours avec plaisir que j’y ai assisté. Selon l’époque et le scénario le nom de station changeait, mais le décor de faïence blanche et la publicité pour les bijoux Murat étaient toujours là. Ce décor immuable est là pour « Le meurtre de Lætitia Toureaux », l’histoire vraie d’une jeune Italienne poignardée à la station Porte Dorée en 1937. Un meurtre non résolu 68 ans plus tard. Ce mystère de la voiture rouge de première classe avait inspiré Pierre Bellemare. Ce film fut tourné sur le quai mort, avec un Pierre Bellemare omniprésent, s’intéressant à tout. Pendant une coupure, il se dirigea vers la motrice, un Sprague gris, dont la circulation sur la ligne 8 correspondait à l’année du fait divers. Je le suivais pour réaliser une photo près de la motrice. Après avoir posé gentiment, il me posa des questions sur le fonctionnement et l’utilité des différentes manettes, pas étonné le moins du monde qu’un photographe puisse répondre à ce genre de questions très techniques. Le décor est toujours là pour un autre film intéressant « Les frères Pétard » qui se passe dans un futur peu réjouissant mais comique. L’héroïne du film, une substance dont je ne dois pas parler même avec modération (voir le titre) crée des perturbations parmi les héros dont le regretté Jacques Villeret.

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« Les frères Pétard » - (RATP Minoli).


Les émissions de TV

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Jane Birkin.

Cette station sert aux tournages de toutes sortes, pour une émission des Carpentiers avec Johnny Hallyday qui se trouve aux ateliers RATP de Choisy (Porte d’Italie). Tandis que Jane Birkin chante Gainsbourg : vous savez, le «  Poinçonneur des Lilas ». Elle est à deux mètres de moi contre le mur de faïence dans le couloir menant aux ascenseurs, elle chante de sa voix douce à l’accent inimitable, j’écoute plus que je ne travaille. Un jour, c’est une émission quotidienne présentée par Claude Sérillon, Popeck raconte une histoire drôle, nous n’avons même pas le droit de rire, l’émission est en direct. Autre jour Danielle Lebrun vient s’entretenir de son dernier film avec Gérard Depardieu « Uranus ». Tous les films ne sont pas tournés à Porte des Lilas, seulement ceux qui demandent une longue préparation ou installations supplémentaires. Voici bien longtemps Jaurès et Stalingrad servaient de décor au film « Les portes de la nuit ». De plus en plus le canal Saint-Martin est utilisé comme lieu de promenade des héros entre deux scènes mouvementées. Mais le quai mort des Lilas restera longtemps encore un lieu de tournage privilégié, pour le métro.

Les Tourelles, le Danube, Magic, rien n’est plus enchanteur. Ces salles se nomment à présent G20 ou ANPE, comme celle située en face d’un habitant bien connu. Ce comédien-chanteur je l’ai rencontré pendant notre service militaire en Algérie. Pourquoi aller aussi loin voir celui qui logeait à dix minutes de chez moi, qui fréquentait les mêmes salles et usait les même strapontins ? Allez savoir ! Nous avons peut-être savouré le même film assis côte à côte. Lorsque Eddy Mitchell interprète «  Il y a toujours un coin qui me rappelle » ou «  La dernière séance », c’est à notre quartier que je pense, à nos cinémas très nombreux et à la zone de mes culottes courtes.

Jamais je ne pourrais oublier ce nom « Porte des Lilas » il relie à tout jamais mon enfance, mes loisirs et mon travail.


René MINOLI


Article mis en ligne en 2012 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en septembre 2014.

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