Le cimetière de la Villette

Eh oui ! Il y a un cimetière dans le 19e arrondissement et beaucoup l’ignorent. Pourtant, avec sa superficie de plus d’un hectare, ses deux mille cinq cents concessions, il ne devrait pas passer inaperçu, mais il est situé hors des lieux de promenade et de déplacements habituels, ni rue de Flandre, ni avenue Jean-Jaurès, ni aux Buttes-Chaumont ou à Belleville.

Entouré d’immeubles récents, d’un gymnase, c’est un lieu calme planté d’érables, de tilleuls, de quelques marronniers comme l’indique la notice donnée par un gardien aimable. L’entrée rue d’Hautpoul est discrète, allée Darius Milhaud, il n’est guère vu que des riverains puisque le passage pour piétons qui le borde, muni d’ouvertures à barres ne semble pas beaucoup utilisé, caché derrière son mur du côté de la rue Goubet et, sur le quatrième côté, perdu parmi les immeubles situés entre la rue Petit et la rue d’Hautpoul on le sent d’une autre époque : c’est devenu rare, étrange, une surface au ras du sol dans ce quartier ! Avec sa verdure à l’entrée, ses bancs, sa propreté, sa netteté - pas de zones négligées ou abandonnées - il n’inspire pas l’inquiétude, invite plutôt à l’errance curieuse et nonchalante. Quelle surprise ! Les dernières inscriptions datent de 1997. Quand on habite tout près on penserait presque à y rester plus tard. Mais non ! Il faut être propriétaire d’une concession datant d’avant 1880. À cette époque, elles étaient de durée illimitée ; il faut attendre d’abord qu’un monument funéraire s’effondre, puis qu’une recherche d’héritiers soit faite, pour en décider l’abandon, ainsi une dernière date aussi ancienne que 1922 ne préjuge en rien de l’avenir de la concession. Car on peut, sous une simple pierre tombale, enterrer jusqu’à trente personnes.

Et l’histoire vous y fait un clin d’œil… "né le 8 ventose an 07, mort le 4 mars 1863", "né le 17 germinal an 08, décédé le 28 novembre 1869"

Ce cimetière a remplacé en 1828, d’abord celui qui était au chevet de l’ancienne église du village de la Villette, à l’actuel 132, rue de Flandre, puis un autre situé devant la même église, tous deux fermés en 1806, enfin un troisième, abandonné, lui, en 1831, qui était entre les numéros 1 et 7 de
l’avenue du Pont de Flandre (Corentin Cariou).

Il est le seul du 19e en dehors des quelques tombes de Juifs Portugais, rue de Flandre (voir Quartiers Libres 70/71), mais à Paris, outre le Père Lachaise, les cimetières de Montmartre et de Montparnasse - les plus connus - quand on voit la répartition des autres nécropoles parisiennes existantes on découvre qu’elles occupent toutes des arrondissements périphériques, et seulement ceux là : il y en a 3 dans le 20e, 1 dans le 12e, 1 dans le 13e, 1 dans le 14e, 2 dans le 15e, 2 dans le 16e, 1 dans le 17e, 2 dans le 18e, L’histoire de l’agrandissement de Paris, en 1861, se lit donc là, aussi. Au 46, rue d’Hautpoul, la brochure signale des tombes de gens célèbres Auguste Heng, Nathalie Rohner, Émile Camus : on précise une fillette décédée tragiquement dans l’incendie du collège Pailleron. S’y trouvent également le soldat Thiéry, tué à 22 ans au Chemin des Dames, en juillet 1917, ou la famille Rothschild : un père, une mère, leur fille. Une fois par an, une délégation de compagnons vient se recueillir sur leur tombe (3e div.). Parmi les rares personnalités enterrées à la Villette, citons l’écrivain naturaliste Lucien Descaves (1861-1949), auteur du Calvaire d’Héloïse Pajadou (1882) et de Sous-offs (1889) (4e div.), le sculpteur suisse Auguste Heng (1891-1968), qui a réalisé la pleureuse, en pierre, assise sur sa tombe (5e div.) Quelques inscriptions vous plongent dans l’étonnement : un nom d’homme : date de naissance et de mort, en dessous alignés ; un prénom de femme et seulement une date de naissance.

Si les cimetières vous font mal, n’y allez pas. Si vous recherchez l’humanité, la sagesse, c’est un lieu de calme et de réflexion.

Jacqueline Herfray

Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2014.