La ville des gens : 8/octobre

« Il sonne dans ma mémoire… »


Deux docks, hauts et bruns, sont l’un en face de l’autre
Visiblement disjoints par une violence
Et l’eau qui est entre eux sort de leur déchirure.
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Jules Romains.


Auteur prolifique, Jules Romains est resté célèbre surtout pour deux œuvres : « Les hommes de bonne volonté », une immense fresque romanesque en 27 volumes, et « Knock ou le triomphe de la médecine », une comédie dont le succès ne s’est jamais démenti.

Le texte ci-dessous n’est pas exactement une chanson, mais un poème extrait de son roman « Le Voyage des amants » (1920), qui décrit le port de La Villette d’une manière à la fois exaltée et rude, par tout un jeu de sensations fantastiques.



Il sonne dans ma mémoire
Comme un camion de tôles
Qui roule au trot sur un pont.
Être assis place de Bitche,
A dix heures du matin,
C’est un bonheur dru et dur !
Il vous naît au fond du corps ;
Il pousse ; il fait pression ;
Il veut sa place et son jour.
Mais on est comme les vieilles pierres
De quelque vieille voûte ;
Il vous descelle, il vous fend,
La brute ! il vous démolit.
Tout souffre d’ensemble d’un dilation.
Quelqu’un de trop grand est comme étendu tout nu,
Là-dessous, dans le sol gras et puant le gaz.
Il est couché de tout son long sous cette croûte
De pavé, d’asphalte et de sable charbonneux.
Mais il n’est pas mort ! il respire rudement.
Il force avec les ressorts coulés de ses côtes.
Tout se soulève, se sépare, se démet.
Deux docks, hauts et bruns, sont l’un en face de l’autre,
Visiblement disjoints par une violence ;
Et l’eau qui est entre eux sort de leur déchirure.

Jules Romains.