La ville des gens : 26/mai

Guy Rétoré : citoyen du théâtre (II)


JPEG - 87.4 koLorsque l’on demande à un habitant du 20e s’il connait le théâtre de l’Est Parisien, 22 il répond : "Le TEP, oui bien sûr !". Et tout de suite il enchaîne : "Un sacré bonhomme, ce Guy Rétoré… ". TEP, Rétoré, ils sont indissociables. Au moment où l’avenir du TEP est incertain, nous avons voulu rencontrer son animateur. Au delà du directeur de théâtre engagé, de ses efforts pour le théâtre populaire, nous avons écouté l’enfant du quartier, l’homme qui a traversé la seconde partie du siècle à l’est de Paris


Le portrait de Jean Vilar figure en bonne place dans le TEP, peut -on parler de filiation ? On a tous des maîtres. C’est une représentation à Chaillot puis la rencontre avec Vilar, qui ont orienté toute ma vie. Vilar s’est intéressé à ce que l’on a fait, est venu jouer avec nous. Nous avons été invités en Avignon, au moment où ce n’était pas encore un supermarché du théâtre. J’ai puisé beaucoup d’inspiration dans son travail.

Le théâtre devrait être un service public, mais pas comme l’électricité. Vilar et Jeanne Laurent, après la Libération, aspiraient à un grand remue ménage par les forces populaires. Dans des lieux modestes, en province, il y avait et il y a toujours des compagnies qui créent, même avec maladresse.


Le combat est-il gagné ?

Toutes les idées généreuses, celles de Romain Rolland, de la Grèce Antique et de Vilar ont été complètement balayées avec la complicité des gens du théâtre qui, par désarroi, composent avec le pouvoir.


Croyez vous en la création collective ?

Le théâtre est un art collectif. Mais un auteur est auteur de son texte ; un comédien aussi guidé qu’il le soit par un metteur en scène, aussi inspiré qu’il le soit par un poète, est auteur de sa création. Chacun fait une œuvre personnelle mais, montrée chaque soir, une pièce est une œuvre collective.


Vous encouragez la participation au théâtre des travailleurs, de ceux qui sont spectateurs d’habitude ?

Nous avons deux préoccupations différentes. Faire en sorte que le public ne soit pas passif, que certains spectateurs soient plus avisés que d’autres, en pratiquant le théâtre, tous les samedis matins et les lundis soir, avec des metteurs en scène de qualité, qui leur révèlent les tours de mains du métier.

L’autre aspect est éminemment artistique : enrichir le répertoire contemporain. Un auteur participe aux ateliers, prend des notes et me remet une pièce sur laquelle nous travaillons. Cette pièce sera notre contribution. Pour participer gratuitement aux ateliers, il faut être abonnés. Les 80 stagiaires viennent de tous horizons, mais sans objectif de professionnalisme.

Il n’est pas question de former des comédiens, mais des spectateurs. Pour Les treize soleils de la rue Saint Blaise, Armand Gatti a trouvé son inspiration dans des entretiens. Pour Clair d’usine, les comédiens ont été à toutes les réunions, avec les travailleurs. Auteur, scénographe et metteur en scène, on s’est tous trimbalés dans les entreprises du coin. On repassait jusqu’à cinq fois dans les mêmes lieux, car il s’agissait d’un feuilleton. Au début, ils étaient méfiants vis-à-vis de nous.

Pour Entre passion et prairie, l’auteur, une femme, a écrit à partir des ateliers. Elle a animé un groupe, fait des impros. C’est un échange, à partir de la matière que lui apportent les stagiaires, une manière de travailler qui associe le public au travail. Lorsque j’ai monté Tueurs sans gages de Ionesco, j’ai invité les élèves du lycée de Montreuil à produire un spectacle critique par rapport au nôtre.

Ionesco est venu voir leur spectacle. Ce n’est pas un échange de fête de patronage… mais un échange autour du théâtre dans la création. Cela suppose du travail, du temps libre, des exigences.


Jean Cosmos [1] parle "d’inconséquente légèreté du personnel d’une fête" du temps de la Guilde [2] et dit que déjà vous preniez, au contraire, le théâtre très au sérieux …

Au tout début de la Guilde, nous étions tous amateurs. Le soir, après le boulot, on répétait. C’était un loisir. Les amateurs ont fait place à des élèves du Conservatoire. Et là il n’y avait pas que moi qui prenait cela au sérieux.


La jeunesse d’aujourd’hui est-elle différente de celle des années cinquante, de "La Guilde" ? Jean Cosmos parle de génération basket-ball, d’immaturité politique et d’envie du théâtre amateur…

Elle n’est pas du tout différente. Comme elle, elle est dépolitisée. Après les grèves de décembre, on pensait quand même que cela allait bouger. Par contre, la jeunesse de 68 avait suffisamment de maturité politique pour aller faire des barricades, risquer l’affrontement avec les CRS. Il Y avait des leaders.

Maintenant, les jeunes font tous du théâtre. Comme ils taguent, ils font du théâtre ! Ils ont envie de s’exprimer mais pas de projet politique. Il faut qu’ils prennent leur société en main, parce qu’ils se font manipuler et sont la proie de n’importe quelle . idéologie populiste. La jeunesse des 50 n’avait pas de maturité politique non plus. C’est pourquoi on peut espérer que les suivants vont contester. C’est dommage, ils sont très préoccupés de création, c’est cela qui est généreux. Mais est-ce bien eux les responsables ? N’ est-ce pas nous ?


Le dénuement des débuts de "Ia Guilde" a-t-il donné matière à quelque chose de collectif ?

C’est vrai qu’il y avait un climat extrêmement collectif.


Jean Cosmos parle même de la "fée pauvreté", de l’enrichissement que cela vous a apporté ? Est-ce une condition nécessaire pour faire un théâtre de qualité ?

Non, pas du tout. Mais on ne supprime jamais les contraintes, même si on les fait reculer. Pour construire Malte-Brunl [3], on m’a demandé" Quelle est la structure de théâtre idéale ?" J’ai répondu : "Une plaine de trois hectares", à chaque spectacle, on aurait construit le théâtre. Le style de Vilar - pas son succès car il aurait eu autant de succès avec un autre théâtre - vient de Chaillot, aussi incommode pour le théâtre qu’il ait été.

Ces contraintes ont fait naître le style Vilar contre Chaillot. La pauvreté est une contrainte, mais ce n’est pas une technique. Elle peut être source de solidarité mais aussi de division. Au début, je ne payai pas mes comédiens. Après, je les aurais perdu. La pauvreté est une source d’inspiration, surtout si elle concerne les autres !


En quoi le théâtre a t-il évolué ?

La nature du spectacle a changé. Les mises en scène de Vilar étaient beaucoup moins fouillées que celles de Chéreau. Si Vilar avait vécu à notre époque, ses mises en scène auraient été plus fouillées. Le rôle du metteur en scène de théâtre s’est considérablement approfondi. C’est beaucoup plus visuel.


Le théâtre doit-il refléter la vie ou être autre chose ?

Il faut que le spectacle soit réussi, première raison d’exister de notre métier, mais aussi qu’on ne se laisse pas entraîner à le séparer du monde, du peuple, qu’il reste l’expression d’une société, qu’il ne soit pas en marge. Le théâtre est en train de redevenir depuis 20 ans un domaine réservé.

Le théâtre doit passer par la fable. L’Opéra de 4 sous dénonce la corruption, Mère Courage dénonce les gens qui profitent de la guerre et de la misère des mondes, Prométhée dénonce le pouvoir absolu et l’écrasement des minorités, les Océanides dénonce l’oppression des femmes. Le loup et l’agneau de La Fontaine, Tartuffe de Molière sont aussi des fables. La fable est une histoire qui cache la dénonciation du pouvoir, tout en étant assez transparente.


Y-a-t-il assez de fables dans le théâtre aujourd’hui ?

Le théâtre d’aujourd’hui est très esthétisant. On ne voit pas assez ce que cet esthétisme veut dénoncer. On se prend d’amour pour le théâtre. On a oublié qu’on a été chercher le marteau pour enfoncer un clou dans le mur, clou auquel on accrochera le cadre dans lequel se trouve Guernica. Il y a quelques années, on s’encombrait d’éclairage, de décors. Maintenant les vedettes reviennent au théâtre. Si je veux avoir du succès, je prends Jalabert dans Macbeth avec Marie-Josée Pérec et Platini. Comme Tapie chez Lelouch.


Comment voyez vous l’avenir du théâtre en général ?

J’ai confiance dans l’effet de balancier. Déjà, des jeunes de qualité arrivent avec des choses intéressantes, en province surtout. L’unique préoccupation esthétique finira par ne plus être unique. L’évolution vers plus d’esthétisme ne met pas en cause la qualité artistique des gens de théâtre. Ils n’ont plus de préoccupation politique, parce que les français ne sont pas préoccupés de politique. Or, c’est le moment de leur en parler.


Vous ne parlez pas du tout des pouvoirs publics ?

On ne peut que constater leur absence totale. Il n’y a pas de politique culturelle dans ce pays. Ils éliminent toute aide à un théâtre qui bouge, reflet de sa société. Je crois que cette manière de tuer les théâtres est voulue par ceux qui ont de l’argent, quelle que soit la couleur politique du pouvoir. De toutes façons, les poètes sont des fous du Roi, faits pour contester le pouvoir, pour dire au Roi qu’il n’est rien du tout.


Et malgré cela, le roi doit subventionner ?

Oui, bien entendu. Ce n’est pas le fric du Roi, mais celui du peuple. Le Roi l’a prélevé pour l’entretenir dans le bien-être et lui diffuser la connaissance. De quel droit en disposerait-il en disant : "Cette troupe de théâtre dénonce les injustices sociales commises par mon parti politique, donc je lui coupe les vivres". C’est inouï qu’en démocratie, on ne puisse pas demander des comptes. Certains politiques disent des choses avec lesquelles je suis d’accord mais ils ne font rien, si ce n’est exercer insidieusement une sorte de censure.


Comment voyez vous l’avenir du TEP ?

Soit il s’épanouit, soit il devient un supermarché ou une station service. Le Ministère de la culture n’a pas fait jouer son droit de préemption pour acheter le terrain du parking d’à côté. S’il est affecté à la construction d’un gymnase pour le collège Gambetta, c’est bien dommage que le Ministère ait manqué d’imagination. Il aurait pu penser à une entreprise pilote, les élèves auraient acquis des débouchés dans les métiers artistiques ou artisanaux, du comédien à l’électricien et au preneur de son.

Le premier théâtre, c’est l’école. L’avenir du TEP se trouve pour 20% entre les mains des artistes, le reste entre celles du public. Il doit se battre pour défendre son théâtre, comme il l’a fait pour obtenir la construction du théâtre Malte-Brun. Sinon, on le lui reprendra.


N’existe-t-il pas un certain conservatisme du public ?

Oui. Pour Les treize soleils de la rue Saint-Blaise, le public s’est retrouvé sur la scène, comme le poète le voyait. Le populisme aurait été de le représenter sans tares, idéalisé comme il voudrait l’être. Le public n’était pas content. Pour Don Juan, on ne peut pas opposer l’œuvre du XXe siècle à la représentation de Versailles à laquelle on n’a pas assisté. Le conservatisme du public est de ne pas retrouver les œuvres telles qu’il se les ait imaginées à l’école, avec l’influence du prof, leur cerveau d’enfant et le souvenir fortifié par les années.


Comment faire pour ramener le public vers le théâtre ?

D’abord, avoir le souci artistique : présenter des œuvres de qualité. Et puis cesser d’être condescendant, ne pas se foutre de sa gueule, ne pas appliquer la politique de TF1. Avoir le souci de dialogue, de rencontre. Le théâtre est un art de conventions. Comme pour le jeu d’échecs ou le football, il faut lui apprendre les règles, en le faisant pratiquer. S’il est possible de montrer à l’autre partie du public le résultat de cette pratique, cela facilite les rapports, les contacts, le brassage.

Et ce qui contribuerait à rendre le théâtre populaire, c’est un accès plus facile pour tout le monde. La nécessité des subventions est de permettre à une certaine classe de la société d’accéder à des spectacles de qualité. Un théâtre gratuit n’est pas souhaitable. Il doit y avoir un effort. Le théâtre subventionné permet aux artistes d’avoir des audaces. Lorsque l’on est coincé par la rentabilité, on est obligé de plaire et de ne surtout pas choquer.


Anne-Isabelle Six

Photo : J.P. Vallorani / Bar Floréal


Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en décembre 2013.

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