La ville des gens : 17/décembre
D’ici et d’ailleurs… De l’Est parisien au Sud méditerranéen

Parler arabe, oui, mais lequel ?


Focalisés sur la question des banlieues, avons nous conscience de participer tous les jours, à chaque instant de notre vie de quartier, à l’émergence d’une intégration d’un autre type, respectueuse des spécificités de chacun, semblable aux brins de laine multicolores qui font d’autant plus la richesse du tapis qu’ils sont nombreux et variés ?

Les traditions, les cultures des habitants venus au rythme des immigrations successives sont les ciments de la mémoire mais, aussi, les clefs d’une intégration réussie dans le pays d’accueil. Dans nos arrondissements chargés d’histoire qui accueillirent tant de "partants", vague après vague, des citoyens de toutes origines, cultures ou religions vivent ensemble, échangent et se découvrent jour après jour, malgré les obstacles et les aléas de toutes sortes. Une citoyenneté plurielle et multiculturelle, conforme à l’esprit des Lumières et aux principes universels de la Révolution Française, s’épanouit dans l’harmonie et l’enrichissement mutuel.

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Sur ce mur de Belleville, il est écrit : "ici aussi on parle arabe" - photo © Michel Maiofiss.

Dans cette rubrique « Cultures des Mondes », Quartiers Libres vous propose de rendre hommage à cet aspect attachant de la vie de nos quartiers. Ses pages sont ouvertes à vous tous, riches de savoirs ou de questionnements. Pour commencer, zoom sur la culture arabe, diffuse dans toutes les artères, les ruelles et les cours de Belleville et de Ménilmontant, avec les accents de sa musique lancinante et les effluves de ses parfums ensoleillés.

Quand on parle de langue arabe, le terme reste souvent imprécis et confus. De quel arabe s’agit-il ? De celui qu’on entend le plus souvent dans nos quartiers, qu’on appelle dialectal ? De celui qu’on peut capter sur certaines ondes, dit arabe standard ou arabe de presse ? De la langue coranique psalmodiée dans les mosquées du monde entier ?… Tentative d’éclaircissement et explications avec Jérôme Lentin, enseignant à l’I.N.A.L.C.O. (Institut National des Langues et Civilisations Orientales).


J.L. Le terme "arabe" demande a être précisé aussi bien pour les non-arabes qui n’en ont aucune idée que pour les arabophones pour lesquels ce n’est pas forcément clair, surtout pour ceux qui vivent dans l’immigration, qui y sont nés souvent, et qui se trouvent - de ce point de vue là - dans des conditions un peu particulières. On a en arabe ce qu’on appelle une situation de diglossie, c’est à- dire qu’on a d’un côté une langue parlée et de l’autre une langue écrite, mais la différence va plus loin que ça : toute personne qui parle l’arabe a pour langue maternelle cet arabe parlé que l’on appelle l’arabe dialectal et qui varie beaucoup, non seulement d’un pays arabe à l’autre, mais même de région à région, et personne ne parle cette langue écrite qui, comme son nom l’indique, est une langue qui sert à l’expression littéraire et que personne ne pratique spontanément, c’est- à- dire qu’elle implique un apprentissage.

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Photo : M.A.A.

Donc quand on parle de l’arabe, sans préciser davantage, il faut entendre l’arabe maternel des gens, c’est-à-dire ces langues arabes qu’on appelle des dialectes, le terme de dialectes n’ayant pas de nuance dépréciative. Ce sont des langues, naturellement, mais qui ont des usages et des fonctions sociales particulières.

Quand on parle, par exemple, de faire des cours d’arabe, il faut savoir quelle langue on va enseigner. On peut enseigner l’arabe dialectal, ou l’arabe classique ou littéraire, mais il faut avoir des idées claires là -dessus et, d’autre part, ne pas tromper les gens sur la marchandise et leur dire à quoi va leur servir ce qu’ils vont apprendre.

Pour l’arabe dialectal, en gros, à communiquer avec les gens de façon naturelle, ce qui est un objectif noble ; pour l’arabe littéraire, comprendre et utiliser la langue de la littérature, de la presse, ce qui n’est pas le même but. Bien sûr, on peut faire les deux.

En général, c’est l’arabe littéraire qui est enseigné en France et toujours dans les pays arabes où l’on n’enseigne jamais l’arabe dialectal puisque, au fond, c’est la langue maternelle de tous et que, d’une certaine façon, il n’y a pas vraiment besoin d’enseignement. Quand on propose à des jeunes issus de l’immigration l’enseignement de cette langue, il faut savoir que, pour eux, ce ne sera pas facile ni évident, mais que ce sera gratifiant parce que ça leur donnera accès à tout un patrimoine culturel qui est très valorisé. De même, quand on apprend à des français l’arabe littéraire, il faut qu’ils soient conscients que ce n’est pas avec ça qu’ils communiqueront avec les gens.

Quand on se promène dans la rue, dans un quartier comme Belleville où vivent des arabophones de la première, la deuxième ou la troisième génération, ou dans un pays arabe, on n’entendra jamais un mot d’arabe littéraire. Il faut savoir aussi qu’il y a beaucoup de gens, et en particulier ceux qui n’ont pas fait d’études - qui sont, heureusement, de moins en moins nombreux - qui ne comprennent pas forcément très bien l’arabe littéraire utilisé par exemple dans les médias, comme les informations radio ou télédiffusées qui sont, certes, orales mais sont, en fait, plutôt de l’arabe écrit transmis oralement.


Quelle est la proportion dans les pays arabes en général, et en France en particulier, des arabophones qui comprennent cet arabe littéraire ou standard diffusé dans les médias ?

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Photo Yves Géant.

À ma connaissance, il n’existe pas d’études précises et chiffrées sur la question, ce qui serait extrêmement intéressant. Il faut faire des distinctions suivant l’histoire des gens.Par exemple, les populations ouvrières non berbérophones qui sont venues en France au XXe siècle, avant guerre ou même dans les années cinquante, des hommes en général dans un premier temps, n’étaient pas des gens qui avaient été à l’école et donc ils ne pouvaient avoir connaissance de cet arabe littéraire que par leur contact avec leur culture religieuse c’est-à-dire l’apprentissage du Coran et la fréquentation des lieux de culte, avec des prêches dans un arabe plus ou moins littéraire, et l’écoute de la radio, par exemple les informations. Il n’y a pas de gens à qui cette langue est complètement fermée, il y sont "exposés" d’une certaine façon et ils en ont une compréhension relative. Dans les nouvelles générations des pays arabes, la situation a changé puisque la scolarisation a fait de grands progrès et, pour tout le monde, les médias sont accessibles jusque dans les coins les plus reculés, grâce au transistor, et tous en ont une connaissance au moins passive, qui n’est pas forcément parfaite. Ceux qui ont poursuivi leurs études en arabe ont pu approfondir cette connaissance.


Connaissance passive, ça veut dire quoi au juste ?

Ça veut dire qu’on n’est en général pas très capable de l’utiliser soi-même de façon active, qu’on en a une compréhension relative, qui peut varier selon les personnes. Pour ceux qui sont nés dans l’immigration, à la dixième génération, ça peut être tout à fait nul comme connaissance parce que les enfants vivent dans un milieu francophone, à part leur entourage familial ou celui des familles amies qui communiquent exclusivement en arabe dialectal- quand ce n’est pas du berbère ou une autre langue - donc, très souvent, les enfants issus de l’immigration ont une connaissance qui peut être nulle de cette langue littéraire. Sauf quand les parents décident de faire suivre à leurs enfants une instruction religieuse ; là, ils ont un contact avec cette langue mais sous son côté extrêmement classique, en tant que langue de l’islam et langue du Coran, ce qui diffère un peu de la langue de la presse.


Est-ce que les arabophones du Maghreb - que ce soit Maroc, Algérie ou Tunisie- peuvent se comprendre entre eux et est ce qu’ils peuvent comprendre les arabophones d’Égypte ou du Moyen Orient ?

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Photo : M.A.A.

En Afrique du Nord, les dialectes se ressemblent plus entre eux que les dialectes maghrébins ne ressemblent à ceux du Proche-Orient. Il faut ajouter à cela que les maghrébins vivant en France ont mis au point une espèce d’arabe maghrébin de France qui est nourri de leur expérience culturelle et linguistique de notre pays, donc mêlé de mots français, encore plus que l’arabe parlé en Algérie, et c’est une raison supplémentaire de bien se comprendre. Il y a beaucoup plus de points communs entre un marocain et un tunisien de France qu’entre un marocain du Maroc et un tunisien de Tunisie.

Avec les gens du Moyen-Orient, c’est différent parce qu’il y a un phénomène ayant un rôle capital, c’est le rôle central de la culture d’expression dialectale en provenance d’Égypte que les gens connaissent au travers des films, des feuilletons télévisés et des chansons. Ce qui fait que le dialecte égyptien est assez bien compris de l’ensemble du monde arabe, l’inverse n’étant pas vrai.


Est-ce que cette situation linguistique de la langue ou des langues arabes peut être comparée à la situation des dialectes et langues régionales en France avant la Révolution ?

D’une certaine façon, oui, même si l’étendue géographique des dialectes arabes est beaucoup plus considérable que celle des dialectes français à l’époque. Ce qui est un peu différent c’est le rôle du français standard comparé à celui de l’arabe standard parce que le français qui a été imposé par la Révolution Française et qui a mis un certain temps à s’imposer, était quand même une langue vivante ; dans certaines régions où les dialectes étaient marginalisés, les gens s’exprimaient dans le français d’aujourd’hui alors que personne dans le monde arabe ne s’exprime dans cet arabe standard. C’est là une différence fondamentale.


Clara Murner


Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en décembre 2013.

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