La ville des gens : 1er/octobre
Histoire

Gamin, avenue Jean Jaurès

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Je suis né au 184 de l’avenue Jean Jaurès, Porte de Pantin, marché de La Villette où on vendait le bétail et non Porte de La Villette où on vendait de la viande morte.


Q L : Mais c’était La Villette pour tout le monde ?

R : Oui, mais du côté de la Porte de Pantin, c’était le quartier plus commercial, où il y avait tous les maquignons de France qui venaient. Il y avait de gros marchés de bêtes vivantes, de bœufs, de veaux, de moutons, de cochons, j’ai connu des marchés de 12 000 bœufs.


Mais tous ne rentraient pas dans la Grande Halle ?

Et bien, il y en avait sur les côtés, même des fois, il en restait dans les préaux.


À quel titre entriez-vous au marché ?

Oh moi, j’étais un enfant du quartier.


Et quand on était gamin ?

C’était épatant ! parce que sur l’avenue Jean-Jaurès on courait. Nous étions une bande, une quinzaine. On partait de la rue Hainaut et puis, après au bout, après la rue Eugène Jumin, il y avait une passerelle qui délimitait Paris avec Pantin.

C’était une passerelle, parce qu’il y avait la barrière où le train passait. Il n’y avait pas de souterrain, le train traversait l’avenue Jean Jaurès. Alors, nous les gosses, on l’entendait de loin le train,. on jouait là à notre Paris-Berlin, c’était le jeu des enfants. Un jeu de palettes avec des petits morceaux de marbres. En effet, il y avait beaucoup de marbriers dans le quartiers.

On avait tous des chaussures montantes, des galoches, semelle de bois ou comme moi, fils de bottier, j’avais des semelles de cuir. On avait tous des clous et puis on en voulait ! parce qu’on traînait, on faisait des étincelles sur l’avenue Jean-Jaurès.


Alors vous avez pris la succession de votre père ?

C’est-à-dire que le métier de bottier-cordonnier ne m’intéressait pas. À ce moment là, j’avais un parrain, avant la guerre de 39-40 qui était chevillard aux abattoirs de La Villette. Chevillard dans les moutons. Et moi, le métier de boucher m’intéressait énormément.


Pourquoi ?

Je ne sais pas. Le métier de boucher m’intéressait. Et les enfants du quartier, on travaillait tous à La Villette. Tous les camarades travaillaient là. Où c’était des enfants de commissionnaires et ils allaient emmener les bœufs au débarquement, ou c’était d’autres qui étaient mandataires, ou c’était des chevillards. Ils travaillaient dans les échaudoirs. Enfin, c’était tous, des enfants, à part quelques uns, dont les parents avaient les moyens pour qu’ils continuent leurs études, les autres étaient tous des manuels.


En somme, les enfants quand ils habitaient un quartier s’adaptaient au quartier : puisque les abattoirs et le marché avaient une telle emprise, ils entraient-là dedans.

Bien oui, c’était de père en fils, quoi tout çà, vous savez. Bon, mon père était… C’est après que je suis venu à apprendre le métier de bottier. Un petit peu avant la guerre.


Vous êtes né en 1923 ; vous avez travaillé chez un chevillard en moutons à 12 ans ?

Où je suis resté 2 ans. J’ai été agneau.


Agneau, même dans le mouton ?

Agneau… (rire). C’était très dur, j’avais à ce moment là 13 ans. J’habitais à la Porte de Pantin. Alors bon, le travail de l’agneau ; il fallait que j’ouvre l’échaudoir à 4h30. Alors de la Porte de Pantin, je traversais tout le marché de La Villette, le canal par la passerelle, et j’allais jusqu’à la Porte de la Villette chez le gardien pour prendre la clé de l’échaudoir.. J’ouvrais l’échaudoir et je faisais chauffer l’eau chaude.


On faisait quand même chauffer l’eau ?

Ah bien oui, pour nettoyer les bêtes, il fallait les nettoyer à l’eau chaude.


Mais vous nettoyiez quoi dans la bête ? Parce que quand on met le mouton sur l’échaudoir, on leur coupait la gorge.

Oui. On les tranchait.


Et que nettoyiez-vous dans la bête ?

On les vidait, on retirait le sang.


Alors quand la brigade arrivait ?

Et bien, tout était prêt. Les torchons d’un côté, l’eau qui était déjà chaude, les ficelles préparées et notre garçon venait avec le premier commis. On allait au préau et on allait chercher les moutons.


La journée se terminait à quelle heure ?

Oh…là… là, ma journée se terminait aux alentours de 16h30.


Alors vous aviez une bande de copains ?

Ah oui, le jeudi c’était bien, parce qu’on allait jouer sur les fortifs. On avait tous les fortifs pour nous qui partaient de la Porte de Pantin et qui montaient jusqu’aux Lilas. Alors voyez le périmètre que cela faisait. Et là, il y avait des glissades, on jouait au traîneau. Chaque enfant avait le sien et puis sa boule de paraffine parce qu’il fallait que ça glisse. Alors là, c’était bien. Nous étions une bande d’enfants.


Il y avait ceux de la Mouzaïa et ceux du Pré-Saint-Gervais ?

Les P et les M. Et alors quand on se rencontre, c’était la guerre.


Il n’ y avait pas de signes distinctifs vestimentaires, il fallait demander ?

Ah oui, on demandait : dis moi, tu es un P ou un M ? Nous nous étions les M, parce que c’était, Paris la Mouzaïa, et les P, le Pré-Saint-Gervais, c’était la banlieue.


C’était la franchise. On se disait P ou M ?

Oui, P ou M.


On affrontait l’autre ?

Voilà, absolument. Et puis on le faisait prisonnier et on l’emmenait dans cette construction de tunnel du chemin de fer, et là, on l’attachait. On l’attachait à n’importe quoi, ce qu’on trouvait, puisqu’on avait toujours des cordes. Ça les cordes avec la paraffine, c’était sacré. On jouait sur les fortifications, il y avait des buttes, alors on escaladait, il nous fallait bien des cordes.


Est-ce que vous alliez jusqu’au studio de cinéma des Buttes-Chaumont ?

Ah non, c’était trop loin.


Il y avait un petit périmètre ?

Oui, oui, nous c’était les fortifs. Ça c’était notre fief, de temps en temps on montait aux Buttes-Chaumont, il y avait des ruisseaux, on jouait au bateau, c’était autre chose. On restait presque tout le temps sur nos forts où l’on jouait au cerf volant.


Quand vous rentriez de l’école, vous travailliez ?

Oui, mon père me donnait quelque chose et puis le dimanche ma mère allait, ah oui… Ça c’était épatant. Ma mère allait au marché de Pantin pour la seule raison, c’est qu’il y avait cette fameuse barrière à traverser entre Pantin et Paris. Alors quand on allait au marché de Pantin on payait la marchandise moins chère, puisque l’action avait été remboursée aux commerçants. Mais après, il fallait repasser la marchandise et la ménagère devait payer.

Alors nous les enfants on allait au marché avec la maman et après on prenait les paquets et comme on connaissait toutes les passes sur les fortifs, on y allait et on redescendait par la Mouzaïa, rue de la Solidarité, rue Manin, et puis moi après, je retournais avenue Jean-jaurès. Ça faisait à peu près trois kilomètres avec des paquets, mais la maman avait gagné quelques francs.


Il y avait beaucoup de cinémas dans le quartier ?

Il y avait un petit cinéma qui s’appelait l’Amérique qui se trouvait en face de la rue des Ardennes…là c’était un cinéma où il n’y avait que des far-west. C’était épatant. Ce n’était pas très cher. Alors comme nous étions une grande famille, les enfants partaient d’abord en premier et puis on prenait un rang, et puis mon père et ma mère venaient ensuite. Le Samedi soir, c’était sacré.


Est-ce qu’il y avait d’autres cinémas ?

Qui, il y en avait un autre. Alors là c’était le cinéma chic, l’ Olympic ; c’était le grand cinéma. Il faisait le double du petit Amérique, c’était mieux.Trois ou quatre fois dans l’année ; nous partions à Jaurès. Là il y avait le Secrétant Palace. C’était un sacré grand cinéma.

C’était le plus moderne et c’était vraiment formidable, mais c’était toute une expédition pour y aller. Ça finissait très tard le cinéma à ce moment là parce qu’il y avait les actualités, ensuite les attractions un petit film, l’entracte et le grand film. Ça commençait aux alentours de 20h30 et cela ne se terminait jamais avant minuit. Et voilà. Alors c’était très bien pour aller à Jaurès, mais…


En somme vous n’aviez qu’un périmètre dans lequel vous évoluiez ?

Ah oui, c’était notre quartier là.


Vous alliez au centre de Paris ?

Une fois par an, on allait à la Samaritaine.


Vous alliez à la Tour Eiffel, non ?

Oui, avec l’école.


On ne sortait pas de son quartier ?

Non !


Merci au centre de documentation de la Maison de La Villette à qui nous avons emprunté les bases de ce précieux témoignage. Elle met à votre disposition une importante documentation audiovisuelle photographique et écrite sur la vie dans le quartier.


Patrick Dupuits


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Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en septembre 2013.

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