La ville des gens : 1er/octobre
Urbanisme

L’AMARRE


JPEGL’AMARRE, association des co-propriétaires et locataires des immeubles 71 à 81 Rue de la Mare (20ème), a réalisé une belle plaquette illustrée de 14 pages. Nous reproduisons ici l’essentiel du texte qui évoque l’histoire de ce quartier, sa vie et ce qui le menace.

L’AMARRE est la réponse aux actions entreprises par un groupe de sociétés (SAPE, SACIEP et SCI DU CHAMP DE MARS) qui ont pour objectif avoué la démolition du territoire compris entre les numéros 73 et 81 rue de la Mare, voire davantage, pour y construire un immeuble neuf. Les projets des promoteurs font apparaître un total mépris pour la qualité exceptionnelle de ces lieux et sont susceptibles de mettre en péril leur équilibre social, professionnel et l’heureuse répartition entre le bâti et les espaces verts.

Les fondateurs de l’AMARRE propriétaires et locataires de lots situés dans cet îlot, (ils y résident et/ou y travaillent), ne sont pas disposés à céder des biens garantissant une authentique qualité de vie.

Le blocage qui résulte de cette réaction solidaire suffit à arrêter l’opération pour un temps indéterminé. Les moyens légaux dont disposent ces sociétés sont sans effet sur le droit de propriété. Sauf à adhérer aux propositions de l’association, les moyens à la disposition du promoteur restent finalement :

1) actions pour décourager les résidents (harcèlement, non entretien des lots acquis, démolitions partielles, occultation des ouvertures) ;

2) revente à un organisme public ou semi-public dans des conditions autorisant des expulsions et des expropriations sans appel ; notre action doit nous permettre de jalonner le champ de notre cause auprès des média, des élus, de l’administration,…

L’association se propose donc de prévenir les effets habituels d’une opération immobilière sur un des derniers îlots du vieux Belleville encore vivant, avec ses résidents, ses ateliers d’artisans et d’artistes, ses impasses et ses jardins.

Entre Belleville et Ménilmontant

Ces lignes veulent témoigner du charme, de la beauté, de la diversité d’âme de notre îlot qui n’apparaissent que rarement au regard du promeneur des rues de la Mare et des Envierges et que les rapports techniques superficiels ou intéressés se plaisent à définir comme étriqués, sous-équipés et insalubres pour mieux les raser dans la paix des consciences.

C’est un petit coin de quelque 3000 m2 qui appartient au Monastère de la Fondation de Savies, créé en 1060 sur un terrain que l’irrigation et le découpage en vignobles ont fragmenté en bandes étroites, visibles encore aujourd’hui sur le plan cadastral. L’eau y abonde, qui suffisait jusqu’en 1624 à la consommation de Paris ; elle est toujours là, à fleur de sol, grondant dans les souterrains, présente aux noms des rues de la Mare, des Cascades, des Rigoles…

Enfouies sous Les Buttes-Chaumont par Haussmann, des carrières de plâtre lui valurent de nombreux ateliers de moulage, des sculpteurs et des stucateurs.

En haut de la rue de la Mare, une vieille habitante, originaire d’Arménie, se raconte. Voilà plus d’un demi-siècle qu’elle habite le 75 et ses souvenirs ressemblent à ceux des couturiers du roman de Simone Signoret "Adieu Volodia". Elle travaillait autrefois le cuir.

Au fond de l’impasse, les sons des burins sur le marbre, doublés par les coups plus appuyés d’une pointe qui attaque le granit, nous avertissent que nous entrons dans le jardin secret de l’Académie de René Coutelle où travaillent ses élèves, venus des quatre coins du monde.

À côté des sculpteurs, dans sa maison atelier - une ancienne loge maçonnique aménagée - une décoratrice discute d’un projet avec son voisin architecte.

Par dessus le mur du 77 vient par moment l’odeur des copeaux de bois brûlés par le menuisier. Son atelier est au milieu d’une impasse plus populaire, avec des enfants de toutes origines qui jouent et crient, libres après l’école ; ils s’interrompent pour entourer les adultes et venir regarder l’ intérieur des ateliers lorsque les portes s’ouvrent.

JPEGLa polisseuse de métaux discute avec la femme sculpteur installée en face. Dans l’atelier contigu, une équipe s’affaire sur les masques et les costumes d’un opéra. En remontant l’allée, on entend, derrière la fenêtre du premier, le violoniste qui répète.

Dans cette copropriété, au 77, le promoteur a acheté quelques lots qui sont désormais murés. L’impasse reste très vivante malgré tout, alors qu’au 79 il n’y a plus grand monde depuis que le promoteur l’a acquis. Les ateliers sont éventrés. Le fabricant de chaussures est parti. Les appartements occupés sont peu nombreux ; on s’étonne de voir des fenêtres encore ouvertes et éclairées, le soir, sur ces façades murées.

Tout au fond, un luthier et sa famille habitaient la maison enclose. Ils n’ont pas pu persuader le promoteur de leur vendre la maison bien que cette partie du terrain ne soit pas constructible, le train de la petite ceinture passant juste en dessous.

Le 81 a été réhabilité il y a 10 ans et c’est plein de jardins avec des petites maisons. Ceux qui y habitent, comédiens, musiciens, journalistes et professions libérales, se sont regroupés sans se connaître parce que l’endroit répondait à leurs aspirations.


Vers un projet concerté

Nous avons besoin d’être assez forts pour éviter le saccage de notre environnement, la disparition des ateliers, des métiers, des arrières-cours, du soleil et des arbres et de toutes les musiques qui le peuplent ; assez forts pour établir un rapport équilibré, pour la recherche d’un projet compatible avec nos valeurs, nos besoins et nos goûts. Il ne s’agit pas de nostalgie ; il n’ y a rien à ressusciter qui serait déjà mort. il s’agit de donner force à une démarche positive, lucide, généreuse et qui se veut exemplaire.

Aidez-nous à imposer ce que tous, vous et nous, désirons le plus : choisir.

L’AMARRE



Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en septembre 2013.

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