La ville des gens : 15/juin
Rencontres à Belleville

Alain Haddad Meyer


« Mais pourquoi venir m’interviewer ?…
Je n’ai rien à dire… Que vais-je raconter ?… »

C’est bien calme chez Alain Haddad Meyer. Il règne une atmosphère si particulière dans ce petit atelier Rue Rébéval qu’en donnant ses chaussures on a envie de s’attarder un peu. On est en dehors du rythme de la vie dans la grande ville.

En voyant ces outils, le cuir, les boîtes de chaussures, les produits, chaque chose à sa place, on a l’impression que la vie n’est pas si compliquée que ça… Que tout est en ordre.

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Il n’avait jamais lu ou entendu parler de “Quartiers Libres”, Alain Haddad Meyer… mais, bon !… Pourquoi pas ! Si je pouvais venir entre 13 et 14h30, il ne regarderait pas la télé pour une fois…

Q.L : Quand vous êtes venu à Paris d’où veniez-vous ?

A H M : Je suis arrivé en 1950 de Tunis… le 8 août, et le 28 j’avais trouvé du travail dans la rue Du Buisson St-Louis. Il y avait là une usine de chaussures, pour hommes et femmes. J’avais appris le métier de monteur de chaussures pour femmes à Tunis, chez un patron. Mais dans cette usine, malgré l’enseigne on ne faisait que des chaussures pour hommes, et depuis je n’ai plus fait de chaussures pour femmes. Vous savez, avec la mode, c’est trop compliqué et tout ça change trop…


Et vous étiez content d’être à Paris ?

Oui. Mais pour moi ça ne changeait pas beaucoup je faisais mon travail comme à Tunis. Il y a juste une chose qui m’a étonné ici : c’était de voir des femmes pousser des charrettes des quatre saisons . Je me suis dit … Elles sont drôlement costaud les femmes ici…. Chez nous elles ne faisaient rien ! C’est la seule chose.


Y avait-il beaucoup d’ateliers de chaussures à Belleville ?

Ah oui… et depuis toujours. Il y a eu des grecs, puis des polonais, des arméniens et maintenant des tunisiens. On était les protégés des français. Pas vraiment des immigrés. La France c’était CHEZ-NOUS aussi. Enfin on le sentait comme ça ! Il y avait un crépin en face, et un couseur, rue Vincennes et rue des Tourtilles.

Pour trouver du boulot, à cette époque, on allait chez les patrons polonais … On y trouvait tout : les tanneurs, les crépins, les monteurs J’ ai laissé tomber la fabrication seulement depuis trois ans. Maintenant je répare et je coupe.

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Est-ce que l’atmosphère autour du travail à beaucoup changé ?

Vous voyez, ils, habitaient tous par ici. Maintenant ils sont en banlieue. Le dimanche et les jours de fête ils reviennent pour se rencontrer, pour aller à la synagogue. On aime Belleville, on aime se balader, se rencontrer. Maintenant c’est autre chose.


Avez-vous jamais ressenti un certain racisme ?

Ah ! non.. enfin un peu.. mais vous savez on est tous juifs. On est entre nous dans ce métier, alors dire sale juif à un juif qu’ est ce que ça peut faire ! Maintenant il y a partout des chinois, ils achètent tout.


Qu’en pensez-vous ?

Les chinois ici dans la rue on ne les voit pas . Ils sont enfermés, très intérieurs Moi, ah ! j’aime bien les restaurants.


Que pensez-vous des français " français " ?

Si vous et moi habitions le même immeuble, on serait amis. Mais les français ne saluent même pas ! C’est souvent comme ça. Mais il y a aussi des gens très aimables. Vous voyez, chez-nous s’il y a un malade dans l’immeuble tous les voisins viennent aider, amènent à manger. C’est une grande famille même un peu trop. Ça, ça n’existe pas ici.


Vous n’êtes pas trop seul dans votre atelier toute le journée ?

Mais je suis avec vous ! Regardez, j’ai acheté des oreillettes. Ça s’appelle comme ça parce que ça fait la même courbe qu’une oreille. Goûtez.. je vous l’offre… C’est très sucré. Vous aimez ? Moi, je suis très difficile pour la bouffe je mange kascher. Alors vous ne pouvez pas m’inviter à manger. À la limite je bois un café avec vous. Je me demande comment ma mère m’a élevé ! Je n’aime pas le lait, le beurre, le yaourt… rien genre laitier. Je n’ai jamais vu de lait à la maison quand j’étais enfant.

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On discute encore un peu… en sautant du coq à l’âne… Il me fait lire quelque chose dans un magazine… et je réalise soudain que lui qui n’avait rien à dire, peut parler pendant des heures et m’apprendre des choses évidentes et naturelles pour lui, mais étonnantes et surprenantes pour moi.
 
Juste quand il lui faut travailler à nouveau, et quand il reprend du cuir pour couper, j’ai des questions précises à lui poser. Une prochaine fois, après un café ?

Quartiers Libres


Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en septembre 2013.

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