La ville des gens : 10/juin
Chronique musicale

Olivier Messiaen

(Avignon, 1908 - Paris, 1992)
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Sa maison villa du Danube - Dessin M. Brunet.

Olivier Messiaen demeurait dans un des pavillons de la villa du Danube, avec les siens, dans les années 1942-1950. Je laisse à la plume experte et autorisée de la pianiste et musicologue Françoise Petit le soin de parler de l’œuvre musical d’Olivier Messiaen dont elle fut l’élève et l’auditrice passionnée.

Mon souvenir du musicien est d’un autre ordre, je puis seulement évoquer l’homme qu’il m’a été donné de rencontrer vers 1965, commis que j’étais au soin de cerner son portrait et son personnage pour une exposition consacrée à de grandes personnalités du XXème siècle.


L’exposition ne se fit pas, mais il me reste en mémoire un grand moment où se révéla, moins l’artiste célèbre et discuté qu’un être humain simple et sans apprêts.

À l’écoute de son discours direct aux résonances infinies, de son verbe imagé, luxuriant, poétique, devant sa curiosité insatiable de "l’autre", j’ai mesuré la raison profonde de l’intérêt passionné qu’il a suscité chez tant d’étudiants accourus des cinq continents, pour suivre la classe d’analyse et d’esthétique musicales qu’il professait au Conservatoire depuis 1947. Il était un découvreur-né, une de ces personnalités d’exception, d’une séduction intellectuelle à laquelle on ne résiste pas.

Cet homme réputé difficile, complexe, se révéla charmant, heureux d’évoquer pour moi des aspects moins connus de son personnage, l’enfant construisant des maquettes de décors de théâtre pour la scène de ses rêves, un rêve très ancien qu’il se promettait bien de réaliser un jour (sans doute l’idée de son Saint François D’Assise était-elle en germe dans son esprit), le fils d’un père traducteur de Shakespeare et d’une mère poétesse d’un accent profond, ce qui peut expliquer son sens peu commun du Verbe, sa Poétique.

Il laissa percer une émotion intense lorsque j’évoquais la découverte, récente pour moi, de l’œuvre poétique de Cécile Sauvage, sa mère, et plus particulièrement celle d’un poème fort et passionnel, Le bourgeon dédié à l’enfant à venir, Olivier. Il m’avoua, très simplement, d’une voix blanche : "c’est mon préféré". J’avais touché juste, j’avais un homme devant moi et non l’auteur fêté de par le monde, déjà chargé d’un impressionnant catalogue d’œuvres.

Quand il en vint à parler de ses Catalogues d’Oiseaux qui lui tenaient tant à cœur, il s’inquiéta de mon orthographe à propos de la créatrice, la grande pianiste Yvonne Loruon, sa femme : "Loriod, avec un "d", pas avec un "t", encore que pour moi, elle soit un oiseau".

Ces quelques notes sont bien légères en regard d’un artiste considérable, d’un musicien grave, voire austère, elles me restent précieuses ; elles valent du fait, que, non musicien, je sois venu à lui sans idées préconçues, insoucieux des tempêtes qu’avaient soulevées certaines de ses œuvres, soucieux seulement de découvrir une part de sa vérité.


Michel Brunet



Le témoignage de Françoise Petit

La beauté du patronyme d’Olivier Messiaen le désignait sans doute à la gloire. Comment ajouter un mot aux hommages rendus par les plus grands de la musique, des lettres, du journalisme et la pléiade des élèves du monde entier ?

Plus modestement, j’évoquerai quelques heures passées, il y a fort longtemps, en 1946, dans la classe du jeune Messiaen alors professeur d’harmonie. Une classe pas comme les autres, consacrée surtout à l’analyse et où, émerveillés nous écoutions les œuvres les plus diverses sous les doigts magiquement adroits : des quatuors à cordes de Mozart, un madrigal de Monteverdi, un air de Carmen ou de Massenet, le prélude de Tristan et Pelléas qui restera sa passion. œuvres ou fragments souvent donnés de mémoire : c’était l’idée qu’un jeune se faisait d’un génie : l’assimilation de la musique qui le précède puis l’envol, sur ce métier total, de l’imagination personnelle.

Le dimanche matin, nous allions à l’église de la Trinité car à la messe de onze heures Messiaen jouait des sonates de Bach et à midi improvisait, se livrant à la facétie de coincer une gomme dans le clavier pour tenir une note suraiguë et ainsi faire monter la chaisière (à cette époque ce petit métier existait encore) qui déclarait l’instrument cassé… pauvre chaisière qui ne flairait pas la farce !

Messiaen a su donner de nouvelles voix à l’orgue ou au piano dont l’écriture est parfaitement adaptée à la main, dans la grande tradition française. Maintes œuvres, dont certaines inquiètes de recherches tourmentées, ont éclos au cours des années, couronnées par l’opéra Saint François d’Assise, ·si dense, encore que Messiaen n’ait pas renié ce qu’il disait de ce genre étant jeune : que l’on doit pouvoir se souvenir de mélodies en sortant du théâtre : le rôle de l’ange me semble répondre à ce critère.

Non seulement Bach n’avait pas de secrets, mais les commentaires laissés sur vingt deux concertos de piano de Mozart combleront les amateurs par la poésie qu’ils suscitent, et les pianistes par certaines analyses qui, non seulement ne dessèchent pas, comme souvent ce genre d’exercice, mais ouvrent au contraire une dimension où passe un souffle et c’est là le secret du succès de Messiaen -professeur que le monde entier de la musique est venu écouter.

Je terminerai en disant que jeune étudiante j’ai entendu pour la première fois des œuvres d’Olivier Messiaen, puis je l’ai rencontré à l’occasion d’un jury et j’ai ressenti le choc du personnage exceptionnel, je ne savais pas que c’était rare, très rare - mais la planète a su aussi que là était l’"esprit".


Connaissance des hommes, 1993.


Article mis en ligne en décembre 2013.

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