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Récit historique

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Comment avec du vieux fabriquer de l’ancien ou l’art d’utiliser les restes


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Paris
le 5 Janvier 1863

Mon très affectionné cousin,

Mille mercis de vos bons vœux de santé, de bonheur et de prospérité. En cette période où nous sont offertes les fêtes de la Nativité et du Jour de l’An, je vous adresse mes souhaits d’heureuse année joints à l’espoir de voir tous vos désirs se réaliser. Vous me savez extrêmement sensible à tout ce qui vous touche et quand vous évoquez nos communs souvenirs, il m’est doux de me les remémorer.

Mais foin de nos regrets et revenons au présent. Sur notre butte de Chaumont les travaux avancent lentement, le terrain est accidenté, les blessures sont multiples et si les conditions de travail de la main d’œuvre se sont améliorées depuis l’accession au pouvoir de notre souverain, elles demeurent encore bien insuffisantes. Certes notre empereur a de grandes ambitions et s’intéresse à mille choses. Ainsi le 4 septembre de l’an dernier ne disait-il pas : « Je désirerais, pour vérifier certaines parties des campagnes de César dans les Gaules, charger le capitaine Stopfel, du 15è régiment d’artillerie, qui est à Auxonne, de faire certaines recherches sur le terrain » [1]. Après le projet des Buttes-Chaumont, voilà que Sa Majesté s’intéresse à la guerre des Gaules !

Le bruit court que notre souverain a fait entreprendre des fouilles sur le plateau de Gergovie afin de reconstituer la bataille où s’affrontèrent César et Vercingétorix. Aussitôt quelques gais lurons voient poindre les bénéfices. Ne dit-on pas que les propriétaires de sites susceptibles de receler des trésors égarés, seraient indemnisés grassement à condition que le chantier reste interdit au public. Nos farceurs se réunissent et décident de se mettre en campagne pour rechercher des pièces susceptibles d’intéresser l’empereur. Ils se creusent la cervelle et soudain l’un d’eux s’avise que dans le très vieux cimetière de X. , les tombes datent de Mathusalem, d’ailleurs, c’est bien simple, l’existence du cimetière se perd dans la nuit des temps. De là jaillit une idée cocasse, que personne n’ose exprimer, tant elle semble irrévérencieuse. Pourtant, l’idée fait son chemin. Du respect pour les morts, personne ne songe à en manquer, et le maire du pays finit par résumer l’opinion générale. Ne serait-il pas plus judicieux que ces corps, désertés par leurs âmes parties dans l’au-delà, et dont il ne reste que les os, servent un grand dessein plutôt que de pourrir sous un lopin de terre ? Ce serait les ressusciter avant l’heure et devancer ainsi la grande Résurrection promise à la fin des temps !

Les gens du pays n’ont jamais entendu parler de la guerre des Gaules et les bizarreries de l’empereur échappent à leur entendement. Mais qu’à cela ne tienne, puisque le souverain s’intéresse à l’Histoire des Arvernes, ils vont apporter de l’eau à son moulin. Dans le vieux cimetière, le terrain’• a souffert d’importants glissements, les tombes ont subi bien des dégradations, les pierres affaissées les croix brisées, les noms effacés, font penser que ne séjournent en ce lieu que des morts anonymes.

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Mort de Cornelius Maximus - Dessin à la plume de Victor Hugo - Cahier d’écolier 1815-1816 (Bibliothèque Nationale).

… on n’a qu’à se baisser pour ramasser les os…

Il n’est nullement question de piller les tombes, personne ne souhaite outrager les défunts, simplement, on les utilise. Tibias, fémurs, humérus, crânes jonchent le sol, ce n’est plus un exploit, c’est une cueillette, on n’a qu’à se baisser pour ramasser les os comme jonquilles au printemps ou muguet dans les bois. Le butin est si inespéré que chacun se met en devoir de creuser sa propriété pour disperser et enfouir ses trouvailles. Les ménagères tirent profit de ces fosses béantes pour y jeter de vieux pots cassés et des débris de cruches. Souvent les poteries ont été grossièrement peintes et marquées d’initiales pour qu’aucun voisin ne se les approprie. Des pièces de monnaie inutilisables, qui n’ont plus cours à force d’être thésaurisées, s’en vont rejoindre les cruches et les pots. Et l’on recouvre le tout.

Comment l’empereur a-t-il eu connaissance de ces jardins de pierres ? Nul ne saurait le dire, mais lorsqu’il passera en ces lieux, le souverain s’arrêtera, fera entreprendre des travaux pour mettre au jour ces pierres rares et les néophytes croiront déterrer des trésors perdus. Du même coup, Sa Majesté indemnisera généreusement les propriétaires des sites, devenus lieux de fouilles, désormais interdits au public.

Mais à Paris, le plus ennuyé au reçu de ces débris de squelettes fut le directeur du Muséum qui reçut pour consigne de les authentifier. L’histoire ne dit pas s’il aura eu l’audace de ternir la joie de l’Empereur en révélant que Sa Majesté avait été victime d’une supercherie. Ses assistants rapportent seulement qu’il s’est gratté la tête, signe extrême de sa perplexité.

Lorsque le couple impérial vint en Auvergne et visita Clermont qui en est la capitale, l’empereur ne manqua pas de s’informer des fouilles entreprises sur le plateau de Gergovie. Les autorités de la ville, qui avaient entendu parler de l’histoire du cimetière se creusent à leur tour la cervelle pour offrir un spectacle digne de la curiosité des souverains. Qu’y aurait-il de mieux qu’un volcan éteint qui entrerait soudain en éruption ?

6.000 fagots, 20 chars de bois y formèrent un immense brasier

A la tombée de la nuit on décida d’embraser les hauteurs qui encadrent la ville et tout spécialement le puy de Dôme. 6.000 fagots, 20 chars de bois y formèrent un immense brasier qui devait vomir des flammes et deux cuves contenant 8.000 kg de résine et d’huile allaient répandre sur les flancs de l’ancien volcan, des coulées de laves ardentes. Hélas ! Tout se consuma en fumées noires qui, dans la nuit, demeurèrent invisibles [2].

Je ne m’appesantirai pas sur la déconvenue des malheureux Clermontois. Les souverains sont repartis en se posant une seule question. Quelle lubie passait par la tête de ces notables pour les convier, avec un sourire radieux et des airs entendus, à fixer à la nuit tombée, le puy de Dôme sur lequel il ne se passait rien, et où, seule la lune laissait filtrer un triste rayon jaune.

Vous voyez mon cousin, que si les gazettes nous alimentent en informations diverses, seul, notre chanoine qui accompagnait leurs Majestés dans leur périple à travers l’Auvergne, a pu nous relater leur voyage et nous confier leur perplexité face au volcan éteint que les Clermontois tenaient à leur faire admirer alors que le ciel était d’un noir d’encre !

Encore bonne année cher cousin, toute ma tendresse accompagne mes vœux pour 1863. Je demeure votre affectionnée cousine.


p.c.c. Denise FRANCOIS




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Carhaix
le 22 Février

Très chère et très précieuse cousine.

Le récit de ces embrasements fumeux m’a particulièrement réjoui. Cet acharnement à faire revivre un passé inventé quasiment de toutes pièces m’amuse au plus haut point. La mode n’a point encore gagné ici, je dirais même que, faute de volcans nous n’avons que des pierres, levées, couchées, pour l’instant on ne voit guère qui cela pourrait intéresser. Mais peut-être dans l’avenir… quand l’Empereur et l’Impératrice auront déserté Biarritz ou Vichy.

Mais vous me dites ma cousine que votre chanoine accompagnait leurs Majestés ! Vos ecclésiastiques sont décidément de fort heureux hommes. Non content de profiter de votre présence dans vos ouvroirs ou lors de vos jours, les voilà qui s’accrochent au wagon impérial !

Dans nos campagnes nos hommes d’église, nettement bien moins partagés que les vôtres question relations, ont eux aussi leurs faiblesses. Dans notre monde en réduction ce sont eux qui sont à la place impériale et leurs ouailles à celles de courtisans. Oh bien pauvres courtisans, bien pauvres petits cadeaux en échange d’une messe, d’une prière !

A ce propos laissez moi vous conter la petite histoire d’Hermelinde, et de son Recteur, une histoire qui se passe dans un petit bourg de la côte. Hermelinde, avait coutume chaque dimanche de se rendre à la messe et d’approvisionner le Recteur d’une case [3] de far au four et d’une piécette pour la quête. Je ne sais de quoi le Recteur était le plus friand, mais il faut reconnaître que cette générosité hebdomadaire représentait beaucoup pour la vieille Hermelinde dont les revenus étaient très modestes. Mais surtout c’était pour elle l’occasion dans la semaine de voir Monsieur le Recteur venir chez elle lui rendre la case de far en prévision du dimanche suivant.

Ces visites rectorales, dont ses voisines n’avaient pas l’honneur, emplissaient d’un orgueil légitime le coeur d’Hermelinde qui, à l’occasion, déposait sur la table une assiette de gâteaux mous et une bolée de café pour honorer comme il le fallait son saint visiteur.

Un beau jour le Recteur commit l’irréparable en ne venant pas rendre sa case vide à Hermelinde. Car pour Hermelinde cette case à far-four c’était du sacré, pensez donc, elle avait été fabriquée par son fils l’année où il venait d’être embauché comme chaudronnier à l’Arsenal de Brest. Pire encore, les commères du quartier commençaient à faire courir les bruits les plus épouvantables sur le sort de l’âme d’Hermelinde, un sort bien noir puisque le Recteur ne venait même plus lui rendre visite.

La case revint finalement mais par l’intermédiaire d’une main inconnue, peut-être celle de la Carabassen (en bonne parisienne vous auriez dit la bonne du curé). Mais voilà, fâchée à mort contre son recteur, Hermelinde ne vint plus à la messe. Plus de far-four dominical, plus de piécette pour l’ingrat ecclésiastique. Hermelinde aura eu finalement beaucoup plus de ressentiment contre celui qui un jour méprisa son far-four que contre un Empereur qui vient d’envoyer une bonne partie de la jeunesse du bourg dans une expédition mexicaine en lui faisant miroiter je ne sais quel Eldorado… J’ai bien peur, soit dit en passant, que cette expédition ne connaisse le sort peu glorieux de votre éruption clermontoise.

Voilà ma bonne cousine ma petite chronique d ’un provincial auquel votre présence manque toujours affreusement.

Soyez assurée de mon affection.


p.c.c. Roland GREUZAT


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Article mis en ligne en septembre 2014.

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[1André Castelot : Napoléon Ill

[2Napoléon Ill : Voyage en Auvergne

[3case : en Bretagne on appelle ainsi le plat dans lequel on fait cuire au four certaines spécialités. Cette anecdote est extraite de « Petites histoires savoureuses autour de la cuisine familiale en Bretagne » ed. DOM

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