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Q.L N° 015 - HIVER 1982

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Dossier théâtre : Table Ronde


Quartiers Libres présente dans ce numéro la transcription d’une bande magnétique enregistrée au cours d’une Table Ronde sur le Théâtre, que nous avons pris l’initiative de convoquer. Voici comment :

Au début, ça a été un peu une idée en l’air, pas très précise il faut bien l’avouer dans notre tête, simplement, Étienne, de l’équipe du journal, se pose
plein de questions sur le théâtre, et moi aussi, c’est un thème qui m’intéresse ; de plus, nous nous sommes aperçus qu’il n’y a guère de numéro du journal
où nous ne parlions pas de ce qui se passe dans le quartier en matière de théâtre : programmes, mais aussi critiques de pièces, d’animations théâtrales ; et puis, qui dit maison de quartier dit théâtre bien souvent, qui dit PFA dit Bonhomme Rouge, etc. Alors nous avons eu l’idée d’inviter les troupes de théâtre que nous connaissions à se réunir avec nous, autour d’un magnétophone, et à débattre d’une série de questions ; là encore nous n’avions pas de questionnaire très fixé, mais des grands thèmes : faire du théâtre aujourd’hui, dans un quartier"populaire," dans un quartier tout court, qu’est-ce que cela veut dire ? Que peut-on dire du rapport au public, des expériences d’animation avec les habitants d’un quartier ? Quel est le lien entre création théâtrale et vie des gens ? etc…

La rencontre a fini par se concrétiser petit à petit, parce que notre lettre d’invitation a trouvé un bon écho auprès d’un certain nombre de troupes, qui se sont montrées intéressées par notre initiative (sans doute correspondait-elle à un besoin ressenti de communication entre des troupes qui se côtoient dans un même quartier sans toujours bien se connaître ?). Nous en avons été les premiers heureux, et nous remercions chaleureusement ici tous ceux et toutes celles qui par leur présence et quelquefois leurs conseils ont permis à cette réunion de se tenir. En particulier, un grand merci au TEP qui nous a prêté ses locaux du 159 avenue Gambetta pour la journée.

Nous reproduisons ici le débat de la matinée . Faute de place, et parce que le sujet nous paraît assez important pour y consacrer plusieurs numéros, nous
réservons pour le suivant la discussion de l ’après-midi.

Nous vous donnons également la liste des participants à cette rencontre, ainsi que quelques indications sur leur travail. Nous sommes bien sûr à la
disposition de tout lecteur ou lectrice qui le souhaiterait pour apporter des compléments d’information, ou pour les aider à contacter telle ou telle troupe.

C’est Étienne qui s’est chargé du décryptage de la bande magnétique. Il est clair qu’une discussion qui a été parfois animée, où les gens sont intervenus
très naturellement, sans contraintes d’ordre de parole, se révèle par moments confuse au magnétophone : il a donc fallu classer, choisir, couper certains passages. Nous essayons ici de transcrire ce qui nous a paru essentiel, de la façon la plus vivante possible. La bande magnétique, nous l’avons toujours, et elle est à la disposition de ceux ou celles qui voudraient la réécouter, ou s’en servir (nous avons pensé à un moment en passer des extraits sur une radio libre du quartier, radio 20 par exemple) .

Nous espérons que les intervenants ne se sentiront pas trahis par le résultat . Nos colonnes leur sont bien sûr ouvertes pour tous compléments, précisions,
rectifications.

Nous espérons aussi que cette initiative n’est qu’un premier pas, et que le débat, dont nous avons pu voir toute la richesse possible, autour du théâtre
et de l’animation de quartier, se poursuivra sous une forme ou sous une autre.

Encore une précision : certaines troupes ont "manqué à l’appel" et nous avons regretté leur absence (je pense en particulier au groupe Boal) : nous aimerions bien, une autre fois peut-être, aborder avec elles toutes ces questions.


Michèle.



Les participants : Théâtre du Bonhomme Rouge, Théâtre Présent, Astelle-Théâtre du XIXème, L’atelier des métamorphose, Théâtre de l’Est Parisien (TEP) et Centre Mathis.

I. Le théâtre et l’animation

Dominique (Bonhomme Rouge) : Je vais peut-être commencer, si cela peut introduire la discussion : ce qui nous intéresse, c’est un travail en direction d’une population, qui aboutisse bien sûr ensuite à une création. Mais nous dansons un peu sur un fil : parce que les gens nous disent : "vous faites de l’animation, alors ce n’est pas du théâtre" ou "vous faites
du théâtre, alors ce n’est pas de l’animation
". Et c’est une contradiction que nous ne voulons pas.

Nous avons fait tout un travail d’abord Place des Fêtes. Ensuite nous avons dû partir, parce que la Maison de Quartier où nous étions installés a été démolie. Maintenant nous travaillons au Plessis-Robinson, le départ de la Place des Fêtes est une cicatrice qui se ferme mal, et nous préparons un spectacle, "Parole d’urgence" que nous élaborerons à partir d’un travail avec les gens, d’un réseau. Ce qui est important, c’est de partir de la dimension théâtrale de la vie : nous voulons une animation qui prépare le spectacle. Nous avons commencé avec et pour un public de jeunes spectateurs, ensuite nous avons utilisé les méthodes de Boal (elles ont leurs limites : quelquefois elles simplifient trop) : nous sommes allés dans des classes, des Comités d’Entreprise, nous sommes intervenus dans des réunions du quartier : par exemple nous avons représenté d’une façon "bouffonnesque" la création de Beaubourg, au moment de l’initiative de PFA ("Le P’tit Beaubourg de la Place des Fêtes)… C’est cela que nous voulons continuer au Plessis.

Pierre Peyrou (Théâtre Présent) : Je ne sais pas si c’est intéressant que chacun raconte son expérience. Nous ne sommes ni du même âge ni de la même force. Le TEP, c’est un gros truc. Olivier est plus jeune, nous et Balbinot, on est plus petits. On n’a pas la même largeur d’épaule. Est-ce qu’on peut se tendre la main ? Comment peut-on le faire ?

Étienne : C’est une question qui s’adresse plutôt au TEP ?

Pierre Peyrou : Non, pas forcément, à tout le monde.

Guy Rétoré (TEP) : Pour cela il faut parler du travail théâtral. Ce n’est pas forcément raconter une expérience, mais exposer une conception.

Michèle : C’est important. Par exemple, quels sont les choix de "répertoire" de chaque troupe ?

Marius Balbinot (Astelle-Théâtre du XIXème) : Moi, ce que je veux, c’est privilégier un répertoire qui est lié à l’enseignement. C’est à l’école qu’il faut apprendre aux jeunes à aimer le théâtre. Je souhaite contacter les enseignants et les élèves, au niveau du répertoire, et montrer comment dans la pratique s’élabore le théâtre.

L’Astelle-Théâtre a mis en scène "Les bonnes" de Genet et un spectacle de Mérimée. Mérimée a été un échec. Seuls quelques enseignants d’un certain âge sont venus. Je suis allé voir l’Éducation Nationale, dans le I9ème… On étudie seulement "Colomba", en 5ème. Le théâtre de Mérimée ne fait pas partie des programmes… Pourquoi Vigny, Marivaux, et pas Mérimée ? J’ai le projet d’un montage des fabliaux à Molière, pour l’école primaire, et secondaire. J’ai aussi le projet d’une création. L’auteur, une comédienne, habite le I9ème. Le théâtre de quartier se crée avec des gens du quartier…

Au niveau de l’esthétique, mon travail est dominé par le lieu exigu dans lequel nous sommes. Dans mon travail, la violence ne peut pas s’exprimer comme au
TEP où il faut porter loin la voix. C’est un travail très feutré, où il faut privilégier le geste. Je dois adopter une démarche très précise, comme un acteur devant une caméra, dont on voit tous les mouvements de sourcil.

Je n’ai pas de démarche particulière en ce qui concerne le choix d’une pièce qui peut toucher le public. Ce n’est pas au créateur de se demander ce qu’il doit choisir pour plaire au spectateur. ( … )Un grand auteur est compréhensible pour tout le monde. Par exemple Genet qui est pourtant difficile dans sa structure est immédiatement accessible. Il n’y a pas de théâtre élitaire. Le TEP a pris le "grand théâtre", et l’a rendu populaire !

Je connais le travail de Guy Rétoré, beaucoup moins celui du Théâtre Présent. Ce dont je souffre, c’est l’isolement par rapport à la population. Et puis aussi on ne se connaît pas entre troupes. J’aimerais savoir quelles relations nous pourrions avoir entre nous…

Étienne : Si vous permettez, j’aimerais bien qu’on parle aussi de la cohésion des troupes. Vous êtes tous directeurs de théâtre, c’est un peu gênant. On a l’impression d’un rapport entre un directeur qui est à la limite un employeur, et sa troupe… Alors ? La troupe, est-ce qu’elle est faite d’ouvriers qui vont être embauchés pour le spectacle, éventuellement licenciés ? Ou est-ce une expérience vécue par tous les membres de la troupe ?

Guy Rétoré : Je ne sais pas si ce que je vais dire correspondra à ce que vous souhaitez. Dans cette ville, le théâtre est limité à : fabriquer un produit fini qu’on livre à des gens pour qu’ils le consomment. À partir de là, il ne se passe rien, on a perdu l’essentiel.

Je dirai brutalement : en exagérant, si le théâtre se limite à fournir un produit fini, je me fous du théâtre !

Je le livrerais à des inconnus qui le consommeraient : ce serait le contraire d’un moyen de communication. Théâtre, littérature, peinture… je ne les différencie pas. Je les associe comme moyen de correspondre avec les autres. Nous tous qui sommes ici, nous sommes sortis du ghetto parisien. C’est une démarche qu’on a la chance de pouvoir faire , d’une façon un peu marginale
par rapport à la ville. On a la chance de ne pas être dans le"Grand Paris". On a la chance de pouvoir se demander quel est le rôle du théâtre. Nous sommes dans le théâtre, et nous partageons les problèmes politiques et sociaux de l’Est parisien.

C’est vrai, Machiavel, la pièce que nous avons terminée hier soir est un classique. C’est vrai que nous l’avons livré comme un produit fini. Mais quand on sait ce qui s’est passé avec les spectateurs : ils assistaient le samedi et le dimanche aux répétitions. Hier soir les comédiens et les spectateurs sont entrés gratuitement dans la salle et ont assisté à la représentation. Les spectateurs ont joué : on a découvert des acteurs potentiels extraordinaires !

Dominique : Les gens séparent animation et théâtre. Or le théâtre est un instrument de rapport direct ; dans la vie quotidienne, les circuits sont fermés… le théâtre ouvre quelque chose. C’est un rapport d’émotion, aussi parce qu’il est artisanal. Il faut se poser des questions comme : qu’est-ce que l’échange dans la société où on vit ?

Guy Rétoré : L’industrie du spectacle fournit des produits de plus en plus extraordinaires avec ses moyens techniques. Est-ce que la culture se fabrique ? Si la culture se fabrique, est-ce qu’on va continuer à communiquer avec les gens ? Peut-être qu’il faut attendre que le théâtre disparaisse, pendant quelques décennies, et que les gens sentent le besoin indispensable d’une communication, pour que le théâtre renaisse. Il faut qu’on sente qu’on en a vraiment besoin. Si on cesse d’avoir un rapport social, artisanal, le théâtre de toute façon est condamné à disparaître.

Étienne : Il faudrait supprimer complètement les subventions au théâtre ?

Guy Rétoré : Je ne dis pas cela, mais le théâtre entrera au musée si les artistes qui connaissent bien leur public ne réagissent pas violemment. On montrera un truc formidable… qui marchait bien il y a 20 ans…

Michèle : Je me demande si l’épanouissement du théâtre (du théâtre en liaison avec des luttes par exemple) qu’on a connu dans les années de "l’après 68" n’est pas en train de se "refermer"…

Alain Grasset (TEP) : Non, ça ne se referme pas : la réflexion de Rétoré est partagée par plein de gens du théâtre. On peut prendre l’exemple du Campagnole, et de leur travail d’un an de rencontres avec les habitants
de Châtenay-Malabry, sur le thème : "une ville se raconte", ce qui a donné Le Bal. On peut aussi parler de ce qui s’est passé à Merlebach…

Guy Rétoré : Ce qui fausse la réflexion, par exemple pour le théâtre du Campagnole, c’est qu’on ne parle que du résultat du spectacle. Ce n’est pas cela l’acte essentiel. L’essentiel, c’est la démarche, ce qu’elle déclenche.

Georges Buisson (TEP ) : Par rapport au souci de théâtre politique, je pense qu’il y a une évolution depuis 68. Très longtemps on a assimilé théâtre et prise de conscience. Aujourd’hui les gens travaillent beaucoup plus sur la culture populaire, où l’on pense qu’on peut découvrir une richesse intense. Il est grand temps que la création essaye de se plonger dans ses racines pour se revivifier. Il y a une très grande évolution, dans cette création, du politique.
On ne peut pas dire que nous détenons une vérité et que par ailleurs les gens mènent une vie aliénante.

Marie-Thérèse Netter (TEP) : La démarche doit être d’autant plus attentive qu’il ne s’agit pas de "récupérer" un public.

Alain Grasset : Le théâtre est de plus en plus narcissique quand il correspond à l’idéologie dominante, qu’il est coupé de la culture populaire. Or les "racines" existent partout, et en particulier ici, dans cet Est de Paris. On a tendance à dire : "on va aider", surtout dans le théâtre populaire. Mais le théâtre n’aide à rien du tout, il pose des questions.

Guy Rétoré : Dans l’Est parisien, on a la chance d’ être dans une cité où on n’est pas coupé de ses racines. J’ai toujours voulu m’inscrire dans la vie de
la cité.

Dominique : Pour le théâtre c’est une question de vie ou de mort. En fait de redéfinition du théâtre populaire, pour le théâtre, c’est une question de survie.


II . Le théâtre et les auteurs

Étienne : En lisant le livre de Marcel Maréchal sur le théâtre, on est néanmoins frappé par une question : le théâtre populaire fait évoluer les troupes, leur structure. Mais pourquoi cela engendre une transformation de la troupe, et ça n’engendre pas d’auteur ?

Alain Grasset : Pour répondre à cette question, il faut reprendre une formule qui est à la fois très juste et très fausse : "le théâtre est le reflet d’une société". Le théâtre reflète l’idéologie d’une couche très étroite, il est fait pour ce spectateur-là, qui n’est pas le spectateur populaire. Le spectateur "populaire" n’est pas différent du public de théâtre de recherche. Il n’existe pas beaucoup de théâtres qui peuvent remplir la salle sans la critique : combien y en a-t-il ? Il y a le TEP, le Théâtre de la Ville, c’est tout…

Pierre Peyrou : Voilà la question dont il faut parler : comment arriver à cette convivialité avec le spectateur ? On en a parlé dans l’abstrait… Rétoré
a une expérience assez longue, il sait comment faire.

Guy Rétoré : Non, je ne sais pas comment faire, nous restructuration, dans un déracinement avons été dix ans sans avoir de spectateurs !

Pierre Peyrou : Vivre avec les spectateurs, je suis tout à fait d’accord pour soutenir toutes les expériences qui vont dans ce sens. Mais c’est extrêmement difficile. Les gens sont sollicités par des évènements, et les gens vont à Châtenay-Malabry voir Le Bal parce que la critique en parle. Sans critique, on n’existe pas : les gens de l’immeuble à côté ne viennent pas : "tiens, qui c’est celui-là, il n’est pas passé à la télé !"…

Alain Grasset : Le Campagnole à Châtenay est connu par un "évènement", mais les gens à Châtenay connaissaient le théâtre par le travail que la troupe a fait.

Je prends cet exemple parce qu’il est à la mode : quand la troupe travaille, ça marche. Il a fallu cette rencontre avec la population. Les personnages ont été pris dans la population. Il y a eu des "spectacles-récits" avec les habitants, qui ont tourné dans les écoles et les associations, à côté du spectacle final. On en a peu parlé : la critique, en ne présentant que le résultat, sape ce travail.

Étienne : Je suis resté insatisfait de ma question à propos des auteurs : alors par exemple à propos d’une pièce comme Le Bal , comment le texte a-t-il été formalisé ? Est-ce que ce sont les acteurs qui par petits bouts ont construit la pièce, est-ce qu’il y a eu intervention d’un auteur ?

Alain Grasset : Le Bal est un spectacle sans paroles.

Marie-Thérèse Netter : L’auteur, là, évidemment…

Georges Buisson : Mais ça ne fait rien parce que ça correspond à un travail en profondeur dans la population. Si on avait transcrit de façon mécanique les discours dans une pièce, on aurait abouti à quelque chose d’une pauvreté très limitée, du reportage. Là, au contraire, l’art s’est enraciné dans la culture populaire. C’est une nouvelle forme d’écriture. Par exemple Tordjman après un an de travail dans le bassin minier a écrit une pièce qu’il a signée, et qui n’est pas du tout un produit réducteur. Ce n’est pas l’optique de la création "spontanée". La création spontanée peut exister, mais elle s’enrichit du travail de professionnel dans le domaine de l’écriture et dans celui de l’esthétique théâtrale. C’est pour cela que je ne suis pas d’accord avec Maréchal…

Étienne : Il parle de son expérience : quand il a fait son festival à Couzan, qu’est-ce qu’il a joué ? Shakespeare ! Et quand il fait le bilan de son expérience, les deux pièces qui à son avis ont eu le plus d’échos, c’est Ruzzante et Kateb Yacine. Il se trouve aux prises avec une crise de la création…

Georges Buisson : Le cas d’une festival et la création, ce n’est pas la même démarche.

Dominique : Il faut démystifier l’auteur, dont tu fais un monstre sacré au 6ème étage qui boit un bon litre de whisky et pond sa pièce… Shakespeare, Molière, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Profondément, le travail d’auteur, c’est d’aller vers les autres. Dans le spectacle du Campagnole, il n’y a pas de paroles, pas d’auteur, mais en définitive il y a quelque chose qui sort : il y a un auteur collectif.

Alain Grasset : L’expérience de Bobigny nous a marqués aussi…

Georges Buisson : Bobigny : la ville était en pleine restructuration, dans un déracinement complet. La population était coupée de l’animation culturelle.


III. L’enracinement du théâtre

Guy Rétoré : Il faut aussi perdre l’habitude de voir dans le théâtre des démarches fragmentées. Ce n’est pas un spectacle qu’on monte qui est l’aventure de toute notre vie. Cette aventure, en fait, c’est l’entreprise même. Et l’entreprise, c’est un dialogue qu’on entretient pendant des années avec une population. La tentation de penser "je monte ça" est très forte et détruit une vision plus globale. Bien sûr chacun de nous est content de réussir un spectacle, mais il faut avoir une démarche profonde…

Marius Balbinot : Le spectacle en définitive est secondaire, dit Rétoré. Mais en définitive, dans un quartier qui est en pleine transformation, comment
réussir une implantation ? Le théâtre, c’est un lieu : "où il est le théâtre ?"demandent les gens… l’immeuble a 7000 habitants, et les gens n’ont pas d’enracinement, c’est le climat des cités-dortoirs. L’enracinement dans la population, moi, je dois avouer que je nage complètement. J’ai essayé avec
les écoles, pas de réponse. Ma seule relation avec le public, c’est dans le spectacle, quand il vient. C’est le seul contact, grâce à la qualité de la représentation.

Olivier Dumont (Centre Mathis) : Par la liaison avec les associations, dans un centre comme le mien, on arrive à avoir 100 personnes sans la moindre critique, par exemple pour un spectacle musical…

Pourquoi est-ce qu’on n’organiserait pas un Carnaval de Quartier avec toutes les troupes qui sont là ? Est-ce qu’on a bien réfléchi à tous les réseaux qui constituent le tissu social ? Par exemple L’atelier des métamorphoses fabrique des costumes pour le théâtre. Est-ce qu’un atelier comme celui-là ne peut pas faire le lien entre les gens et les troupes de théâtre, en faisant par exemple participer des femmes du quartier à la confection de costumes ?… De même n’existe-t-il pas des associations qui pourraient travailler aux éclairages, à l’enregistrement ?

Dominique : Le Bonhomme Rouge avant tout n’était pas un lieu de théâtre : les I800m2 de PFA, c’était quelque chose de formidable. Il y avait une chapelle, une crèche, un groupe femmes. C’était un lieu porté par des idées, le réseau nous dépassait nous-mêmes. Ce sont ces espaces sociaux qui manquent.

Alain Grasset : Il y a bien un lieu qui existe, quelque soit le quartier, ce sont les appartements ! On peut y réunir quinze personnes… Ce n’est pas forcément la peine de construire des lieux ils vivent bien quelque part les gens,et ce n’est pas en les rassemblant à 300 qu’on a des contacts profonds avec eux.

Michèle : Tu fais allusion au théâtre à domicile ? Il y a eu effectivement des expériences…

Alain Grasset :En tout cas, faute de théâtre, la création audio-visuelle à domicile marche bien. On va voir les gens à domicile, et ils s’expliquent, ils
sont heureux d’avoir de nouveaux contacts, entre voisins. Ces liens entre voisins durent même après, sans que l’artiste se sente responsable de "conserver" les lieux et de les gérer. Les gens continuent à vivre, l’artiste n’a pas pour mission de gérer le lieu : l’artistique et le social ne se confondent pas.

Dominique : Je suis d’accord…

Georges Buisson : On nous pose toujours la question : "et après ?". Mais c’est l’artiste qui a besoin des gens, Dieu merci, après les gens vont continuer à vivre. Par contre l’idée du théâtre peut et doit être transformée, à force, le théâtre, pour ces gens, cesse d’être anonyme.

Dominique : Je suis convaincu de cela, mais c’est le "petit à petit" qui m’intéresse : par exemple, j’ai rencontré à Châtenay-Malabry des gens pas du tout heureux de l’expérience du Campagnole, à qui on avait "pompé" des trucs, et qui en étaient furieux. Tu comprends, le côté commando-j’arrive-je repars…

Alain Grasset : Gatti était pour le côté commando… Mais je comprends ton souci. C’est pourquoi je pense qu’il faut faire des fêtes régulières, faire revenir
le théâtre régulièrement, travailler avec les spectateurs sans pour autant ni les pomper ni investir l’artiste d’une mission. Ça peut être le rôle d’un
Carnaval !

Georges Buisson : Il ne faut pas non plus se faire un idéal du relais de l’action théâtrale par la vie associative, car celle-ci souffre du même manque de participation. Qui voit une affiche de théâtre dans la rue ? Celui qui s’intéresse au théâtre, pas les autres. L’affiche est du même côté de l’évènement. Dans le cas du Carnaval, c’était différent : l’information a circulé et la boule de neige a grossi. Évidemment, pour ça il faut des moyens !

Étienne : J’ai une autre question : Une troupe, quand même, c’est bien un minimum de structure de communication, n’est-ce pas ?

Pierre Peyrou : Non, justement, les troupes, il n’y en a plus ! Les artistes circulent, on "engage" des comédiens… Les circonstances font les pièces.

Marius Balbinot : La question des moyens pour moi est tout à fait dramatique. Je n’ai pas de troupe fixe. Alors qu’il faudrait un budget pour remuer la population en profondeur.

Dominique : Le manque de moyens se fait toujours durement sentir , et crée cette différence de perception entre animateur et créateur…

Guy Rétoré : Ne croyez pas que le TEP soit un cas différent. L’association, qui a démarré en 1950, n’a reçu sa première subvention qu’en… I962 !

Marius Balbinot : C’était plus facile à l’ époque. La rupture du théâtre populaire avec le théâtre bourgeois était beaucoup plus franche .

Marie-Thérèse Netter : Non, au contraire ! L’ évènement actuel est dans la quantité des initiatives. Le TEP a démarré, mais la synthèse des expériences actuelles sera plus intéressante.

Michèle : Si on voulait un peu résumer ce qui s’est dit ce matin, on pourrait le faire ainsi peut-être : sans lien avec la population, le théâtre meurt. Et son enfermement résulte de la fabrication d’un produit culturel fini , ce qui est une tentation qu’il faut dépasser ?

Rendez-vous donc cet après-midi, pour la suite de cette discussion, d’autres troupes seront là, qui ne pouvaient venir ce matin.


À suivre…

Rendez-vous donc dans notre prochain numéro pour le bilan de l’après-midi !

L’après-midi : les mêmes troupes, plus : Théâtre Rituel, Atelier d’expression de femmes, Forum du mouvement et Théâtre de l’Arche.

Se sont excusés et nous ont envoyé des informations sur leurs activités : le Théâtre Noir, le Théâtre des Buttes-Chaumont, et celui des Amandiers. Faute de place, nous en parlerons dans notre prochain numéro.


Lire la suite dans le Quartiers Libres n°16 : Dossier théâtre : suite et fin (?)


Mis en ligne en mars 2014.

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