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Q.L N° 014 - OCTOBRE 1981

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Genet et Mérimée joués en alternance à l’Astelle Théâtre


Entretien

Nous sommes allés interviewer Marius Balbinot, le metteur en scène de l’Astelle-Théâtre, dans la petite salle installée au rez-de-chaussée d’un grand immeuble de la rue de Meaux. Avec le ton passionné qui le caractérise,
il nous a parlé de son théâtre, de ses projets.

Q.L. : Pouvez-vous nous faire un historique de l’Astelle-Théâtre ?

M.B. : C’est très modeste : je suis comédien, je travaillais à la télévision, j’habite le quartier depuis 5 ans : nous étions une équipe de comédiens à remettre en question notre métier à la télé… Alors nous avons élaboré un travail sur "Les bonnes" : une tentative un peu improvisée. Ici, avant, c’était un entrepôt de décors d’une ancienne troupe de théâtre de Belleville. Nous avons ouvert le 22 juillet dernier. Et le public est venu nous voir.

Q.L. : Vous rejouez "Les Bonnes" ?

M.B. : Oui : le théâtre a été fermé parce que non-conforme aux normes de sécurité. Alors nous avons fait les travaux nécessaires, sommes passés de
35 à 60 places… J’ai mis là-dedans ce que j’avais, un compte d’épargne… Et nous avons rouvert.

Q.L. : Quel public ?

M.B. : Bien sûr, Genêt a un public particulier, universitaire… Mais beaucoup de gens du quartier sont venus nous voir, qui ont parfois découvert le théâtre à travers Genêt. À la 100ème, on refusait du monde.

Ici, par exemple, dans ce grand ensemble, il y a 7000 habitants : c’est un public potentiel que nous voudrions toucher.

Q.L. : Pourquoi ce choix de pièces relativement peu jouées ? Par exemple celles de Mérimée : c’est pratiquement une "redécouverte"…

M.B. : C’est tout l’intérêt d’un petit théâtre de quartier : nous pouvons faire des"essais" en prenant des risques. Un grand théâtre n’investirait pas dans Mérimée. Et puis ce sont des pièces accessibles à tous les publics que nous choisissons : en somme, un travail de recherche, sur un théâtre simple que nous voulons faire aimer.

Q.L. : L’Astelle-Théâtre, c’est un théâtre de quartier : en quoi ?

M.B. : J’insiste : c’est l’Astelle-Théâtre du XIXème : nous souhaitons travailler dans ce quartier, avec les associations par exemple. Redonner un sens à la vie de quartier. Il y a d’ailleurs toute une volonté vivante, une tradition aussi, qui va dans ce sens. Mais pour l’instant le 19ème est encore un peu un "désert" culturel : les gens quand ils sortent vont dans le centre, ou alors en
banlieue, où il y a des théâtres connus, comme à Aubervilliers… Mais ici, il y a
des vides à combler. Il faudrait retrouver une vie culturelle au niveau de la cité : dans chaque grande cité, il pourrait y avoir un théâtre. Il y a encore des préjugés, des gens qui n’imaginent pas encore qu’un théâtre puisse être installé dans un immeuble…

Q.L. : Le succès ne risque-t-il pas de vous faire abandonner ce point de vue, pour devenir une troupe plus "parisienne" ?

M.B. : Au contraire : si nous avons du succès, les gens du quartier vont s’intéresser davantage à nous, c’est ce que nous cherchons.

Q.L. : L’Astelle-Théâtre est subventionné ?

M.B. : Nous recevons une subvention de la Ville de Paris, de 80000 F, qui sera reconduite. Et la Ville de Paris pourrait nous acheter des représentations pour les scolaires. Mais, c’est encore peu : la plupart des comédiens ne gagnent pas leur vie : l’objectif serait de permettre un fonctionnement normal de la troupe, ce qui n’est pas encore le cas.

Q.L. : Vous ne rêvez pas d’une salle plus grande ?

M.B. : Pour l’instant nous sommes bien ici : nous essayons de faire un théâtre adapté à ce lieu : chaque lieu exige une mise en scène différente. L’idéal, bien sûr, serait de garder ce petit théâtre et d’avoir une salle plus grande, pour un autre type de recherche.

Q.L. : Vos projets ?

MB : Pour le prochain spectacle, montrer
le chemin qui conduit jusqu’à Molière, en
passant par les fabliaux, la farce, Rabelais.
Nous aimerions travailler avec les
écoles : il y a une mission éducative du
théâtre. Mais pour cela il faut être exigeant,
proposer des spectacles de qualité.
Nous pensons aussi jouer une pièce d’un
aut:u qui habite le I9ème : Maud Lévy, une
comed1enne. Cela s’appelle Madame N.
QL : Comment concevez-vous le rôle de metteur
en scène ?

MB : D’une manière assez classique : je propose
une mise en scène. Mais bien sûr, il
y a tout un travail de relation directe
entre le comédien et le metteur en scène :
chaque comédien fait sa propre démarche.
J’essaye surtout de privilégier un climat
de travail, de recherche au niveau gestuel.
Le comédien est comme "incarné", son langage
c’est celui de l’émotion : il faut chercher
cette vérité-là, dans les gestes, les
regards. J’essaye d’aller dans le sens d’une
gestuelle très cohérente. Il faut tout le
temps être vigilant, pour que par exemple
le geste ne se décale pas, qu’il ait tout
son sens par rapport à la dramaturgie.
Il faut affiner, resituer … C’est un jeu
d’ensemble aussi, de coordination entre
les comédiens. C’est à la fois très fragile
et très intense…


Extraits de la discussion avec Marius Balbinot




Connaissez-vous Prosper Mérimée ?

Prosper Mérimée : 1803/1870Connaissez-vous Prosper Mérimée ?… Non ? Et bien dommage parce que cet auteur est assez féministe et en plus c’est un apôtre de la tolérance.

Dans ce quartier, l’Astelle-Théâtre a monté deux pièces de Mérimée : ses "héros" sont des femmes qui souffrent violemment de l’oppression morale imposée par une certaine église catholique.

Une jeune fille se tue par amour pour un prêtre qui lui préfère sa rivale.

Le sujet est romantique, scandaleux. L’actrice est belle. Au début de la pièce, quand elle est heureuse, vous participez à son amour. Elle est dépitée, puis en larmes, vous participez à son émotion. Et lorsqu’elle se tue, à votre tour vous sortez du spectacle les larmes aux yeux.

Aucune lourdeur dans ces deux petites pièces. Pas de vers comme dans le théâtre classique, celui de Corneille, de Racine , de Molière. Un seul acte, aucune complication d’intrigue, pas de distances sociales à double sens entre les maîtres et les serviteurs. Et pourtant les caractères des personnages sont complexes. Leurs arguments pour se séduire les uns les autres sont longuement exposés. Et qui que vous soyez, quelle que soit votre origine culturelle ou votre religion, vous prendrez plaisir à cette tactique.

Une femme très criante dans sa religion aime un homme. Elle ne veut lui céder qu’à la condition qu’il se convertisse. Pourquoi utiliser le langage de la religion quand on aime d’amour ?
 
Est-ce une hypocrite ? À moins que ce ne soit son amant qui ne soit le joueur ?
 
Lui pour sa part ira jusqu’à la mort pour défendre ses idées. Alors elle, de son côté saura-t-elle mourir par amour pour lui ?

Utilisez-vous votre religion comme un masque pour être convenable auprès de vos amis, auprès de votre famille ? Ou bien êtes-vous passionné et cherchez-vous dans un texte sacré des explications qui vous permettent de vivre votre passion ?

Et Monsieur Mérimée, prisonnier de ce choix, que croyez-vous qu’il fît ?… Il fut un conformiste en diable !

Ainsi Monsieur Mérimée est à la mode : dans un autre grand théâtre de Paris on joue Carmen et un magazine littéraire en a fait un numéro spécial.


Vive l’Astelle-Théâtre, à bas l’auteur !

Allez au théâtre mais ne suivez pas la mode. Vive l’Astelle-Théâtre, à bas l’auteur, un célibataire endurci aux humeurs acariâtres. Il n’était féministe que dans ses romans. Par bonheur il chercha une région qui symbolisait le mieux la passion vécue dans une foi religieuse profonde. Et cette région fut la Corse, sur laquelle il situa l’histoire splendide de : « Colomba ».

La Corse, encore une raison de vous intéresser à Mérimée. À bas Mérimée, ai-je dit, mais Vive le théâtre et Vive la Corse !

Étienne



De Mérimée à Genet

Genet-Mérimée : peu de rapport apparemment. Et pourtant, à voir la mise en scène des deux pièces de cet auteur proposée par l’Astelle-Thêâtre (Le Ciel et l’Enfer, et L’ Occasion ), et à la comparer avec celle des Bonnes, on est frappé par un même climat : univers clos, où règne l’hypocrisie de la morale religieuse, personnages fascinés par les interdits et qui tentent de les briser, d’aller jusqu’au bout de leur logique passionnelle, en provoquant toutes les limites… rêves de liberté impossible, qui conduisent à la mort.

Cette mort rôde dans les deux pièces de Mérimée, incarnée par la fugitive apparition d’un personnage masqué ou par une servante aux allures mystérieuses de gitane. Elle guette les héroïnes, possédées par leur passion, leur soif de transgression : puisque c’est le seul chemin possible pour aimer.
Spectacles où les femmes dominent : personnages entiers, animées d’une violence farouche, malgré leur fragilité ou leur jeunesse. Les prêtres, eux, se donnent des airs de faux-christs, imitent les attitudes des saints qu’on voit sur les peintures : maniérisme, mensonges, masques…

Ce qui m’a paru le plus intéressant, c’est le travail du geste, qui fait jouer en permanence les ressorts de l’ambiguïté, du paradoxe : les personnages sont pris au piège de leurs propres attitudes, leur seule vérité ne peut être que la violence ou la mort. Dénoncer ainsi, à travers les gestes mêmes des comédiens, combien nous sommes prisonniers, jusqu’en nos sentiments les plus profonds, de nos rôles sociaux, voilà qui me semble dépasser la seule portée de l’œuvre de Mérimée, et trouver des résonances singulièrement modernes.

Ajoutons à cela la beauté de la mise en scène, dense et rigoureuse, la qualité du jeu des comédiennes, qui expriment avec une justesse de ton remarquable, surtout dans les scènes violentes, les sentiments les plus contradictoires , et créent un climat de tension, de folie parfois, dont, comme le disait Claire à propos des Bonnes, le spectateur ne ressort par indemne.

Michèle


Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens, actualisé en septembre 2013.

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