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Histoire d’une rue

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La rue Clavel


Il y avait à l’origine un chemin qui courait de la montagne de Belleville à la Butte de Chaumont. Et tout naturellement, cette butte en étant le fief, des moulins à vent ornèrent les abords du chemin, jusqu’à l’emplacement actuel du square Bolivar ; c’était entre autres le moulin du Coq, le moulin des Bruyères, et surtout le moulin des Chopinettes.

Ce dernier a une histoire : Chopinette était un cordonnier qui au 16e siècle (vers 1550) possédait quelques vignes au lieu-dit "les Maucouars", entre la rue Clavel et la rue Rébeval, et très vite, pour désigner la place et le moulin qui y fut construit, fut employé ce nom savoureux, évocateur de joyeuses libations.

Un village où chacun se sent responsable

C’est d’ailleurs un meunier judicieux qui, le premier, eut l’idée d’offrir quelques vins aux nombreux promeneurs parisiens qui venaient profiter du charme des lieux. La mode des cabarets était lancée : la légende de Belleville, village joyeux et en fête, naissait en même temps.

Pendant ce temps, au bas du chemin (ce qui aujourd’hui constitue le bas de la rue Clavel et qui jouxte la rue de Belleville) se bâtissaient des moulins à eau utilisant l’énergie des ruisseaux qui coulaient en abondance depuis les hauteurs pour se jeter dans la place des Rigoles.

Le fil de l’eau appelle au calme … c’est peut-être la raison qui fit s’installer deux couvents, là où se trouvent aujourd’hui la poste et le dispensaire, et de l’autre côté, le n° 1 de la rue Clavel. Certes, la Révolution de 1789 allait emporter ces bâtisses, mais elle profita surtout aux nombreux bourgeois qui habitaient dans ce quartier, bien que parfois on y ait pu croiser quelques royalistes comme ceux qui voulurent délivrer le dauphin de la Conciergerie.

Mais la quiétude de la rue naissante (elle fut tracée en 1812) allait, au début du 19e siècle, être très vite troublée par les fracas de la bataille que les généraux Compans, Rébeval , Secrétan, Clavel et autres livraient sur la montagne de Belleville à l’agresseur étranger venu déposer Napoléon Bonaparte en mars 1814. Première grande bataille, première défaite.

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Pierre Clavel

Ce n’est que bien plus tard, en 1868, que la rue, pavée et éclairée, s’appela rue Clavel, après avoir porté le nom de rue des Moulins à partir de 1837.
Une seconde bataille, quelques années plus tard, conduisit à une seconde défaite beaucoup plus sanglante : celle de la Commune, en ce mois de mai 1871, qui vit la population de Belleville décimée par la sinistre répression des Versaillais. La rue aurait très bien pu porter le nom de cet ultime (et inconnu) défenseur, mort pour avoir trop ardemment voulu la liberté de vivre dans un village où chacun se sente responsable.


Apprenons déjà à regarder notre rue

Toute cette histoire a aujourd’hui été rasée par la cohorte des promoteurs
dévoreurs d’espace et avides d’argent. "Belleville -écrit Henri MALRIC- est le seul quartier de Paris où les érudits désespèrent d’apprendre l’histoire par la pierre".

De fait la rue Clavel est pauvre de son histoire, et son histoire est bafouée. Du
château des Alouettes, il ne reste plus qu’un nom de rue ; et une énorme bâtisse en briques rouges a usurpé la place d’un asile de vieillards qui aurait dû être construit selon les dernières volontés de la propriétaire du terrain.

Heureusement, des témoins survivent dans la rue Clavel, souvent repoussés dans les quelques derniers vieux appartements, et se souviennent avec chaleur de la vie animée qui y régnait. Une foule de petits artisans et de travailleurs à façon habitaient de petits immeubles pittoresques, souvent propriétaires des appartements où ils travaillaient et résidaient en même temps. À un rythme plus doux, la vie se faisait dans la rue.

Aujourd’hui, nos yeux sont pressés, enfiévrés, et ne voient même pas la rue où nous venons dormir. Nos pas sont trop rapides vers un lieu de travail éloigné pour que nous puissions y bavarder. Et quand je vois, devant quelques trop rares fenêtres, deux "vieux" dialoguer, j’ai la nostalgie d’un monde oublié. J’ai encore à l’esprit la joie de cette fête dont le souvenir de ma narratrice d’un moment était habité, fête du 14 juillet sur le square Bolivar, aujourd’hui transformé en parking.

Pourtant, il reste quelques arbres choyés dans les cours de la rue Clavel.
Et de bonnes volontés tentent de redonner vie à ce quartier qui change vite, trop vite. Au gré des guerres, des migrations, des grecs, des juifs, ou des arabes s’y sont succédés en ce siècle. De nombreux immeubles "modernes et confortables" ont délogé les vieilles bâtisses ; toute une tradition a été balayée par cette tornade des temps modernes. Mais la tornade semble passée : reprenons nos esprits ; apprenons déjà à regarder notre rue.

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5 rue Clavel 75019 Paris.


Elle vit encore, et on y découvre alors un collège ici, là une entreprise de cinéma, ou bien divers petits artisans ou commerces (une boucherie, une épicerie, un imprimeur), deux bars inamovibles depuis un siècle, une maison de quartier, une poste, un dispensaire, et quelques vieilles demeures où les cours intérieures invitent encore le promeneur.

Nous sommes certes dépouillés de l’habit traditionnel -reconnaissons qu’il est parfois difficile à porter- mais nous pouvons dans un esprit d’accueil, habitant
de longue date, français ou étranger, riche ou pauvre, préparer une nouvelle fête … au square Bolivar peut-être !


Quartiers Libres


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Plaque de la rue Clavel.


Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens, actualisé en octobre 2013.

Quartiers Libres, le canard de Belleville et du 19ème (1978-2006) numérisé sur le site internet La Ville des Gens depuis 2009.

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