Quel enfant n’a rêvé de traverser le Hoggar, le Ténéré, le Sahara ou "Grand Désert" sur le dos d’un dromadaire ? Nostalgique du temps des Colonies, fils des Tabors marocains qui s’illustrèrent au Monte Cassino et qui libérèrent le Sud de la France des collaborateurs de Vichy et de l’occupant nazi, disciple de Théodore Monod ou simplement amoureux de la nature à l’état brut, chacun a un jour imaginé qu’il puisse être transporté, par un magique tapis volant, dans une oasis du désert pour rejoindre la caravane d’Ali Baba en route vers la grotte secrète ne livrant ses trésors qu’au murmure de : "Sésame ! Ouvre-toi !".
Si les clichés ont la vie dure, c’est qu’ils participent à la construction du rêve et permettent de transgresser les tabous de la méconnaissance de l’Autre … Ils aident à quitter une réalité trop lourde, à éviter une confrontation trop brutale, en imaginant l’Étranger plus loin, son pays plus beau, sa culture plus mystérieuse, son horizon plus lointain, ses femmes plus lascives, sa vengeance plus terrible, ses chevaux plus vifs, ses armes plus tranchantes, son herbe plus verte, son or plus brillant, son eau plus fraîche, sa menthe plus suave, sa tente plus confortable, enfin son paradis plus merveilleux.
Aux côtés de Rafika, au sein de l’association Artémisia, sans atténuer la part du rêve, la réalité devient plus concrète. Avant de conduire, plus tard, les volontaires pour une méharée de contact en Pays Berbère à la rencontre de l’arganier, Artémisia rencontre les habitants des quartiers sur place, là où ils sont, entre les barres de béton de Noisiel en Seine-et-Marne, à la soirée de rupture du jeûne du mois de Ramadan sur le boulevard Saint-Michel à Paris, au parc du Château de Grouchy à Osny en Val-d’Oise. La tente est montée comme au bivouac des atabegs, lorsque le campement nomade s’installe pour la nuit ; le thé est chauffé sur les kanouns par les femmes maures, les musiciens touaregs accordent leurs instruments et la musique gnaouie du Sud algérien monte dans l’espace, envahissant les rues, les cours, grimpant le long des murs et des façades pour bercer et attendrir les esprits abattus par la journée laborieuse. Le rêve, par le charme de la musique et du décor, s’installe dans la réalité. Le Beur des quartiers oubliés devient fier d’une culture qu’il cessera d’ignorer. Le Parisien de souche quitte sa suffisance au son des instruments rudimentaires pour laisser son esprit accompagner la mélodie arabo-berbère. Enfin réunis dans une communion musicale, ils deviennent poètes avec Khalil Gibran, philosophes avec Abû al Walid Ibn Ruchd Averroès, médecins avec Ibn Sinâ Avicenne et Avenzoar qui connaissaient la circulation du sang six cent cinquante ans avant William Harvey, généraux avec Hamilcar, mathématiciens avec les docteurs arabes qui inventèrent les chiffres qui portent leur nom pour s’exercer aux calculs complexes impossibles avec les chiffres romains ; mélangeant leurs connaissances nouvelles, ils se découvrent théologiens, imaginant une rencontre improbable entre Saint Augustin, natif du Maghreb, et Mahomet, arrivé deux cents ans plus tôt dans une oasis du Mzab. La puissance évocatrice des conteurs Touaregs de l’Azawagh fait oublier les légendes peuplées d’elfes et de korrigans et prépare le futur voyageur à un univers de djins et de houris.
La magie du contact, de la rencontre du sédentaire et du nomade, crée l’étincelle qui allumera le grand feu de la reconnaissance mutuelle et de la dignité partagée.
Jean-François DECRAENE
Contact : Rafika Assoc. ARTÉMISIA
15, rue de Chassagnole - 93260 Les Lilas.
Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en février 2015.
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