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Mémoires d’un épicier de la villette


Il y a quelques semaines (Q.L n° 90-91) François-Ernest Michaut évoquait son enfance rurale. Sa famille n’est pas encore installée à La Villette et tout le monde vit à la ferme familiale d’Heurtebise, sur la commune de Laval-Saint-Germain (Seine & Marne). Aucun signe avant-coureur ne laisse présager qu’un orage venu de l’est va bouleverser la vie tranquille et transformer le petit garçon en observateur du désordre des habitants à l’affût de la moindre nouvelle, du plus petit bobard, du plus faible espoir pour échapper à une situation que leur impose le régime impérial de Napoléon III. Le regard d’un gamin qui à 8 ans s’intéresse à la politique, ses réflexions, ses jugements restitués par sa mémoire adulte, permettent aux Bellevillois et aux Villettois contemporains d’écouter le récit avec tolérance lorsque l’interlocuteur familial, aïeul, oncle, cousine ou marraine éloignée évoquent leur jeunesse en commençant leur récit par : "De mon temps… ".



Un enfant dans la guerre
(suite 2)

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1870 - Voici la guerre. Je vois tout le monde dans une grande inquiétude ; on s’arrache Le Petit Moniteur. Ma tante le reçoit tous les jours et cela me tient car avec mon frère, et d’autres, nous parlons politique. On écoute et on apprend les départs pour l’armée de ceux qui sont mobilisables. Nous, les gamins, on discute entre nous et, avec les dires de papa, on est toujours du même avis. On apprend le désordre de nos armées et l’on craint l’invasion ; les Allemands vont venir et vont tout brûler sur leur passage. Déjà des gens qui ont peur commencent à disparaître dans le midi de la France ; quant à la population de nos campagnes, on reste là avec l’espoir que cela ne viendra pas jusqu’à nous.

Pourtant les nouvelles sont de plus en plus mauvaises. On apprend avec terreur l’affaire de Sedan, l’Empereur prisonnier avec son armée ; la terreur est à son comble. Pourtant les hommes de chez nous ne sortent pas ; ils parlent de se battre et justement, voici un ordre par le journal où le préfet ordonne à tous les hommes valides de former une garde nationale. Tous les villages ont formé leur garde, mais que de choses dont on manque, Pourtant, à Laval ! il y a les pompiers et ils ont des fusils. Mais cela n’est pas dans tous les villages ; C’est pourquoi on réquisitionne les fusils de chasse et mon père a été armé avec un fusil à pierre, comme en 1793 où toutes les armes avaient été mobilisées. Mon père a été six mois soldat. Lui seul parmi ses nombreux frères a porté les armes. Tous ses frères ont été rachetés, mais mon grand-père avait voulu faire l’économie d’un homme et a laissé partir son fils François. Voici que la guerre se déclare en Italie et, comme le régiment de mon père est désigné pour y aller, mon grand père achète un remplaçant pour François. Parmi tous les gardes nationaux, il faut choisir un instructeur pour leur faire faire l’exercice ; et aucun, sauf mon père, n’avait été soldat. Le capitaine des pompiers est donc nommé "capitaine" et mon père "lieutenant" et cela fait plutôt rire de voir des soldats sans arme et sans costume militaire. Pourtant, lorsque l’on a touché quelques képis, mon père n’eut que cela : un képi tout neuf avec deux galons dorés. J’étais très fier devant mes camarades et ça faisait drôle de voir maintenant ces gars habillés de toutes sortes d’uniformes : certains en pompier, d’autres avec des casques à chenille, armés de fusils pierre, de fusils de chasse, de gros fusils de pompier à piston et sans cartouche pour les charger. On a pris cela à la rigolade et nous autres gamins ! nous allions le dimanche voir les pompiers faire l’exercice et nous les suivions partout. Pendant ce temps, les Prussiens envahissaient la France et, par la vallée de la Marne, ils marchent sur Paris. On en signale une avant-garde aux environs de Gardeloup et voilà nos gardes nationaux en route vers la guerre. Nous les suivons, une douzaine de gosses sont de la fête. Dame, Pour nous, on espérait voir les boches démolis, On arrive enfin près de la ferme de Grand-Prey et, déjà, dans les bois où nous étions, ils y avaient des francs-tireurs bien armés et bien commandés. J’ai su, plus tard, qu’ils interdisaient aux gardes nationaux d’aller plus loin ; mais ceux-ci ne voulaient rien entendre. Ils avançaient le long des voitures et près des casques à pointe. Et voici qu’à moins de trois cents mètres, ils firent feu. Mon père n’était pas avec eux. Il leur avait dit, le soir ! qu’ils auraient dû écouter les francs-tireurs. Il arriva donc que les Prussiens firent aussitôt après, feu sur la ferme et les balles sifflèrent à nos oreilles.

Nous avons repris le chemin du retour et cela plus vite que nous étions partis. Lorsque nos hommes sont rentrés le soir il y avait un mort avec eux dont je ne me souviens que du sobriquet : l’Empereur. De plus, il y avait un blessé, un père de douze enfants, mon voisin, de son nom de guerre Buchotot-Deplat qui, lui, a été relevé par les Allemands et gardé comme prisonnier. Si les Allemands n’ont pas fait plus de victimes, c’est grâce aux francs-tireurs qui ont, sans avoir eu de perte, tenu les boches en respect et qui les ont fait fuir.

Cela a fait grand bruit dans notre petite commune et, deux jours plus tard, nous avons porté notre Empereur au cimetière au milieu d’une nombreuse assistance. C’était une journée de deuil pour tous, surtout une promesse de vengeance contre les boches. Pourtant, le lendemain, les "pompiers-gardes-nationaux" se sont réunis et, nous les gosses nous apprenons que l’on va cacher les armes parce que les journaux annoncent que les Allemands avancent et qu’on va faire sauter les ponts : celui de Saint-Germain et aussi celui de Montereau.

J’écoute ces nouvelles que raconte ma tante Marguerite qui est La Petit Journal de l’endroit. Je suis fier d’annoncer ces bruits aux camarades. Cette journée est celle des événements car, le soir, à la nuit, nous savons que les pompiers sont allés enterrer les fusils et les armes sans que personne n’en connaisse le lieu. Les témoins de cette opération sont tenus d’en garder le secret et, le maître d’école nous fait un discours pour que pas un de nous ne fasse allusion à cette opération afin que cela ne porte pas préjudice aux porteurs des armes. Mais, jamais aucun de nous n’a été interrogé à ce sujet ; personne n’a été inquiété pour ce fait. Pourtant, les Allemands avancent et, venant de Provins, ils sont tout près de Montigny-Lancoup. Le lendemain il y a du nouveau. Une avant-garde est passée sur la route de Maligny à Montereau et, sur le chemin, les soldats ont aligné tous les paysans en bordure de la route. Mon père était bien anxieux car mon oncle Crécy était enlevé. Dans la matinée, une violente explosion a mis la panique partout : C’était le pont de Saint-Germain qui avait sauté. On était aux écoutes et l’on apprit que les Allemands avaient envahi et pris Montereau, très en colère d’être arrivés trop tard : le pont de Saint-Germain était la ligne d’Allemagne. Maintenant, dans toutes nos campagnes, les troupes arrivent. Nous étions à l’école lorsque nous entendîmes la musique militaire. Un bataillon suivait la fanfare allemande et des fenêtres de la classe, nous avons vu défiler les casques à pointe. On nous a dit plus tard que c’était l’armée du prince Frédéric-Charles ! Kronprinz d’Allemagne. Le commandant a pris possession de la mairie ! assisté du maire et du garde-champêtre et, peu après, le tambour de ville a annoncé que les Prussiens ne feraient aucun mal aux gens à condition qu’ils ne fassent pas de mal aux vainqueurs.

Tout le monde fut rassuré et bientôt chaque foyer dut les loger. Dame ! Si l’on ne tenait pas à leur faire des brimades, on ne les portait pas dans nos cœurs, nous les enfants de mon âge qui savions la haine que nos parents leur portaient.


François-Ernest MICHAUT (1862-1949)

PCC/ Marie DECRAENE et Jean-François DECRAENE

- Prochain épisode : 1870-un village sous l’occupation prussienne.

Vous pouvez consulter l’article récapitulatif contenant tous les extraits parus dans Quartiers Libres : Mémoires d’un épicier de la Villette

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Pcc/Jean-François Decraene

- Le site internet de Jean François Decraene : Histoire Populaire



Article mis en ligne en 2012 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en décembre 2014.

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