Exposition collective

882 visites sur cet article

« ONE PIECE AT A TIME »

Dès ses premières phrases, la chanson de Johnny Cash « One Piece at a Time » interprétée en 1976, nous plonge dans l’histoire d’un homme ayant quitté son Kentucky natal en 1949 pour venir travailler à la chaîne et assembler des Cadillac à Detroit.

« Well, I left Kentucky back in’49 An’ went to Detroit workin’ on a’sembly line
The first year they had me puttin’ wheels on cadillacs… ». Johnny Cash, One Piece at a Time , 1976.

Toute une vie passée à construire cette voiture de rêve qu’il ne pourra jamais s’offrir, le pousse avec l’un de ses compagnons à voler, pièce après pièce, les parties qu’il assemble. Les cachant dans la fameuse lunch-box ou « sous le manteau », ils réussiront à construire une Cadillac mais constituée de pièces disparates récupérées au fil du temps sur les différents modèles qu’ils ont montés de 1953 à 1973 ainsi que le précise la chanson.

« One Piece at a Time » s’apparente à une parabole qui réunit les contradictions même au cœur de l’idée d’assemblage ; puisqu’elle condense à la fois l’image de la production de masse des débuts de la société industrielle et celle de son opposition. L’ouvrier ne doit plus penser son travail qu’en terme d’éléments séparés, distincts à ajuster ensemble et pourtant, conjointement, il va détourner ce système aliénant grâce à l’autre versant de l’assemblage, celui qui l’amène à produire, par l’agencement des pièces hétéroclites, une forme hybride.

La notion d’assemblage telle qu’elle a parcouru l’histoire de l’art du xxe siècle jusqu’en ce début de xxie siècle, ne peut se saisir que dans cette double lecture antagoniste. Celle de l’appropriation d’un processus de travail pensé initialement pour améliorer le rendement grâce à la machine au détriment de l’homme. Ou comment les artistes, face à la logique de production mécanique et déshumanisée − le Fordisme date de 1906 –, vont participer à cette reprise en main du pouvoir au moyen de l’assemblage comme procédure spécifique, comme méthode même. L’exposition « The Art of Assemblage » organisée par William C. Seitz en 1961 au Museum of Modern Art de New York fut la première occasion d’en montrer l’apport historique et théorique.

Malgré cela, l’assemblage est resté dans l’ombre, éclipsé par la pensée moderniste dominante et son cloisonnement des disciplines, puis trop promptement assimilé, du fait de son hybridité, à l’expression plastique du courant dit post-moderne ; alors qu’il soulève des questionnements au cœur de l’histoire de la modernité que sont l’hétérogénéité, l’impur ou l’éphémère.

Aujourd’hui, c’est à nouveau par le biais d’un intérêt venu d’Outre-Atlantique, tout particulièrement en sociologie et en anthropologie, que le mot assemblage, à comprendre donc dans son acception anglo-saxonne – est réinvesti. Ainsi, la sociologue Saskia Sassen qui l’emploie comme point d’articulation pour démonter la notion d’État-Nation face à la globalisation dans son ouvrage Territory, Authority, Rights : From Medieval to Global Assemblages [1], en signale toute la portée actuelle. Bien qu’elle précise, elle-même, avoir choisi l’assemblage pour son sens le plus descriptif, elle en énonce les principales sources et références. Ainsi, non seulement, « assemblage » est le terme qui a servi à traduire en anglais « structure agencement », cette expression employée par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille Plateaux

 [2], mais Aihwa Ong et Stephen Collier en font aussi un usage théorique pour développer leur idée d’assemblage global [3].

De même la revue Theory, Culture and Society paru en 2006 et chapeauté par George Marcus et Renka Saka, consacre un article aux enjeux qui lui sont liés, mais encore Assemblages (au pluriel) est le titre d’une revue sur l’architecture et l’urbanisme

 [4]. Saskia Sassen, quant à elle, en a fait un outil linguistique pour interroger, entre autre, les notions de Territoire – intrinsèquement associé à celles d’Autorité et de Droits. Ce qui retient ici notre attention.

Modernité et Territoire, deux axiomes que partagent en effet les quatre artistes réunis au Point éphémère, Côme Mosta-Heirt, Benjamin Sabatier, Felice Varini et Michel Verjux. Car l’assemblage en tant qu’outil a depuis son apparition engendré des formes fort différentes. Il peut être tout à la fois une construction physique, une prise de possession concrète, une véritable annexion de l’espace ou bien une projection mentale, une recomposition intellectuelle d’éléments en apparence séparés qui n’existe que par l’œil et l’esprit de celui qui regarde [5]. Les fragments ou éléments éparses prennent corps et sens grâce à cette réunion, cette liaison généralement fugace et temporaire ; l’assemblage, même quand il semble très construit, porte en lui sa précarité.

Ainsi, la voiture de Côme Mosta-Heirt, Benjamin Sabatier, Felice Varini et Michel Verjux fonctionne peut-être à l’« erre », mais rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, c’est que ces quatre artistes y ont chacun apporté une pièce différente possédant son identité et qui, rassemblées le temps de cet événement, proposeraient à leur tour leur propre Cadillac.

Stéphanie Jamet-Chavigny


JPEG - 29.6 ko

« ONE PIECE AT A TIME » – Côme Mosta-Heirt, Benjamin Sabatier, Felice Varini et Michel Verjux

Du 26 janvier au 11 mars 2012

Tous les jours de 14h à 19h
Entrée libre
Vernissage jeudi 26 janvier à 18h30

- Tél : 01 40 34 02 48
- Courriel : info@pointephemere.org

Plus d’infos : http://www.pointephemere.org

Point Éphémère - 200 Quai de Valmy - 75010 Paris - Métro Jaurès (lignes 5, 2 et 7 bis) - Louis Blanc (ligne 7) - Bus 26 /46 / 48

[1Saskia Sassen, Territory, Authority, Rights : From Medieval to Global Assemblages, Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2006.

La traduction française n’en reprend pas le titre exactement puisque le livre est intitulé « Critique de l’Etat. Territoire, Autorité et Droits, de l’époque médiévale à nos jours », Paris, Demopolis/Le Monde Diplomatique, 2009. Lire aussi Saskia Sassen, La Globalisation, une sociologie, Paris, Gallimard, NRF-Essais, 2009.

[2Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille Plateaux, Capitalisme et Schizophrénie 2, Paris, éd. de Minuit, 1980.

[3Aihwa Ong, Stephen Collier, Global Assemblages : Technology, Politics, and Ethics as Anthropological Problems, Malden, MA : Blackwell eds. 2005.

[4George Marcus et Renka Saka, « Assemblage », Theory, Culture and Society, vol. 23, n°s 2-3, mars-mai 2006, p. 101-109. Signalons également que « l’assemblage » est un langage informatique.

[5Stéphanie Jamet-Chavigny, Françoise Levaillant, L’art de l’assemblage, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.

Partagez cet article :


Réactions
modération a priori

A cause du SPAM ce forum est modéré :

- Votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.
- l'insertion de code, ou la mise en forme de votre texte est désactivée
- les commentaires comportant des liens sont supprimés.

Si vous souhaitez faire connaitre votre activité, contactez nous plutôt que de poster un commentaire, ce sera beaucoup plus valorisant et efficace pour votre activité.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Les Marchés de Paris

Chaque jour a son ou plutôt ses marchés à Paris, sauf le lundi, cela vaut toujours le (...)

Les restos du cœur - Aide alimentaire

Fondés par Coluche en 1985, les Restos du Cœur est une association loi de 1901, (...)

Jam sessions, Paris et banlieue

Amène ta pelle, que ce soit une Gibson ou une Fender, ou alors emmène ton sax ou tes (...)

Claude Bourguignon - Protéger les sols pour (...)

C’est si simple quand c’est bien expliqué ! En savoir plus sur le laboratoire de (...)

Les Compagnons Charpentiers des Devoirs du (...)

Tour de France ? Il ne s’agit nullement ici de vélo, mais d’une tradition qui remonte à (...)

Mémoire de la gare de Ménilmontant

Ce montage vidéo a été réalisé par l’association « La Ville des Gens » et à été terminé en (...)

Henri Krasucki

Henri Krasucki s’était engagé très tôt, dès l’occupation, dans la Résistance. Il fut parmi (...)

Cour de la Métairie

Une proposition de Maxime BRAQUET Rédaction initiale : 2013 ; révision au 11 (...)

La « descente de la Courtille »

Attention, rédaction en cours de révision. Chantier ouvert le 31 octobre. 2017. (...)

Le pavillon chinois de la rue de la Chine

Crédit photo Dg Avant-propos J’ai habité 7 années, rue de la Chine au numéro 7. Mes (...)

Promenade à travers l’Histoire... de Belleville

J’ai foi dans l’avenir, je suis Bellevillois ! Peut-on trouver l’explication de cette (...)

Les Piscines Municipales

De Saint Ouen à Montreuil et du 10ème au 20ème, pour vous détendre, allez faire un petit (...)

Les sorties : jeudi 25 avril