Métamorphoses d’un emblème de Ménilmontant (1792-2003) :

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le site Carré de Baudouin,

de l’ancienne maison de campagne de monsieur Nicolas Carré au monument historique et centre culturel actuel en passant par un orphelinat
Une proposition de Maxime BRAQUET 


Date de rédaction originelle : 22 novembre 2022. Révision : 10 janvier 2023 (Le Bas du Plessis).

¤Les astérisques qui, dans le courant du texte, suivent certains noms propres renvoient à la bibliographie en fin d’article.



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Vue générale du site, 2022. © Mairie du 20e arrondissement/FICEP



119-121, rue de Ménilmontant, à l’angle avec la rue des Pyrénées (n° 301). Une adresse qui, depuis 2007, est très visitée non seulement par les habitants de Ménilmontant et du 20e arrondissement mais encore par les Parisiens en général. C’est le pavillon Carré de Baudouin, élégant espace culturel voué aux expositions ainsi qu’aux conférences, et en même temps monument historique inscrit au Patrimoine depuis 1928 pour sa façade regardant le cœur de Paris, avec entrée en forme de temple antique. A ce dernier égard, il a une mission spéciale, celle de la conservation de la mémoire d’une époque de l’histoire, disons du milieu du XVIIe siècle au premier tiers du XIXe, où notre « montagne » bellevillo-ménilmontanaise fut une terre de résidence chérie par les aristocrates et les bourgeois enrichis.

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2022 : arrière du pavillon, vu de l’amont de la rue de Ménilmontant à son croisement avec la rue des Pyrénées. © Mairie du 20e arrondissement


De l’abondance d’opulentes maisons fermières, d’hôtels particuliers, de somptueuses places pour la retraite religieuse ou méditative – songeons aux saint-simoniens – , de villégiatures et de « folies », voire de châteaux, tout cela comme incrusté au milieu du tableau de bosquets, de champs, de vignobles, de clos maraîchers, de carrières, de masures de cultivateurs et de toits villageois qui composait autrefois le paysage des flancs et des arêtes du plateau de Belleville, de cela, donc, le progrès de l’urbanisation a tout rasé, à l’exception de ce pavillon (et, dans une moindre mesure, de la maison des saint-simoniens, au 145 de la rue de Ménilmontant).


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Deux vues actuelles du site : à gauche, le péristyle du pavillon ; à droite, face sud de l’ancien immeuble de l’orphelinat, côté entrée de la chapelle. © Ville de Paris

Encore ces derniers mots sont-ils un peu vite dits. Le pavillon, ainsi que le jardin public aujourd’hui attenant, faisait partie au milieu du XVIIIe siècle d’un ample domaine, celui de monsieur Nicolas Carré de Baudoin, et se présentait dans une disposition dont la vision actuelle des lieux ne rend plus du tout compte. C’était sensiblement différent aux origines. Tout a changé, l’innovation urbaine entière s’est précipitée avec l’arrivée sur la place des sœurs de la Charité de saint Vincent de Paul en 1852. Animées des plus louables intentions du monde, ces religieuses n’en ont pas moins transformé la propriété initialement vouée à la plaisance et à la villégiature ; elles en ont fait un orphelinat, tout autre chose, avouons-le, avec une atmosphère à l’opposé, et il faut cependant remercier sincèrement ces vincentiennes car, sans leur charitable occupation des lieux pendant près de cent trente ans, nous n’aurions même pas, très certainement, gardé debout le fameux pavillon dont nous sommes si fiers de nos jours [1].


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Deux autres vues actuelles : à gauche, traversée du jardin de l’ancien immeuble de l’orphelinat jusqu’à la rue de Ménilmontant ; à droite, immeuble de la résidence étudiante des "Frères Goncourt". © Ville de Paris



L’ambition du présent article est de rendre compte de la métamorphose du site, de la répartition de ses éléments constitutifs dans l’espace comme de sa vocation, après 1792. D’une certaine façon, nous complétons, au sein d’une perspective historique générale, la série d’articles que notre confrère historien M. Denis Goguet* consacre, en un autre lieu de la Toile, à la formation du domaine, des fondements posés par le sieur Cadaine vers 1650 jusqu’à l’épanouissement de la propriété au temps de M. Carré [2].


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Mur de clôture et d’exposition "street art". © Mairie de Paris





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Paysage résidentiel des hauteurs de Belleville ou de Ménilmontant autour de 1800. Image, dessin anonyme, empruntée au livre du docteur Dally*.


Niicolas Carré de Baudouin est donc, dans la chaîne des premiers propriétaires du domaine, celui auquel nous devons l’adjonction au bâtiment d’habitation acheté en 1745 à madame veuve Crédy-Desforges [3] d’une partie nouvelle comprenant la fameuse façade ornée d’un péristyle de quatre colonnes surmonté d’un fronton triangulaire à la grecque qui repose sur des coussins de chapiteaux ioniques. C’est surtout cet ornement de style néo-palladien [4] dû à l’architecte émérite Pierre-Louis Moreau-Desproux qui, en 1928, a valu à l’édifice d’être très officiellement inscrit à l’inventaire des monuments historiques de France. Non pas, du reste, sous le titre qui paraît logique sinon naturel de pavillon Carré de Baudouin mais sous le nom, complètement fantaisiste, de pavillon Pompadour [5].


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Entrée de service du 301, rue des Pyrénées vers 2010. Sur la gauche, la constitution en deux parties du pavillon se lit très bien : au premier plan, le bâtiment primitif, d’avant 1745 mais réaménagé ultérieurement ; au second, la construction sur les plans de Moreau-Desproux. © Photo Maxime Braquet


M. Carré en son pavillon. L’élévation de la façade en question date des années 1768 et 1769, estime M. Goguet*, mais ne constitue pas l’unique intervention de Nicolas Carré dans l’agencement et la décoration de la propriété acquise par lui [6]. C’est du moins ce que l’on est incité à conclure en faisant l’examen comparatif du descriptif des lieux entre celui, peu fourni, figurant dans l’acte notarial établi lors de la cession de propriété de Mme veuve Crédy-Desforges à Jeanne Venerony [7] et l’inventaire après décès de Nicolas Carré, en 1773, très détaillé, dressé par Me Quatremère. Nous n’en possédons évidemment pas la preuve formelle mais la mention de « lieux à l’anglaise » qui, par exemple, se lit sur l’inventaire nous semble correspondre à une modernité encore inconnue près de trente ans auparavant. De même, si nous sommes ignorants de la vie mondaine que mena Nicolas Carré [8], laquelle, de toute évidence, n’eut pas le relief suffisant pour intéresser les chroniqueurs et les biographes, le dénombrement notarial des biens et des équipements de sa propriété ménilmontanaise nous invite à penser qu’on y séjournait de façon presque luxueuse et en tout cas confortable et en grande compagnie. C’était fait pour ça et Nicolas Carré ne s’en priva sûrement pas. Comment était le plaisir des jours dans la belle propriété de Ménilmontant ? La documentation manque en général à notre besoin de visualisation. Pour être franc, la seule période de toute l’ère résidentielle du pavillon pour laquelle nous possédons des témoignages et souvenirs de contemporains, à laquelle nous pouvons rattacher une petite galerie de portraits de résidents ou visiteurs, sur laquelle nous avons quelque anecdote à raconter, bref sur quoi nous pouvons donner chair et vie à notre reconstitution, c’est le temps d’occupation des Tissot et de leurs enfants : 1792-1836. Les Tissot sont la gens que, depuis quelques années à présent, sur les plaques de rue informatives ou sur les guides de manifestations qu’exposent les présentoirs du guichet d’entrée des visiteurs au pavillon, on appelle de façon approximative la « famille Goncourt » : ils sont seulement, pour parler avec exactitude, de la parentèle des écrivains.


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Plans numérisés aux Archives de Paris, cote D6P2227 : l’image de la propriété des 119-121, rue de Ménilmontant (parcelles 505-609) sur le relevé de 1812 du plan cadastral « napoléonien ». Colorisées (par nous) en vert, les surfaces correspondant au pavillon (maintenant dit Carré de Baudouin) et à ses dépendances – notamment remises des attelages et écuries — autour de la cour d’entrée dans le domaine à partir de la rue de Ménilmontant (n° 121). L’agent géomètre du relevé n’a pas figuré le péristyle néo-palladien au pied duquel, sur toute la partie gauche de l’image, s’étendaient, non dessinés non plus, ce que les habitants de la place (les Tissot à la date indiquée) nommaient les parterres des « jardins d’en bas » : des carrés végétaux à la française, des vasques et des allées arborées. La rue des Pyrénées n’existe pas encore ; sur la droite du plan figurent en revanche la rue que nous appelons aujourd’hui Pixérécourt et alors dite de Calais ainsi que la rue de la Duée.


Les Tissot : du Palais-Royal à Ménilmontant. Les frères Goncourt, et plus spécialement Edmond, ont partie liée à l’histoire du pavillon [9], nous aurons bientôt à en parler, mais les circonstances qui virent les Tissot prendre pied à Ménilmontant ont leur propre singularité. Revenons ainsi à l’étude parisienne de Me Denis Rouen le 4 janvier 1792, au point de son récit historique où Denis Goguet* nous a transmis le relais. Convoqués pour l’achat des 119-121 [10], rue de Ménilmontant, François Tissot et son épouse, Marie-Victoire née Fabre, tous deux « marchands à Paris », sont là, écrit Rouen mais le personnage duquel ils s’apprêtent à recueillir la propriété, François Le Bas [11], ex-militaire officier de l’armée royale, se fair remarquer par son absence car il est alors très malade (il mourra de fait en février 1792).


« Marchands », les Tissot mari et femme l’étaient en effet, mais où exerçaient-ils au juste et dans quel genre de commerce ? Réponse : aux galeries du Palais-Royal, excusez du peu, et dans le commerce de boisson. Ce n’étaient donc pas n’importe quels commerçants. Les documents relatifs à l’histoire des promenades chics créées par le duc d’Orléans nous apprennent en effet que François et Marie-Victoire avaient acquis le 21 juillet 1787, à la galerie de Chartres (de Beaujolais de nos jours) du Palais-Royal, dans l’un des quartiers les plus huppés de Paris à cette époque, la propriété de l’immeuble abritant, en étage, l’appartement que le couple habitait et, au rez-de-chaussée, les quatre arcades marchandes n° 99-102 plus des caves en sous-sol, où se tenaient des cafés. Cela pour la rondelette somme de 350 000 livres ! [12]. Un montant énorme, une fortune, qui pousse à l’étonnement : comment des personnes qui, à la date indiquée, n’avaient qu’une trentaine d’années, avaient-ils amassé ce pactole ? Lequel continua de croître au Palais-Royal puisque, en janvier 1792, il permit au couple Tissot l’achat de la maison de campagne à Ménilmontant. Pour bien moins cher que les arcades de la galerie du Beaujolais, c’est entendu, mais tout de même 28 000 livres [13].


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La salle du "Café des aveugles" autour de 1800. Gravure anonyme. © Musée Carnavalet


Sur l’activité des Tissot au Palais-Royal, les informations disponibles ne sont pas d’une grande clarté – c’est passablement embrouillé selon les sources examinées [14] — mais il semblerait que, au temps de la Révolution, ils donnèrent en gérance au sieur Lemblin le café (café-caveau, plus exactement dit) qui se tenait dans le sous-sol de leur immeuble. Cet établissement, d’une notoriété historique certaine, accueillit à ses tables les grands révolutionnaires aux heures bouillantes du temps. Après la Terreur, il s’assagit opportunément sous l’enseigne du Café du silence. Alors que ses affaires périclitaient, les Tissot le reprirent directement en main et eurent l’idée inouïe, extravagante même, de le faire animer par un petit orchestre de musiciens aveugles recrutés à l’hôpital des Quinze-Vingt. Sous la nouvelle enseigne du Café des aveugles, ce débit de boisson connut une seconde gloire et sa carrière, au travers d’avatars divers, se poursuivra assez loin dans le XIXe siècle. Pour revenir aux Tissot, lui, Nicolas, mourut en 1810 mais elle, Marie-Victoire, continua de tenir le gouvernail du café – ou de superviser le gérant – jusqu’en 1820 [15], amplifiant de la sorte la fortune qu’elle avait déjà constituée avec son mari. Soit dit en passant, celle-ci, par le truchement de dotes substantielles, fera des filles de la maison d’excellents partis pour époux aristocrates un peu désargentés.



Des Tissot aux Lefebvre. Tant qu’ils furent accaparés par les affaires au Palais-Royal, on ne vit pas très souvent les Tissot, avec leurs deux enfants, François Nicolas et Mélanie, à Ménilmontant. Le caractère familial de ces séjours fut médiocrement marqué et l’an 1810, de ce point de vue, constitua un annus horribilis puisqu’il enregistra le décès de Mélanie presque en même temps que la disparition de son père. Elle s’était mariée en 1799 avec un diplomate de plein avenir, Pierre-Edouard Lefebvre. Trop occupé professionnellement, celui-ci, veuf, laissa ses propres enfants, Edouard Armand, l’aîné de deux ans, et Nephtalie (née en 1802), aux soins de sa belle-mère la veuve Tissot. Une personne de caractère détestable, confiera à son journal intime de jeune fille Nephtalie en 1822 [16]. La mésentente fut telle que Marie-Victoire ne tarda pas à mettre sa petite-fille – tandis que le garçon suivit au moins par intermittence son père – en pension, cela jusqu’en 1818. Cinq ans plus tard, Nephtalie fera, comme sa mère auparavant, un mariage de prestige, en l’occurrence avec Jules Le Bas de Courmont, aristocrate et conseiller référendaire à la cour royale des Comptes. C’est à partir de 1828 que l’atmosphère changea, la souveraine de la place ayant passé de vie à trépas. Par les beaux jours de l’année, c’est comme un air de colonie de vacances qui enveloppa désormais le pavillon et ses jardins, les deux familles de belles-sœurs : Nephtalie Le Bas de Courmont et Marie Lefebvre, épouse d’Edouard Armand, qui y coexistèrent en héritières de la grand-mère Tissot, ayant chacune des enfants. Sans oublier le grand enfant qu’était l’oncle François Nicolas Tissot, accaparé, dans quelque dépendance de la maison, par sa marotte de confectionneur de maquettes d’automobiles. Et cette sensation de ruche s’accentua lorsque, au-delà de 1834, une troisième belle-sœur, devenue veuve, s’aggloméra accompagnée de sa propre progéniture. Il s’agit de Cécile Annette Guérin, demi-sœur de Jules Le Bas, épouse esseulée de Pierre Huot de Goncourt et mère des futurs illustres écrivains Edmond et Jules.


Les trois belles dames et sœurs du pavillon…

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De gauche à droite : Nephtalie Le Bas de Courmont, portrait au crayon et à la sépia rehaussé de gouache par Edouard Armand Lefebvre, son frère, vers 1840 ; Cécile Annette Guérin, madame Goncourt mère, artiste inconnu, portrait peint daté de 1829 par Edmond de Goncourt ; Marie Lefebvre, épouse de son cousin germain Edouard Armand, miniature due à Emile Armand Lefebvre, son neveu, circa 1830. © Collections particulières

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La tante Nephtalie et le paradis enfantin d’Edmond de Goncourt. Jusqu’à l’entrée dans les années 1830, le petit garçon Edmond est davantage un enfant de la province, Lorraine et Champagne, qu’un filleul de Paris ; il passe beaucoup de ses vacances à la ferme familiale de Breuvannes (Haute-Marne). Dans la capitale, ses meilleurs moments sont les temps de visite, en son luxueux appartement du 26 de la place Vendôme, à la femme qui aura pour sa formation d’homme de culture, de goût et d’homme tout court l’importance décisive : Nephtalie Le Bas de Courmont, sa demi-tante par alliance. Edmond l’adule dès que sa mère la lui fait connaître et sur les hauteurs ménilmontanaises, en l’été 1836, il se laisse totalement aller sous son emprise, la suivant de près dans la moindre de ses occuptions quotidiennes, l’assiégeant de mille propositions d’aide et l’assommant de ses questions quasi métaphysiques [17]. Il faut bien dire, sans grand risque de se tromper, que, de toutes les personnes évoluant sous le toit et les arbres de la « campagne » avunculaire, Nephtalie était certainement la figure la plus marquante, la plus rayonnante, la plus charismatique, dirait-on de nos jours. Voilà en tout cas ce qui apparut à Edmond de Goncourt*. Dans son fameux Journal, mémoires de la vie littéraire [18], il écrit aux pages du 30 août 1892 ces lignes que l’on ne saurait mieux qualifier d’aveu de gratitude affectueuse :

Elle était, ma tante, un esprit réfléchi de femme, nourri […] de hautes lectures, et dont la parole, dans la voix la plus joliment féminine — une parole de philosophe ou de peintre — au milieu de paroles bourgeoises, avait une action sur mon entendement et l’intriguait et le charmait. […] Dès ce temps, elle mettait en moi l’amour des vocables choisis, techniques, imagés, des vocables lumineux, pareils, selon la belle expression de Joubert, « à des miroirs où sont visibles nos pensées », amour qui plus tard devenait l’amour de la chose bien écrite. Avec la séduction qu’une femme supérieure met dans l’éducation élevée, on ne sait pas combien grande peut être sa puissance sur une intelligence d’enfant. Enfin, c’est curieux, ma tante, je l’écoutais parler, formuler ses phrases, échappant à la banalité et au commun de la conversation de tout le monde […], je l’écoutais avec le plaisir d’un enfant amoureux de musique et qui en entend. Et certes, dans l’ouverture de mon esprit et dans la formation de mon talent futur, elle a fait cent fois plus que les illustres maîtres qu’on veut bien me donner [19].


La vibration intense de ces mots rédigés presque cinquante ans après la mort prématurée de Nephtalie (1844) dispense de tout commentaire superflu sur le devoir que ressentait Edmond de rendre hommage à sa tante [20]. C’est autour de la gravure presque pieuse des traits physiques [21] et moraux de sa parente que s’agrègent les souvenirs de la fantastique maison ménilmontanaise dans la mémoire d’Edmond. Aux mêmes pages d’août 1892 du Journal, il écrit donc :

Oh ! le lieu enchanteur resté dans ma pensée et que, crainte de désenchantement, je n’ai jamais voulu revoir depuis. La belle maison seigneuriale du XVIIIe siècle, avec son immense salle à manger, décorée de grandes natures mortes, d’espèces de fruiteries tenues par des gorgiases flamandes, aux blondes chairs, et qui étaient bien certainement des Jordaens [22] ; la belle maison seigneuriale, avec ses trois salons aux boiseries tourmentées, avec son grand jardin à la française, où s’élevaient deux petits temples à l’Amour, et avec son potager aux treilles à l’italienne, farouchement gardé par le vieux jardinier Germain, qui vous jetait son râteau dans les reins, quand il vous surprenait à voler des raisins ; et avec son petit parc, et au bout du parc, son bois ombreux d’arbres verts, où étaient enterrés le père et la mère de ma tante, et encore avec des dédales de communs et d’écuries, au fond d’une desquelles, on trouvait un original de la famille, occupé à fabriquer une voiture à trois roues, et qui devait, un jour, aller toute seule [23]. Mais, dans cette maison, mon lieu de prédilection était une salle de spectacle ruinée, devenue une resserre d’instruments de jardinage : une salle aux assises des places effondrées, comme en ces cirques, en pleine campagne, de la vieille Italie, et où je m’asseyais sur les pierres disjointes, et où je passais des heures à regarder, dans le trou noir de la scène, des pièces qui se jouaient dans mon cerveau.

Grace au talent littéraire de l’auteur de La Fille Elisa, les sèches et plates descriptions des lieux que proposaient les inventaires notariés des biens de MM. Carré, Jourdain, Le Bas et même Tissot s’illuminent d’un seul mouvement de plume en prenant des formes et de la substance ; nombreux, précis et riches en détails, les mots d’Emond, ce faisant, offrent comme une manne aux historiens. Le caractère le plus précieux du témoignage de l’écrivain réside dans la révélation qu’il fait d’éléments encore inconnus du décorum de la maison et qui, de toute vraisemblance, ont été introduits par les Tissot-Lefebvre, tels ces « deux petits temples à l’Amour » du jardin ou les « gorgiases » de Jordaens de la salle à manger. Le plus émouvant instant de cette recomposition mémorielle, c’est évidemment la mise au jour de la salle de spectacle enfouie sous les râteaux, les fourches et les bêches. Elle nous découvre une passion du théâtre à la maison : écriture de pièces, jeu de scène et réalisation, qu’il était de bon goût de cultiver chez les gens de la haute société de l’époque. M. Carré, voire Mme Crédy-Desforges, était-il à l’origine de ce théâtre, dirait-on presque, de verdure ?


C‘est non pas dans le Journal mais dans l’ouvrage autobiographique antérieurement écrit La Maison d’un artiste (voire la bibliographie) que Goncourt aîné livre un véritable reportage sur le fil des heures dominicales à Ménilmontant :

En ces temps, qui remontent à l’année 1836 [24], un de mes oncles possédait une propriété à Ménilmontant [25], une grande habitation en forme de temple, avec un théâtre en ruine, au milieu d’un petit bois […]. L’été, ma mère, ma tante et une autre de ses belles-soeurs [26], dont le fils, l’un de mes bons et vieux amis, est aujourd’hui ministre plénipotentiaire de France en Bavière, habitaient, toute la belle saison, cette propriété : les trois ménages vivant dans une espèce de communauté de tout le jour. Moi j’étais à la pension Goubaux [27], et tous les dimanches où je sortais, voici à peu près quel était l’emploi de la journée : vers les deux heures, après un goûter qui était, je me rappelle, toujours un goûter de framboises, les trois femmes, habillées de jolies robes de mousseline claire, et chaussées de ces petits souliers de prunelle, dont on voit les rubans se croiser autour des chevilles, dans les dessins de Gavarni de La Mode, descendaient la montée, se dirigeant vers Paris.

Un charmant trio que la réunion de ces trois femmes : ma tante, avec sa figure brune pleine d’une beauté intelligente et spirituelle, sa belle-soeur, une créole blonde, avec ses yeux d’azur, sa peau blanchement rosée et la paresse molle de sa taille ; ma mère, avec sa douce figure et son petit pied. Et l’on gagnait le boulevard Beaumarchais et le faubourg Saint-Antoine. Ma tante se trouvait être, à cette époque, une des quatre ou cinq personnes de Paris, énamourées de vieilleries, du beau des siècles passés, des verres de Venise, des ivoires sculptés, des meubles de marqueterie, des velours de Gênes, des points d’Alençon, des porcelaines de Saxe. Nous arrivions chez les marchands de curiosités à l’heure où, se disposant à partir pour aller dîner en quelque « tourne bride » près Vincennes, les volets étaient déjà fermés, et où la porte seule, encore entrebâillée, mettait une filtrée de jour parmi les ténèbres des amoncellements de choses précieuses.


Alors c’était, dans la demi-nuit de ce chaos vague et poussiéreux, un farfouillement des trois femmes lumineuses, un farfouillement hâtif et inquiet, faisant le bruit de souris trotte-menu dans un tas de décombres, et des allongements, en des recoins d’ombre, de mains gantées de frais, un peu peureuses de salir leurs gants, et de coquets ramènements du bout des pieds chaussés de prunelle, puis des poussées, à petits coups, en pleine lumière, de morceaux de bronze doré ou de bois sculpté, entassés à terre contre les murs… Et toujours au bout de la battue, quelque heureuse trouvaille, qu’on me mettait dans les bras, et que je portais comme j’aurais porté le Saint-Sacrement, les yeux sur le bout de mes pieds et surtout ce qui pouvait me faire tomber. Et le retour avait lieu dans le premier et expansif bonheur de l’acquisition, faisant tout heureux le dos de trois femmes, avec, de temps en temps, le retournement de la tête de ma tante, qui me jetait dans un sourire : « Edmond, fais bien attention de ne pas le casser ! »


Les ravissements que l’année 1836 a imprimés dans l’âme de l’adolescent Edmond ne doivent pourtant pas occulter le fait que cette date fut aussi celle où l’indivision Tissot-Lefebvre mit en vente la « folie » de Ménilmontant. Il est à cet égard curieux que l’aîné des Goncourt n’en ait rien confié à son Journal alors qu’il a certainement entendu ses oncles et tantes en discuter à maintes occasions [28] et que la perspective de perdre son paradis enfantin ménilmontanais l’affecta sûrement [29].
Nicolas Castin et sa femme, Marie-Louise Amanda, née Bax, furent les acquéreurs et la signature de vente, par-devant Me Esnée, les réunit les 8 et 12 septembre de ladite année en même temps que les trois membres de l’indivision (François Nicolas Tissot, très âgé, étant assisté par son beau-frère Charles Stanislas Lefebvre) augmentés de Jules Le Bas et de Marie Lefebvre [30].



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Passons sur la paire d’années qui suivirent l’arrivée des Castin, dont on ne sait du reste rien, regrette le docteur Dally*, pas même s’ils habitèrent vraiment leur propriété, sauf qu’ils furent contraints à la revente par suite de faillite. Le 27 juin 1838, le notaire bellevillois Jean-Jacques Piat enregistrait la vente du pavillon et de ses jardins au sieur Charles Maximilien Joseph Delheid d’Amblève (et à son épouse, Louise Delphine Lapie).


M. Delheid, maître carrier. Le cas de ce nouvel arrivant dans la saga du pavillon est très différent et, tout d’abord, il s’agit d’une personnalité en vue de Belleville. Le patronyme Delheid fait penser à des racines, comme on dit, « étrangères », ce qui ne saurait surprendre puisqu’elles s’ancrent dans le sol de Belgique et plus particulièrement dans la région entre Liège et Aix-la-Chapelle que baigne une gentille rivière, l’Amblève, affluent de l’Ourthe. Ce modeste aristocrate engagé dans une carrière militaire fut brigadier des gardes du corps du comte d’Artois – appelé à devenir le roi de France Charles X – dans l’émigration. Sans doute cette situation favorisa-t-elle l’installation de Delheid en France et l’acquisition qu’il fit en 1824, conjointement à l’ingénieur Pierre Mignerot, de l’un des plus importants chantiers d’extraction de gypse (la pierre à plâtre) sur le territoire de Belleville, celui des Carrières d’Amérique : 3 hectares qui s’étendaient à peu près entre notre moderne place de Rhin-et-Danube et le boulevard Sérurier (19e arrondissement.
L’homme s’intégra bien dans la vie locale puisqu’il apparaît en tant que membre du bureau de bienfaisance de la municipalité bellevilloise sous les mandatures du maire Charles Pommier, au sein des années 1840 et 1850. D’inclination religieuse, il fut par ailleurs président du conseil de fabrique [31] de la toute jeune paroisse ménilmontanaise de Notre-Dame-de-la-Croix. Prenant logis au pavillon Carré de Baudouin – qu’il n’appelait pas ainsi lui non plus —, M. Delheid figure le seul des résidents de la place qui eut ses occupations professionnelles à proximité, sur le palier, pourrait-on dire. Comme ce fut un habitant des lieux au quotidien, il est très probable que le carrier a entrepris des travaux d’aménagement du domaine des 119-121, rue de Ménilmontant mais nous les ignorons. L’application chrétienne de Charles Delheid d’Amblève peut en tout cas expliquer pourquoi, désireux de mettre en location le pavillon, il entra en relation avec la pieuse madame Mallet.


Une femme de banquier au relais : madame Mallet. Comment cette femme, Emilie Mallet (1794-1856), fille du célèbre industriel Christophe Oberkampf, épouse de Jules Mallet, codirigeant – avec son frère – de la grande banque Mallet, se retrouva-t-elle impliquée dans le destin de la propriété que constitua Carré de Baudouin ? C’est assez simple à dire après avoir rendu à cette personne remarquable à plusieurs égards mais bien oubliée de nos jours l’hommage qu’elle mérite pour avoir été en France, à partir de 1826, l’un des deux pionniers de l’école maternelle [32].

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Madame Mallet. Photographie anonyme autour de 1835. © Coll. particulière

Elle avait fondé en 1849, aux lendemains tragiques de l’épidémie de choléra, une œuvre charitable en faveur des jeunes enfants victimes du fléau : l’Asile des petits orphelins. Son local originel, rue Pascal, paroisse Saint-Médard-Mouffetard, dans le 5e arrondissement actuel de Paris, se situait au sein d’un secteur où une autre femme de caractère mais d’une confession chrétienne rivale – car catholique – de ses propres convictions protestantes, la célèbre sœur Rosalie [33], exerçait déjà sa dévotion auprès des enfants défavorisés. Nous étions à l’époque où le christianisme social, à travers des figures comme le doctrinaire Frédéric Ozanam, avait une influence spirituelle importante. Au lieu, donc, de se faire sottement concurrence, les deux bienfaitrices s’entendirent pour travailler à donner à la mission de la protestante l’envergure qu’elle souhaitait. D’abord lui offrir l’assurance d’une gouvernance perrenne en confiant son administration courante à la solide structure dont Rosalie était une représentante, les Filles de la charité de saint Vincent de Paul. Ce qui se fit dès 1851, les vincentiennes, sous la direction de la mère supérieure Félicité, prenant alors en charge les Petits Orphelins. Ensuite lui chercher un terrain d’exercice propre et urgent et là intervint l’abbé Depille, curé d’une paroisse toute nouvellement fondée, dans le quartier de banlieue désormais très populeux de Ménilmontant, Notre-Dame-de-la-Croix. Depille avait une proposition toute prête à faire, qui lui venait de son rapport ordinaire avec le président de la fabrique locale, M. Delheid, comme on le devine. Après que le transfert interconfessionnel de responsabilité eut été validé le 15 novembre 1852 par l’évêché de Paris et sous la caution morale de la duchesse de Chevreuse, la location de l’ex-pavillon de M. Carré, au nom de madame Mallet, fut conclue sans histoire avec un bail de six ans et le déménagement, nous donne à suivre une chronique rétrospective de 1860 de l’organe de presse catholique La Semaine religieuse [34], se déroula presque sur-le-champ. Ainsi s’ouvrit l’Asile des petits orphelins de Ménilmontant.




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Vers 1875 : le territoire naguère encore semi-campagnard de Ménilmontant a complètement muté ; il est entré dans le tissu urbain de la capitale. Le photographe, Charles Marville, a cadré sa prise de vue au niveau de nos rues Sorbier et de la Bidassoa. Le site Carré de Baudouin se tient topographiquement au-dessus, vers l’est. © Musée Carnavalet


C’est donc une nouvelle époque qui s’ouvre pour le site du pavillon Carré de Baudouin. Il perd définitivement la destination primitive qu’il avait depuis la fin du XVIIe siècle de maison de campagne et de retraite pour acquérir celle de refuge et de centre d’aide sociale. Une partie de cette nouvelle vocation se perpétuera de différentes façons jusqu’aux jours présents. La mutation de fonction se double, en 1865-1867, d’une transformation architecturale du vieil espace du domaine.


Un mode d’occupation bien sûr fort différent. Au tout début de 1853, la mission en tant qu’orphelinat des vincentiennes rassemblait moins d’une centaine d’enfants à Ménilmontant. On commença par les abriter dans des baraquements provisoires élevés au sein des jardins du haut. Du moins le visualise-t-on grosso modo car la documentation sur le sujet est très mince et pratiquemenrt réduite à l’information livrée vite fait dans la plaquette qu’un responsable administratif de l’œuvre, monsieur E. Villette*, a fait publier en 1909 pour relater les décennies pionnières et héroïques de l’histoire de la mission vincentienne. Mais il est évident que, afin de ne pas condamner les enfants au camping, il a fallu au plus vite modifier l’agencement interne du pavillon afin de créer les espaces dortoirs, classes, réfectoires et services nécessaires. Le mouvement s’accéléra après que les Filles de la charité, en 1857, eurent résolu de se rendre propriétaires. L’acte d’achat-vente fut enregistré par Me François Hippolyte Beaufort les 28 et 31 juillet [35], l’accord avec M. Delheid prévoyant que la mère supérieure, Félicité, versât au nom de la congrégation 180 000 francs [36] — montant assez élevé selon le commentaire des journaux religieux — au carrier dont, détail là encore surprenant, une rente viagère de 600 francs. La tractation, qui concernait bâtiments, jardins et dépendances du domaine, comprenait en outre son agrandissement par l’acquisition de deux nouvelles petites parcelles.


Au feu de l’opération d’adaptation fonctionnelle, c’est le faste entier et l’agréable ordonnancement du pavillon comme demeure de plaisance qui fondirent : les 13 chambres (dont deux suites) alignées au long de deux corridors à l’étage, avec leurs cabinets et leurs dressoirs, les deux salons, la salle de billard et la salle à manger du rez-de-chaussée – aux grandes baies ouvertes sur les jardins du bas dont les pelouses ouvrées descendaient presque jusqu’à la rue de l’Ermitage. Tout cela dut être redimensionné, regroupé et redistribué, même les cuisines. De l’ordre antique des pièces, il ne subsiste qu’une faible empreinte, presque imperceptible, dans l’édifice réhabilité que nous visitons aujourd’hui. Le mobilier, les objets d’art et précieux, les voilages, boiseries et autres articles de luxe du décorum transmis de M. Carré à M. Delheid, tout cela qui ne figura naturellement pas dans les articles de la minute notariale de vente de 1857 s’est de la même façon évanoui pour nous. Le même traitement adaptatif affecta encore les dépendances : logement de jardinier, remises à attelages, écuries, melonière, serres, volières à pigeons et faisans… Et affecta aussi les jardins, où furent découpées, en partie au détriment des bosquets, deux cours de récréation distinctes, pour petites filles et petits garçons [37]. Par ailleurs, le local oratoire ancien devait être remplacé par une chapelle.


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Ouvroir à broderie dans une mission vincentienne, forme classique de la dévotion des sœurs envers l’enfance démunie et abandonnée. On ne voit pas ici l’asile de Ménilmontant mais un établissement de même vocation. © Filles de la charité de saint Vincent de Paul


Reconfigurations. En devenant maîtresses de la place, les sœurs affirmaient un peu plus les ambitions de leur mission. L’orphelinat, qui accueillera déjà 167 pupilles en 1860, n’en constituait en effet qu’une partie. Toujours selon le « papier » de La Semaine religieuse déjà cité, « la pieuse et charitable Fille de saint Vincent de Paul qui est à la tête de l’asile [Félicité] a ajouté les œuvres suivantes, spéciales à la paroisse : 1° une école de jeunes filles externes ; 2° un ouvroir [baptisé Marie Immaculée] où 170 jeunes filles viennent travailler de 8 heures du matin jusqu’à 4 heures du soir ; 3° un patronage dont les bienfaits s’étendent à 300 jeunes filles ; 4° un vestiaire [office de don de vêtements] et une pharmacie à laquelle est préposée une sœur qui a pour mission spéciale de visiter les pauvres malades ». A ce compte, l’espace du pavillon se montrait bien sûr très insuffisant. Il fallait des locaux supplémentaires à l’extérieur. Architecte en titre de l’ordre vincentien depuis 1855, M. Blot fut dès 1857 mis en charge de dessiner les plans adéquats mais l’état délicat des finances de l’œuvre, qui survivait essentiellement grâce aux dons de riches protecteurs et à quelques chiches subsides lâchés par la Ville et l’État, empêcha pendant plusieurs années leur exécution.


Indirectement, c’est alors le chantier haussmannien de prolongement de la rue de Puebla (des Pyrénées de nos jours) qui, en 1864-1865, permit le financement sous la forme d’une indemnité de 180 000 francs versée, par-devant le notaire Alfred Delapalme [38], par la Ville de Paris — puisque celle-ci avait annexé en 1860 le territoire ménilmontano-bellevillois — pour compenser l’expropriation d’une grande partie des terrains de l’ex-domaine Carré de Baudouin. Le tracé de l’artère nouvelle passant tout bonnement par le mitan de l’espace de l’institution vincentienne, l’ensemble du bâti des dépendances alignées autour de la cour d’entrée cochère se voyait condamner à disparaître et, par la force des choses, la cour aussi. Du même coup, les parties d’« en haut » et d’« en bas » des jardins de la propriété se trouvaient dénitivement séparées par la chaussée intruse. Et ce n’était pas tout, le projet urbain du baron-préfet incluant en outre l’évasement du sommet de la rampe de la grand-rue locale, perpendiculaire à la nouvelle artère, la largeur du pavillon devait supporter un rabotage radical de ce côté et le mur d’enceinte du domaine, subir un retrait : piétonnière, la nouvelle voie d’entrée principale dans la propriété, qui s’opérait jusque-là par la cour (n° 121) en raison des attelages, y serait percée. C’est celle qui est pratiquée de nos jours (n° 119).

Visuel de la transformation de l’espace de la vieille propriété par suite des travaux urbains du préfet Haussmann
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Archives de Paris, 1864. Plan d’étude de l’emprise du prolongement de la rue de Puebla (des Pyrénées de nos jours) sur le territoire de l’ex-domaine Carré de Baudoin devenu celui de l’institut vincentien. Le dessin colorié de bistre correspond aux constructions : pavillon et, au-dessus, les dépendances [39]. Nous avons entouré de rouge la partie qui subsistera après les travaux de Haussmann ; en gros, c’est la surface actuelle du pavillon. Au pied du plan, semblable à un drapeau, le pavé graphique d’une maison de secours sur l’histoire de laquelle nous aurons à revenir.


Ce document exceptionnel nous a été transmis par notre confrère Denis Goguet. Nous l’en remercions vivement.

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Détail d’une planche de l’"Atlas administratif des vingt arrondissements de la Ville de Paris", de 1868, commandé par le baron-préfet Haussmann après l’achèvement de ses grands travaux. Le cartographe a simulé, au-dessus de la chaussée de Ménilmontant (tracée en rouge), le pavillon Carré de Baudouin — avec son péristyle – et, perpendiculaire à lui, le bâtiment neuf (noter sa forme particulière due à la chapelle sise en position centrale et transverse) au milieu des jardins. Au bas du site, la maison de secours déjà signalée. De l’autre côté de la rue de Puebla, qui traverse désormais du sud au nord le domaine ex-Carré de Baudouin, la marque « dépendances » correspond précisément aux anciennes dépendances et aux « jardins d’en haut ». © Médiathèque du Patrimoine architectural, 13, rue du Parc-Royal, Paris 3e. Photographie de Denis Goguet

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Vers 1908, pupilles et élèves des écoles externes bien rangés pour la parade devant l’immeuble neuf de l’orphelinat. Face à l’entrée de la chapelle, la statue du saint patron, Vincent de Paul. © Filles de la charité de saint Vincent de Paul

Extensions. On prit l’habitude de nommer « orphelinat » le bâtiment Blot, le neuf, mais c’est tout le site qui demeurait voué à l’assistance aux enfants sans parents. La plupart des structures d’accueil des pupilles furent certes transférées au nouvel immeuble mais le pavillon conserva son rôle de bureau administratif, non seulement de l’orphelinat mais encore de l’ensemble de l’œuvre (patronnages, ouvroirs, écoles externes…) missionnaire des sœurs à Ménilmontant. Détail révélateur attestant son rôle centralisateur est l’insertion d’une horloge dans le fronton au-dessus du péristyle, initiative esthétiquement douteuse, il faut bien l’admettre, qui dut se réaliser dans les années 1880. Elle fait partie des quelques interventions qui, après 1867, modifièrent encore peu ou prou la physionomie générale du site. Enumération rapide : en 1879 vit le jour, tout en bas du domaine, séparé de l’ensemble par une grille, une bâtisse de style rural à colombage [40] et mansardes baptisée pavillon des Anciens et des Apprentis.

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Jour de fête au pavillon des Anciens et des Apprentis dans les années 1890. © Filles de la charité de saint Vincent de Paul

Comme son nom double l’indique, elle était destinée, d’une part, au séjour dominical

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Corps de bâtiment de 1886 « encapuchonnant » l’extrémité est de l’immeuble de l’orphelinat. © Maxime Braquet, 2021

des enfants placés en apprentissage après l’atteinte de l’âge maximal d’accueil dans l’orphelinat et, d’autre part, aux grands anciens désireux de se réunir lors des visites qu’ils rendaient à la maison de leur enfance et d’y organiser des fêtes ainsi que des « agapes fraternelles », comme les appelle la brochure de M. Villette*. Ce local comprenait à cet effet des chambres de couples. En 1886, le volume de l’immeuble Blot fut augmenté par l’ajout, à chaque extrémité de celui-ci, d’un corps de bâtiment édifié en légère saillie. En 1898, des travaux conséquents rénovèrent le cadre de la chapelle en même temps que la partie du premier étage de l’orphelinat qui surmontait un préau afin d’y aménager quatre grandes classes pour l’école externe des filles.


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La chapelle de l’orphelinat après sa rénovation de 1898. © Filles de la charité de saint Vincent de Paul

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La mère supérieure Mazaudier
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La sœur vers 1880. © Filles de la Charité de saint Vincent de Paul

La « gouvernance » exceptionnellement longue de la sœur Mazaudier, de 1861 à 1903, assura la réussite de la mission ménilmontanaise. Dotée d’une « force d’âme vraiment virile », selon l’expression de M. Villette*, cette religieuse engagea la plupart des grands travaux d’aménagement du site de l’orphelinat au XIXe siècle. Administratrice avérée, elle fit de l’Asile, des écoles externes et des patronages un modèle dont s’inspirèrent de nombreuses institutions semblables dans l’ensemble de la capitale. A cet égard, on peut lire dans le mensuel paroissial L’Ami de Ménilmontant, livraison du 31 décembre 1899, l’intéressant compte rendu suivant :
« Le 17 décembre pourra compter comme une journée pleine pour M. le curé de Ménilmontant [l’abbé J. Frisch]. Chaque groupe d’œuvres tenait à le posséder le même jour pour lui souhaiter à la fois bonne fête et bonne année. A 4 h 30, les jeunes filles du patronage des sœurs l’attendaient dans leur salle de fête où elles avaient projeté de donner une représentation en son honneur. La conversion de Madeleine était le sujet du drame. Les chères jeunes filles l’ont interprété avec un rare bonheur. Le succès a été complet. Devant un auditoire nombreux nous avons remarqué Madame la comtesse de Blancas et bon nombre de dames patronnesses et bienfaitrices. M. le curé a remercié chaudement les artistes improvisées des efforts qu’elles avaient accomplis pour donner pour donner un éclat inaccoutumé à cette solennité. Il a félicité ensuite le patronage des sœurs de sa prospérité toujours croissante et il a exprimé le désir de pouvoir toujours citer les jeunes filles des sœurs comme des modèles aux autres groupes similaires établis sur la paroisse. »

Les lignes de cet encadré traduisent avec éloquence le degré d’insertion de l’asile et des œuvres annexes dans le tissu paroissial. Il en fut ainsi dès l’origine et monsieur le curé Depille, présenté plus haut, fit du reste partie du tout premier conseil d’administration de l’institution où, ultérieurement, entra aussi le maire de la commune de Belleville puis du 20e arrondissement. L’encadré suivant hisse les 119-121, rue de Ménimontant au-dessus de l’histoire locale :


L’institution vincentienne de Ménilmontant et le mouvement de séparation de l’État et des Eglises

Par deux fois dans son histoire, l’œuvre des sœurs se brûla à l’incandescence de ce problème. La première fois se place dans le contexte de la révolution ouvrière communaliste de mars-mai 1871, qui suivit la guerre franco-prussienne. Le gouvernement républicain de la Commune était en effet favorable non seulement à un enseignement gratuit et obligatoire pour les enfants mais encore à un enseignement laïc. La mise en application enthousiaste de ce programme conduisit à des « descentes » d’autorité plutôt fermes en direction des écoles religieuses afin de retirer de leurs classes les élèves et de les confier à des instituteurs laïcs. La maison de Ménilmontant n’y coupa pas. Dans sa brochure, M. Villette*, qui épouse évidemment le point de vue des religieuses, en donne le récit suivant :
« Au mois de septembre 1870, les soeurs se virent enfermées dans Paris, avec leurs nombreux enfants, sans provisions d’aucune sorte, ni chauffage, abandonnées à elles-mêmes, sans conseil ni protection de personne. Sœurs et orphelins furent condamnés à de dures privations ; pendant que les chargées des fourneaux [économiques, voire l’explication plus loin] et des ambulances du quartier, distribuaient autour d’elles viande, légumes, café, vin, etc., il ne leur était pas permis d’en faire bénéficier leurs pauvres enfants, qui souffraient de la faim et dont plusieurs avaient les pieds gelés. […]
La Commune fut plus terrible encore à l’asile. A quatre reprises différentes, il fut soumis à d’odieuses et brutales perquisitions des fédérés. Du 23 au 25 avril, les sœurs furent gardées prisonnières dans leur maison ; elles en furent ensuite chassées et leurs pauvres enfants remis à la garde de citoyennes libres-penseuses […]. Les sœurs rentrèrent à l’asile après le 1" juin ; la maison ressemblait à un vrai champ de bataille. Il leur fallut tout remettre en place, et recommencer sans tarder leur vie de maternelle sollicitude pour les chers orphelins, qui revinrent à l’asile les uns après les autres. » [41]


Le second moment douloureux prend place lorsque la IIIe République, reprenant l’idée de la Commune, consacre la laïcité de l’éducation : c’est le prélude à la séparation de l’Etat et des églises. La loi Combes de juillet 1904, plus tard adoucie et aménagée, allait à l’origine loin car elle retirait tout bonnement aux congrégations religieuses le droit d’enseignement. Sur-le-champ, une miniguerre sociale se déclara spécialement sur ce sujet entre les partis cléricaux et laïcs. Au terme d’un conflit qui revêtit parfois des aspects de franche violence, l’œuvre vincentienne de Ménilmontant, en 1907, dut se résoudre à fermer ses écoles et à laisser leurs élèves rejoindre les établissements publics. S’accommodant pour le mieux de cette contrainte, les sœurs utilisèrent les locaux rendus vacants pour accueillir 30 orphelins supplémentaires.


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Jeux de neige au début des années 1960 Remarquer le déplacement de la statue de Vincent de Paul par rapport à la vue de 1908 incrustée plus haut. Au fronton du pavillon, la disgracieuse horloge. Ci dessous, on aperçoit au fond du cliché, le pavillon des Anciens et des Apprentis et, un peu décalée au-devant, la maison de secours. © Filles de la charité de saint Vincent de Paul



A notre connaissance, aucune nouvelle transformation d’envergure ne s’est opérée entre 1911 et 1971 dans le domaine. Rien de notable, voulons-nous dire, si ce n’est du côté de ce que l’on peut situer comme le n° 117 actuel de la rue de Ménilmontant, un peu en retrait de la chaussée, où se trouvait cette maison de secours qui figure sur le plan cadastral de 1864 et l’Atlas administratif de 1868 reproduits plus haut.


Descendance de la maison de secours. L’origine de cette maison se place en 1861, à une époque où, sous la conduite énergique de la sœur Mazaudier, les religieuses de l’Asile des petits orphelins de Ménilmontant se battaient âprement face à l’État, mais en vain, pour que ce dernier accorde à leur œuvre la reconnaissance d’utilité publique ainsi que les subsides du Trésor qui y correspondent. Alors, comme pour compenser les mauvaises grâces de l’État, la municipalité du 20e arrondissement fit aux sœurs la proposition suivante : elle leur louerait une parcelle de leur propriété pour y faire construire à ses frais le local d’un office de bienfaisance que dirigerait entièrement par contre les Filles de la charité vincentienne en complément de leur mission. Affaire conclue et entrèrent bientôt en fonction ici ce que les religieuses appelèrent des « fourneaux économiques », c’est-à-dire, pour parler la langue usuelle, la distribution d’une soupe populaire aux citoyens les plus déshérités du quartier. S’adjoignit quelques années après, vers 1887, un restaurant pour les femmes abandonnées.
Au XX siècle, le local primitif fut rénové et agrandi afin de former un véritable centre social où s’ouvrirent aussi bien un dispensaire médical administré en commun par les sœurs et la Ville de Paris qu’une salle de rassemblement de scouts et le foyer d’un club d’adolescents, Les Hirondelles de Ménilmontant. En 1958, une association de bénévoles chrétiens, chapeautée par les instances officielles publiques, installera à l’adresse du 117 un foyer de jeunes travailleurs en difficulté d’insertion sociale [42].




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Il était d’autant plus important de parler de cet endroit, la maison de secours, que s’y réalisa, comme nous venons de l’évoquer, la première forme de collaboration entre les religieuses vincentiennes de Ménilmontant et les pouvoirs publics à propos de l’aide à apporter d’abord à l’enfance en péril mais aussi aux catégories sociales sinistrées de la population locale. Le sens de cette responsabilité mutuelle, malgré les vicissitudes (voir l’encadré ci-avant), s’affirmera de plus en plus au cours des décennies en s’étendant à l’ensemble du domaine de la mission des Filles de la charité de saint Vincent de Paul et s’épanouira même après 1971, date à laquelle la laïcisation complète du site commencera à s’accomplir pour mener à l’état de chose présent.


Participation diminuée et retrait. Nous rejoignons ainsi cette date déterminante. Les religieuses, en effet, prirent alors la décision de mettre fin à leur mission de Ménilmontant et de transmettre aux structures para-étatiques l’essentiel de l’effort social que l’œuvre produisait localement depuis 1853. Pendant une vingtaine d’années fonctionna une sorte de cogestion à trois, les Filles de la charité ayant pour partenaires l’Association de groupements éducatifs (AGE), structure d’action sociale émanant de la commission départementale de la Seine, relativement à la question de l’enseignement et, côté problèmes de santé et d’insertion des jeunes dans la société, les départements spécialisés en ces matières de la Ville de Paris (les DASES). En 1992, les vincentiennes se retiraient définitivement et annonçaient la mise en vente de leur propriété. Une douzaine d’années de tractations compliquées furent encore nécessaires pour que la Ville de Paris se résolve à faire jouer son droit de préemption dans l’achat de la propriété ex-vincentienne. En 2003, en même temps qu’elle devenait propriétaire, elle fit connaître son projet de vouer le pavillon à la carrière de centre culturel, rompant de la sorte l’unité antérieure des lieux autour des questions sociales par la constitution de deux pôles d’intérêt distincts [43].


Quelques vues très actuelles>spacer|class=spacer30>
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Automne-hiver 2022, travaux en cours de mise en valeur du pavillon : amélioration du parterre devant le péristyle. © Maxime Braquet

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Face nord de l’ancien immeuble de l’orphelinat. Entrée de l’ « unité de vie » du centre AGE (CEUV). © AGE

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Vu au travers de la vitre sur rue du 117, rue de Ménilmontant, le bureau d’accueil de la résidence universitaire "Frères Goncourt". Le choix de la présence décorative d’un portrait d’Edmond et de Jules ne saurait beaucoup surprendre car ceux-ci, notre article le rappelle, eurent partie liée, fût-elle limitée dans le temps et très circonstancielle, avec l’histoire du site Carré de Baudouin. © Maxime Braquet

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Plaque apposée à l’entrée basse du jardin du « Carré- de-Baudouin ». Par confrontation aux informations documentées que notre article s’est efforcé d’apporter, noter les imprécisions et parfois même l’ incongruité de celles que le libellé du texte de cette plaque affiche. © Maxime Braquet


En guise de fin de propos, quelques mots encore sur une partie du domaine que nous avons laissée de côté suite à la division opérée par les travaux de voirie de 1865-1867 : il s’agit des espaces, à l’est de la rue des Pyrénées, ayant compris les dépendances et les jardins d’ « en haut ». Les religieuses elles-mêmes semblent les avoir délaissées. En friche, les parcelles le long de la rue de Ménilmontant furent assez tôt, sans doute, louées puis vendues à un exploitant agricole. L’Annuaire Bottin-Didot du commerce, de l’industrie, etc., en tout cas, enregistre pour les années à la charnière des XIXe et XXe siècles l’activité d’un nourrisseur, éleveur de vaches en étables pour la production de lait. La salle de cinéma Pyrénées-Palace prendra sa succession après 1910. Sur les autres lopins de terre, à peu près au niveau de notre 276, rue des Pyrénées, les Filles de la charité de saint Vincent de Paul accueillirent en 1908 le patronage salésien Saint-Pierre, qui, lui aussi visé par l’application des mesures de la loi Combes de 1904 (voir l’encadré plus haut), fut expulsé de ses installations de la rue du Retrait voisine. Les disciples de don Bosco y firent notamment fonctionner un club de gymnastique et de tir dans le cadre de la préparation militaire : c’étaient Les Montagnards de Ménilmontant. Les salésiens purent réintégrer leurs locaux en 1928 et les religieuses vincentiennes abandonneront alors complètement les terrains vacants à la construction immobilière.

Maxime BRAQUET

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BIBLIOGRAPHIE
Sur le site
Braquet, Maxime, Le Site Carré-de-Beaudouin. Trois cents ans d’histoire d’un lieu inspiré de Ménilmontant, bulletin n° 35 (3e trimestre 2006) de l’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris (AHAV). Grandes bibliothèques de recherche (BNF, BHVP…) et médiathèque Marguerite-Duras, Paris 20e, fond « Découverte de l’Est parisien »
Dally, docteur Philippe, Belleville, histoire d’une localité parisienne sous la Révolution, éd. Schémit, 1912. Grandes bibliothèques de recherche (BNF, BHVP…) et médiathèque Marguerite-Duras, Paris 20e, fond « Découverte de l’Est parisien ».
Descat, Sophie : 1° Article « Le pavillon Carré de Baudouin », dans l’ouvrage collectif, sous la direction de Béatrice de Andia, de l’Action artistique de la Ville de Paris, Le 20e Arrondissement. La montagne à Paris. – 2° article « A la rencontre du public, l’hôtel de Chavannes de Pierre-Louis Moreau (1759) », dans les Annales du centre Ledoux, tome VIII, éd. de l’ Université Paris I Panthéon- Sorbonne. – 3° « Pierre-Louis Moreau et la Seine », article dans l’ouvrage collectif, sous la direction de Béatrice de Andia, de l’Action artistique de la Ville de Paris, L’Urbanisme parisien au siècle des Lumières, pp. 79 à 93.
Goguet, Denis : cet historien, chercheur en archives hors pair, est en train de mettre en ligne sur la Toile une série d’articles consacrés à l’histoire du domaine que Nicolas Carré a fait sien pendant une période. Il avait déjà prononcé diverses conférences prenant pour sujet le pavillon Carré de Baudouin ou y faisant une place particulière. Elles ne sont plus, hélas ! toutes accessibles aujourd’hui sauf : Le 20e arrondissement – Ménilmontant, le mardi 6 décembre 1768, onze heures du matin – YouTube. Sur la Toile, on trouve également le rapport de la contestation que, en compagnie de madame Descat*, il a défendue contre les récents travaux de rénovation du pavillon voulus par la Ville de Paris, jugés par eux et les premiers architectes de la réhabilitatio de 2003-2007 comme dépréciant en réalité l’architecture du bâtiment et dénaturant l’esprit des lieux. L’auteur des présentes lignes ne partage que certains points de cette contestation.
Villette, E., L’Asile des petits orphelins, 1849-1909. Souvenirs et espérances, éd. Société Saint-Augustin et Desclée de Brouwer & Cie, 1909. Cette plaquette d’une trentaine de pages est aujourd’hui un document très rare. Un spécimen fatigué du tirage originel se trouve à la Bibliothèque administrative de la Ville de Paris (cote BR 10674). Autrement, en demander une copie à la compagnie des Filles de la charité de saint Vincent de Paul (province France nord) : 9, rue du Cler, 75007 Paris.

Sur ses occupants
Billy, André, Les Frères Goncourt, éd. Flammarion, collection « Les grandes biographies », 1954. Grandes bibliothèques.
Broglie, Gabriel de, article « Nephtalie de Courmont », dans les Cahiers Edmond et Jules de Goncourt, n° 1, 1992. Sites François-Mitterrand et Arsenal de la BNF.
Goncourt, Edmond de : 1° La Maison d’un artiste, éd. originelle chez G. Charpentier, 1881, rééditions chez Flammarion en 1931 et L’Echelle de Jacob, Dijon, 2003. Grandes bibliothèques et certaines bibliothèques municipales ; 2° Journal, mémoires de la vie littéraire, nombreuses éditions depuis les publications originelles du XIX<e siècle et notamment Robert Laffont, collection « Bouquins », tome II, 1989. Librairies et bibliothèques. Par rapport à Ménilmontant, lire aux pages de l’an 1892.

NOTES ET COMPLÉMENTS D’INFORMATION

[1Le pavillon aurait sans doute subi le sort fatal de tant d’autres habitations de haut standing du secteur. La résidence, par exemple, du compositeur de musique Jean Joseph Cassanéa de Mondonvile (1711-1772), surintendant de la chapelle royale de Versailles ; elle faisait pour ainsi dire l’angle de la rue Pixérécourt avec la rue de Paris (de Belleville depuis 1860), aux numéros 206-208 actuels. Dans la rue Pixérécourt, entre le 81 et le 91, était, selon le docteur Dally*, une grande propriété fondée avant 1750 par madame Maigret, épouse de Remy Pernot, secrétaire de Louis XV. Elle fut en 1768 achetée par Louis Henri de Villeneuve, colonel-lieutenant au Royal-Roussillon. Vers Ménilmontant, autour de 1770, madame Marguerite Le Robert de Villars, épouse séparée de Joseph Antoine de Cazes, conseiller au conseil souverain de Roussillon, constitua à son tour une villégiature qu’elle transmit en 1784 à Louis Bazile de Thierry, ex-officier de marine et chevalier de l’ordre de Saint-Louis, qui la cédà à son tour, en 1793, au banquier Barthélemy Blaise Enfantin : c’est l’origine de la maison des saint-simoniens. Il y eut parmi ces habitations, chose très plausibe, des architectures qui valaient voire dépassaient la valeur de celle du pavillon mais cela s’est évanoui.

[2Ces articles, en phase de préparation à la mise en ligne sur Internet, seront publiquement accessibles en mai 2023. Nous corrigerons alors la bibliographie en rapport.

[3Voir la note précédente.

[4Ce style architectural, né au début du XVIIIe siècle, a eu un succès considérable dans le monde. Notamment aux Etats-Unis et voilà pourquoi la construction de Ménilmontant a de petits airs de Maison-Blanche washingtonienne ou de villa géorgienne du film Autant en emporte le vent.

[5Cette aberration, cerise sur le gâteau de l’absurdité, demeure en 2023 l’appellation officielle de l’édifice malgré l’intervention des historiens, du docteur Dally* à M. Goguet* en passant par madame Sophie Descat* et, on voudra bien excuser l’immodestie, nous-même*. Pour le sourire jaune que provoque l’état extrême de confusion, notons que M. Louis Lazare, auteur de l’un des premiers dictionnaires des rues de Paris et très officiellement chargé par Napoléon III de rapporter par l’écrit le résultat des transformations haussmaniennes, assurait en 1870 ceci : « A peu près au centre se dressait l’ancien Château de Ménilmontant, qu’on appelait alors le Retrait-Pompadour. Ce château de la belle marquise est aujourd’hui occupé par un orphelinat desservi par des religieuses. […] Après la mort de la marquise, ses héritiers démembrèrent cet ancien domaine, dont une partie fut achetée par Mme Favart. » Sans commentaire ! En convertissant en 2007 la propriété en centre culturel, la Ville de Paris a au moins eu le mérite de rétablir, très logiquement, le nom de Carré de Baudouin.

[6Bien qu’habitant à l’ordinaire en ville, à Paris, rue Royale, butte Saint-Roch, M. Carré, c’est naturel, a dû effectuer des travaux dans sa maison de campagne de Ménilmontant où, en revanche, sa maîtresse, Jeanne Françoise Venerony (voir la note suivante), logea avec plus de constance.

[7Madame Venerony, veuve d’Isaac de Montandon, servit de prête-nom à son « bon ami » M. Carré pour la cession en question.

[8Il faut ici souligner un point. Au-delà des deux premiers propriétaires successeurs de Nicolas Carré, c’est-à-dire hors du temps de l’apurement du dossier compliqué des dettes de ce dernier, son nom fut complètement ignoré des occupants du 119-121, rue de Ménilmontant ; ils ne surent pas même quel devancier avait fait construire le péristyle néo-palladien.

[9Nous figurons parmi les personnes qui, à compter du milieu des annnées 1990, avaient beaucoup insisté sur la présence des Goncourt à Ménilmontant parce que l’information sur celle-ci était auparavant totalement ignorée ou en partie occultée. Mais nous avons du coup trop insisté, au point de faire croire à l’importance d’une présence au-dessus de la réalité. Nous redressons ici cette mal-mesure.

[10La numérotation 119-121 est moderne, postérieure à l’annexion de 1860 du territoire bellevillois à Paris. Sur les vieux documents, on trouve 65 et même 194.

[11Que le médecin érudit confond, comme M. Goguet* l’a bien montré, avec François Nicolas Le Bas du Plessis.

[12Selon G.-Roger Sandoz, Le Palais-Royal d’après des documents inédits (1629-1900), tome second : « Depuis la Révolution jusqu’à nos jours », 1900, éd. Société de propagation des livres d’art. En ligne sur Gallica. Pour sa part, Lefeuve : Histoire des galeries du Palais-Royal, 1863, éd. P. Martinon, également sur Gallica, donne le montant de 262 500 livres.

[13Dont, clause curieuse, une rente viagère de 1 200 livres. Comme le rapporte le docteur Dally*, les Tissot reprirent séparément le mobilier pour 18 000 livres.

[14Notre source d’information principale est un long article : « Le Café des aveugles », d’Adolphe Dupeuty, auteur dramatique à succès et ici journaliste, paru le 3 juillet 1864 dans le journal Le Figaro. Mis en ligne sur la Toile par la BNF/Gallica.

[15Selon Dupeuty, voir note précédente.

[16L’existence de ce journal, encore à l’état de manuscrit et inédit à ce jour, nous a été révélée par l’académicien français Gabriel de Broglie*, appartenant à la descendance de Nephtalie. Dans cette détestation de l’enfant, peut-être y avait-il, c’est une hypothèse, la répugnance que lui inspiraient certains des visiteurs de sa grand-mère, ex-piliers de salle du cabaret du Palais-Royal.

[17Selon Gabriel de Broglie*.

[18L’ouvrage est une mine incomparable de renseignements sur la vie – pas seulement littéraire — parisienne (et provinciale) au XIXe siècle. Sa rédaction, commencée à deux mains avec Jules en 1851, fut poursuivie par Edmond seul après le décès de son cadet en 1870 et cela jusqu’en 1896, date de sa propre mort. Pour être tout à fait exact, c’est Jules qui, le premier : page du 5 janvier 1870, évoque la maison de Ménilmontant. Il le fait dans des termes qu’Edmond a repris presque littéralement, signe que Goncourt cadet, six ans en 1836, a en vérité emprunté ses souvenirs très précis à son aîné.

[19Dans La Maison d’un artiste (voir la bibliographie), Edmond avait écrit onze ans plus tôt dans le même sens : « Ce n’est pas seulement le goût de l’art que je dois à ma tante, et du petit et du grand : c’est elle qui m’a donné le goût de la littérature. »

[20Cet hommage à Nephtalie, Edmond et Jules l’ont rendu dès 1869 en faisant de leur tante le modèle de l’héroïne de l’un des romans les plus accomplis de la paire d’auteurs : Madame Gervaisais (toutes collections de livres de poche).

[21Chétive, maladive, Nephtalie tenait sa beauté à l’intérieur d’elle.

[22« Gorgiases » ? Avec ce néologisme, Edmond comptait sûrement évoquer des figures féminines à forte poitrine comme on en voit, en effet, sur certaines toiles du grand peintre anversois Jacob Jordaens.

[23Il s’agit bien sûr de François Nicolas Tissot, l’oncle de Nephtalie et d’Edouard Armand présenté plus haut.

[24Le souvenir de l’été 1836 à Ménilmontant a manifestement beaucoup marqué Edmond. Toutefois, étant donné que sa mère et Nephtalie ont noué une grande amitié à partir de 1834, on peut penser qu’il a effectué d’autres passages, sans doute plus brefs, dans la « demeure enchanteresse » avant la période estivale de 1836. Selon l’avis des biographes des frères écrivains, leur mère s’appuyait beaucoup sur sa belle-sœur pour les « encadrer ».

[25Le seul (demi-)oncle d’Edmond authentiquement propriétaire, en indivision, à Ménilmontant, c’est Edouard Armand Lefebvre, le frère de Nephtalie, mais Edmond, très probablement, pense davantage à son autre oncle, Jules Le Bas, mari de Nephtalie et demi-frère de sa mère.

[26Edmond désigne cette fois Marie Lefebvre, l’épouse d’Edouard Armand (voir la note précédente). Le fils de Marie dont parle tout de suite après l’aîné des Goncourt est Edouard Lefebvre de Béhaine.

[27Prosper Goubaux, instituteur-éducateur d’avant-garde, avait, dans les années 1830, les locaux de sa pension renommée rue Saint-Maur, c’est-à-dire pas très loin de la maison des 119-121, rue de Ménilmontant. On peut s’imaginer l’écolier Edmond d’une douzaine de printemps gravissant la côte séparant les deux points.

[28Du côté du ménage Jules-Nephtalie, la prise de décision eut certainement un rapport avec le projet qu’il avait d’acquérir une nouvelle maison de campagne en achetant sa propriété de Croissy-Beaubourg (Seine-et-Marne) à madame de Flavigny, comtesse d’Agoult, par ailleurs écrivaine de valeur sous le nom de plume de Daniel Stern. L‘affaire fut conclue après 1836.

[29Au sein de sa chronologie, au terme du segment sur les Tissot, le docteur Dally* écrit : « Cette maison [celle qui nous occupe] devait devenir un pensionnat de jeunes filles dirigé par madame de Noireterre », notation très vague quant aux dates : après 1792 ? après 1836 ? et qui procède surtout d’une confusion. Il a bel et bien existé un pensionnat de jeunes filles Noireterre, comme un historien tel Dufey de l’Yonne l’atteste dans son ouvrage Nouveau Dictionnaire historique des environs de Paris (édité en 1825, lisible aux Archives de Paris), mais il louait son espace dans l’ancienne résidence de Favart, à Belleville, donc, et non à Ménilmontant. La parenthèse que nous ouvrons ici sur ce sujet, beaucoup sur l’insistance confraternelle de M. Goguet, a pour véritable intérêt de marquer l’erreur que nous avons commise, en 2006, dans le bulletin de l’AHAV (voire la bibliographie à Braquet), en agravant la confusion du médecin érudit avec l’intention que nous pensions bonne de l’éclairer. Il n’y a jamais eu de pension Noireterre à la maison Carré de Baudouin.

[30AN, MC/ET/LXXXV/933. L’acte révèle que les Tissot avaient agrandi le domaine ménilmontanais par l’achat, en 1799, de parcelles à leur voisin Faucheur.

[31Au sein d’une paroisse catholique, le conseil de fabrique est un ensemble de personnes (clercs et laïcs) « ayant la responsabilité de la collecte et de l’administration des fonds et revenus nécessaires à la construction et entretien des édifices religieux et du mobilier de la paroisse : église, chapelle, calvaire, argenterie, luminaires, ornements, etc. » (Fiche Wikipédia.)

[32Emilie Mallet adapta le modèle des infant schools que, outre-Manche, un ancien ouvrier tisserand, James Bachanan, disciple du théoricien socialiste Robert Owen, avait mis au point en 1817. L’autre pionnier français est Jean Denis Cochin, membre de la famille de l’abbé Cochin qui sera à l’origine de l’hôpital portant son nom.

[33Jeanne Marie Rendu de son vrai nom (1787-1856). Béatifiée en 2003.

[34« Revue du culte et des bonnes œuvres ». Elle fait pour la première fois mention de l’Asile des petits orphelins de Ménilmontant en 1854 (n° 29 ; lisible à la BNF).

[35AN, MC/ET/XXIX/1177.

[36La comptabilité des sommes, exprimée en livres sous l’Ancien Régime, s’établit en francs depuis 1795 (1 franc égale 1 livre et 3 deniers).

[37Car si l’institution se voulait d’avant-garde en réunissant dans ses murs les deux sexes, cela n’allait pas jusqu’à la mixité lors des jeux voire dans les classes, comme le fait remarquer un rédacteur des Annales de la charité. Cette revue d’économie chrétienne a établi en 1856 une sorte de bilan de l’activité des premières années de l’asile, publiant en outre ses statuts.

[38Selon le sommier des biens immobiliers des Archives de Paris, cote DQ18 1119.

[39A comparer avec l’image ci-avant incrustée dans l’article de la même propriété en 1812.

[40Le dessin de celui-ci a été escamoté sous un crépi dans les années 2010.

[41Deux autres récits des évènements, publiés en 1872, sont lisibles en ligne par BNF/Gallica sous le titre Asile des petits orphelins de Ménilmontant. Récits des événements de mars-mai 1871.

[42Au milieu des années 1980, ce foyer comprenait un internat et deux externats, soit l’accueil de 150 adolescents (selon le mensuel local L’Ami du 20e, n° 404). Il avait pour cela absorbé le pavillon des Anciens et des Apprentis. Il a déménagé en 2003 pour intégrer une autre structure, rue des Amandiers.

[43A l’heure où nous écrivons, la structuration de l’ancien espace du domaine Carré de Baudouin est la suivante : en position vedette, le centre culturel au titre de Pavillon Carré de Baudouin, précédé du jardin du Carré-de-Baudouin ; un centre AGE gère, dans l’ancien immeuble de l’orphelinat, une « unité de vie » (CEUV) à laquelle on accède par le 303 de la rue de Ménilmontant ; les DASES (119, rue de Ménilmontant) tiennent leurs locaux de l’autre côté du même immeuble. En 2015, la mairie du 20e arrondissement a fait élever au n° 117, soit à l’emplacement de l’ancienne maison de secours, un ensemble immobilier (voir son image en tête de l’article) de deux corps de bâtiment sur les plans des architectes Franck Vialet et Bettina Balus. L’un, de réalisation classique et absorbant l’ancien pavillon des Anciens et des Apprentis, retapé pour l’occasion, abrite les structures d’une crèche municipale ; l’autre, d’allure franchement futuriste, consiste en une résidence universitaire de 87 chambres, baptisée Frères Goncourt et gérée comme il se doit par le Centre régional des œuvres universiraires et scolaires (CROUS).

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