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La cité du sang

Avant la quiétude du Parc de La Villette, une activité effrénée, du dur labeur, du sang et des ripailles : le temps des abattoirs.

Les abattoirs de La Villette étaient constitués de plusieurs milliers de mètres carrés de beaux bâtiments solides, aux murs épais, construits par l’architecte Baltard qui leur a donné leurs fameux murs, leurs voies d’eau, leurs grandes et lumineuses verrières. Dont la Grande Halle est aujourd’hui le dernier vestige.

A l’époque des abattoirs (1862-1974), arrivaient chaque jour des troupeaux de veaux, de vaches, de moutons, de porcs, des volailles aussi. Ils venaient de partout en France, par la route ou le train, pour se rendre à l’entrée de la Porte de Pantin.

Un flux quotidien de plusieurs dizaines de milliers de bêtes qui ressortiraient bientôt, coté Porte de La Villette, pour s’en aller repaître les estomacs des Parisiens.

Avant toute chose, on menait les bestiaux aux échaudoirs, pour les brosser, les nettoyer, qu’ils puissent boire à la fontaine [1] et manger, se remettre, enfin, de leur périple pour paraître beaux à la foire et devant les bouchers en gros qui viendraient les voir et leur décerner des prix.

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Abattoirs de La Villette

© ND / Roger-Viollet

Parfois même on leur tondait une bande fine le long du dos jusqu’au bas des reins, afin d’élargir la vue des épaules, des hanches de la bête.

Esthétique, et non tricherie ! Car à La Villette, comme il était écrit au café de Poissy, « La parole est d’or, les écrits sont nuls. » On traitait le marché d’un « top-là ! » et l’affaire était réglée ; on ne s’amusait pas à rigoler avec les costauds de la Villette ; de toute façon, on aurait perdu toute estime et toute possibilité de commerce. On aurait perdu sa crédibilité auprès de tous.

C’était un monde à part très organisé. N’entrait pas qui voulait à La Villette, pour franchir les grandes murailles, il fallait montrer patte blanche et justifier de papiers spécifiques. Seuls parfois des gamins accrochés entre 2 bœufs parvenaient à se faufiler, inaperçus, dans l’enceinte.

Mort aux vaches !

Le bœuf régnait en roi, avant même le taureau et bien sûr la vache. Les moutons étant le bas de gamme. Ici, on traitait de la grosse bête. On tuait professionnellement, en évitant la douleur aux animaux, qui devaient être bien traités sous peine d’amende.

La tête de la bête était préalablement baissée, attachée à un anneau au sol, elle présentait ainsi une surface pour le tueur. On lui couvrait la face du fameux masque Bruneau, afin qu’elle ne panique pas, puis d’un solide coup de merlin sur la tête on l’assommait et faisait pénétrer un filin (d’un mètre 20, en bois souple mais dur) dans la moelle épinière : l’énorme masse soubresaute et s’écroule, c’est la fin.

Ensuite, il faut la hisser sur les chevillards pour la dépecer, ne pas le faire à même le sol et salir la viande, malgré l’eau qui coule à flots.

Il y a aussi les bonnes donneuses ou les culards, des vaches âgées, décharnées d’avoir donné tant de naissances et de lait, aveugles, et la corne des sabots longue, à force d’être enfermées dans des espaces noirs et réduits. Ces pauvres vaches serviront pour les viandes moins riches, telles que le saucisson.

La faim des temps

Tuer 6 bœufs par jour c’est déjà beaucoup de travail !
Avant de tuer la dernière bête de la journée, on boit souvent un verre et on assène le coup de merlin d’une main, la journée est bientôt finie. Après on ira à l’Horloge, la buvette bien nommée où l’on boit et mange vite.

Mais si on a fait de bonnes affaires on n’hésitera pas à aller à la maison Edon (qui devient en 1932, Le Bœuf Couronné, qui existe toujours, avenue Jean Jaurès), au Dagorno, au Cochon d’Or, aux Deux Taureaux ou Au Pied de Mouton - qui des années durant présentait un mouton attaché sur son lit de paille à l’entrée.

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Dans ces établissements règne un luxe bourgeois, tranquille et repus, les repas durent des heures et l’on savoure parfois même l’animal tué il y a quelques heures, les propriétaires étant fiers d’avoir obtenu les vainqueurs des prix, de belles bêtes viandées, savoureuses.

Là on peut se détendre, bien manger. Il y a des fleurs, des tentures, des marchands, des bouchers, acheteurs en tout genres.

Dans ces restaurants il y a aussi de grandes salles de banquet, pour les fêtes, les premières communions, les réunions de famille. Alors, après le manger, on sort les tables sur le trottoir et on danse tard dans la nuit.

C’est un régime d’homme fort, qui a souvent commencé à peine adolescent, et s’est musclé au fil du temps.
Les anémiques, riches bourgeois, viennent, eux, le matin, boire un verre de sang de bœuf fraîchement tué ; il paraît que cela fait du bien.

Malheureusement, au début des années 1970, tout ce monde a été délogé par les grandes Halles de Rungis, qui, dans leur élan, ont aussi déblayé les charmantes Halles du centre de Paris où l’on pouvait se nourrir de produits frais à toute heure, dans une cacophonie pas désagréable, un peu de campagne venue jusqu’au centre de Paris.

La Villette est tout de même resté un quartier fidèle à la viande, et l’on y trouve de nombreux bouchers ; certains se souviennent encore de l’époque glorieuse, quoiqu’au dur labeur, d’il y a 30 ans. A nous de les retrouver et de les faire parler !

Siane Gallozzi-Danielson

[1la fontaine aux lions, que l’on trouve toujours de nos jours devant la grande Halle

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Réactions
par Alcapone - le : 15 décembre 2013

La cité du sang vue par Éric Fournier

Je viens de terminer la lecture de La cité du sang d’Eric Founier qui propose une intéressante étude sur les bouchers de La Villette contre Dreyfus. On y découvre les mêmes détails que vous partagez dans cet article. Pour ceux qui s’intéressent au sujet, je recommande vivement cette lecture.

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