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Belleville en Olympie

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Le Stade de la butte Bergeyre


Qu’est-ce que cette mystérieuse butte Bergeyre dont on voit quelquefois le nom donné dans des ouvrages sur Belleville alors que, officiellement, il n’apparaît dans aucune nomenclature des voies et des sites de Paris ?

Elisabeth Philippe, dans Le Guide du promeneur du 19e arrondissement. [1], va jusqu’à parler de "village de la butte Bergeyre". Elle nomme par-là l’ensemble résidentiel que quadrillent, entre la rue Manin et l’avenue Simon-Bolivar, les rues Georges Lardennois, Philippe-Hecht, Edgar-Poe, Rémy-de-Gourmont et Barrelet-de-Ricou. Perchée sur un haut plateau, en retrait de la ville à laquelle la relient trois escaliers abrupts, ouvrant au nord-ouest sur un magnifique belvédère d’où l’on admire le Sacré-Cœur, cette cité a en effet quelque chose d’un village. "Butte", on voit bien pourquoi, mais "Bergeyre" ? C’était, répondent les historiens Emmanuel Jacomin, Jacques Hillairet et d’autres, le nom d’un stade qui occupait les lieux avant leur lotissement immobilier, en 1927. Nos auteurs, ne nous en disent pas plus. Pourtant, il eut sa célébrité, non seulement parisienne, mais encore nationale et internationale. Nous allons relater l’histoire en partant des Buttes-Chaumont.

Vous avez évidemment noté que Buttes-Chaumont vient au pluriel. Avant l’implantation, entre 1863 et 1867, du grand parc paysager de l’Est parisien, on disait cependant "la" butte de Chaumont. C’est ainsi que cette hauteur apparaît désignée sur tous les plans anciens depuis le XVIe siècle.

Plan Roussel de 1731.

Ces documents font souvent figurer les silhouettes des onze moulins qui couronnaient la crête et ils indiquaient aussi la présence de nombreuses carrières de gypse et plâtrières. Ce sont les travaux d’aménagement d’Adolphe Alphand et de Pierre Barillet-Deschamps, les deux auteurs du parc, qui ont découpé la butte originelle unique en buttes, les Buttes-Chaumont, donc. Un des résultats du découpage fut le percement de la rue Manin, qui isola à l’Ouest du jardin un escarpement, celui que nous avons décrit en ouverture de l’article. Par commodité, nous adopterons désormais l’appellation de butte Bergeyre.

Cette butte-là, en face du parc, demeura longtemps sauvage et sans dénomination particulière. Aujourd’hui, le promeneur n’en devine guère l’existence, sinon grâce aux trois escaliers rue Manin, avenue Simon-Bolivar et Michel-Tagrine (avenue Mathurin-Moreau), car un pourtour de larges immeubles de six à huit étages, tel un coffrage, dissimule totalement la vue de l’éperon depuis son pied. Ce qui rend quasiment magique sa découverte, l’un des plus fastueux sites de Belleville.

L’occupation véritable du "mont" commença à l’aube du XXe siècle. En 1902, Adolphe de Rothschild fit l’acquisition des terrains à l’angle de la rue Manin et de l’avenue Mathurin-Moreau pour y élever la fondation ophtalmologique encore active actuellement. Plus bas au bord de l’avenue s’installe en 1911-1912 une entreprise cinématographique, le Cinéma champêtre, un écran de plein air de 42 m² qui offre des séances diurnes de deux heures et demie à un public pouvant aller jusqu’à 3000 personnes. Ce cinéma s’intégrera après 1914 parmi les attractions d’un parc de loisirs appelé les Folles-Buttes, dont l’entrée se situait à l’amorce du premier lacet de notre rue Georges-Lardennois. Cet établissement disposait d’une large place qui groupait des jeux de plein air, une scène de music-hall et de théâtre. Un bal y fonctionna après 1918. Tout cela se déroulait au pied de notre butte alors que le plateau du sommet demeurait vierge.

C’est en 1918 qu’on y aménagea le stade de football Bergeyre, dont l’inauguration eut lieu au mois d’août sous les objectifs des cameramen des actualités Gaumont. C’était la propriété du club Paris Olympique, fameuse équipe de l’époque, mais, dont l’origine du nom, nous est inconnue malgré une enquête. Un stade, vraiment ? Oui, mais, attendez, n’allez pas chercher des points de comparaison avec l’édifice monumental de Saint-Denis ni même avec l’Abbé-Deschamps de l’AJ auxerroise. En 1918, le football était encore un sport récent en France ; les clubs, pourtant assez nombreux déjà, ne possédaient pas, les infrastructures et les moyens du PSG. Les rares photos (surtout tirées d’archives filmiques) que nous possédons du stade Bergeyre montrent ainsi une tribune couverte qui a l’air d’un préau d’école agrandi, une aire de jeu bosselée par endroits et une pelouse approximative. Bâti sur trois côtés seulement, dont deux tribunes ouvertes de faible élévation, adossées à un mur, le stade se trouvait largement aéré. "C’est un plateau de gazon, une île claire et tranquille, que vient battre, à l’horizon, le flux de l’immense ville", écrira à son propos un journaliste du sport. Le terrain avait une superficie qui se situait plutôt dans le bas de l’échelle des dimensions agréées. On y accédait par des escaliers de bois rudimentaires.

Qu’importe, avec sa capacité globale d’accueil de 15000 personnes, Bergeyre constituait une installation très importante au plan national. Avec Pershing, ouvert à peu près à la même date au milieu du bois de Vincennes, plus grand que lui, le stade bellevillois a justement marqué le départ de la popularisation de masse du nouveau sport. Preuve de son rang, il fit partie des lices choisies lors des Jeux Olympiques de Paris de 1924 pour accueillir des matchs qualificatifs du tournoi de football, notamment les rencontres Pologne-Hongrie et Tchécoslovaquie-Turquie (la finale se déroula au stade olympique flambant neuf de Colombes).

Précédemment, en 1920, Bergeyre avait vu se disputer la finale de la coupe de France entre le Club Athlétique de Paris et le Havre Athlétique Club, qui se solda par la victoire de l’équipe havraise sur le score de deux buts à un devant 7000 spectateurs.
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Stade Bergeyre, 1920, finale de la coupe de France. Le défenseur du Havre Athlétique Club Grivel sauve son but alors que le gardien, Drancourt, est battu.


De telles rencontres, rassemblant des foules imposantes sur les pentes de la butte, aussi exubérantes que sont en général les cohortes d’aficionados du football, ont certainement rythmé la vie du quartier. D’autant plus que le club résident, afin d’amortir ses frais, prêtait son terrain à bien d’autres manifestations sportives, athlétisme, rugby et même hockey. Et puis, voyez comment les meilleures idées n’ont pas attendu Johnny Halliday ou les Rolling Stones pour germer, les stars contemporaines du music-hall l’utilisaient aussi à l’occasion pour monter des parades de masse. Il y a par exemple cette "fête des caf’ conc’" que l’illustre Dranem organisa à Bergeyre en juin 1921. Mais, de cette intense animation, les chroniques bellevilloises, chose curieuse, ont très peu inscrit la trace, voire pas du tout. Cela dit, l’activité du stade Bergeyre n’a duré que huit ans… Frappé d’expropriation au profit d’opérations immobilières, il fut démonté en 1926. C’est de 1927 et des années suivantes que date la construction de la plupart des pavillons et des petits immeubles de standing qui bordent aujourd’hui les rues du plateau de la butte Bergeyre, havre de paix qu’affectionnent des artistes comme le danseur étoile Patrick Dupond et le créateur de grands spectacles Jean-Paul Goude.


Maxime BRAQUET


Petite histoire du Paris Olympique.

À l’origine, il y a l’Olympique de Pantin, club fondé en 1895 et historiquement l’une des meilleures équipes parisiennes du jeune sport footballistique. Ses joueurs portaient un maillot blanc et, caractéristique avancée pour l’époque, comptaient plusieurs étrangers, des Belges, dans leurs rangs, dont Decoux (gardien de but), Van Roë (défenseur) et Lambrechts (attaquant). Officiant sur l’aile droite, l’avant international Dewaquez fut le Trézéguet du onze pantinois. Celui-ci gagna en mai 1918 la première édition de la coupe de France de football et c’est au lendemain de ce succès qu’il absorba le Sporting Club de Vaugirard pour devenir le Paris Olympique (on disait simplement l’Olympique) tout en conservant la plupart de ses joueurs. Dirigeant du Sporting, Jacques Sigrand apporta en dote une grande partie du prix de l’édification du stade Bergeyre.

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L’Olympique de Pantin vainqueur de la première coupe de France.

À deux reprises, en 1919 et en 1921, l’Olympique, par ailleurs champion de Paris, parvint au terme des compétitions de la coupe de France mais échoua à chaque occasion. Après l’expropriation de son stade, il fusionna avec le Red Star(qui existe toujours) et déménagea à Saint-Ouen.)


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Stade Bergeyre, 25/12/20, association, Olympique (de Paris) contre Real Unión [d’]Irún - BNF.


Maxime nous rappelle…

Articulet paru dans le Quartiers Libres numéro 90-91 automne-hiver 2002

Dans Quartiers libres n° 84-85, Maxime nous a parlé du stade Bergeyre, en rappelant que cette pelouse bellevilloise des Buttes-Chaumont avait accueilli des matchs comptant pour le tournoi de football des Jeux olympiques de Paris, en 1924.

Comme le rédacteur s’en est fait à lui même la remarque après coup, il aurait dû inclure dans son article un autre fait qui a rattaché encore plus fort Belleville au déroulement de ces Jeux. Il s’agit bien sûr de l’ensemble des compétitions de natation qui eurent lieu au stade nautique des Tourelles, 148, avenue Gambetta, spécialement construit pour la circonstance. Il acquit tout de suite une notoriété mondiale grâce aux exploits d’un nageur américain hors pair, un certain Johnny Weismuller qui se ferait bientôt connaître comme le premier Tarzan du cinéma. Cet athlète de la nage n’éclipsa cependant pas tout à fait les mérites d’un champion tricolore lui aussi fameux, Jean Taris. Le stade des Tourelles, rebaptisé ultérieurement Georges Vallerey, demeura longtemps la seule piscine "olympique" (avec un bassin de 50 m) de Paris et fut plusieurs fois choisi comme théâtre des championnats nationaux. Cet équipement sportif bien connu des riverains de la porte des Lilas a bénéficié il y a six ans d’une modernisation totale*.


Rendons au Montfaucon de l’Argonne ce qui n’appartient pas au Montfaucon parisien.

Que le service des jardins de la Ville de Paris ne nous en veuille pas de le corriger mais il y a des erreurs d’information qu’il faut signaler même si elles proviennent d’instances administratives officielles. Ainsi, sur des affichettes touristiques apposées sous abri sur les portes du parc des Buttes Chaumont, on lit qu’au pied des dites hauteurs, au site qui deviendrait plus tard sinistrement célèbre pour porter le gibet de Montfaucon (grosso modo place du Colonel Fabien), le comte Èudes, co-Roi de France avec Charles le Simple, emporta à la fin du IXème siècle une bataille importante sur les Vikings (Normands).

Il s’agit d’une totale confusion. Cette bataille de Mont-faucon a bel et bien existé non pas aux portes du Paris médiéval mais à Mont-faucon dans l’Argonne (Meuse), laquelle colline connaîtra de nouveau des affrontements militaires capitaux en 1918. Cette bourde de l’Administration ne prêterait qu’à sourire - qui ne commet jamais d’erreur ? - si on ne la voyait propagée dans certains guide récemment écrits sur Paris.


*. Un projet de piscine sur le 20e arrondissement rue Denoyer (non ! ce n’est pas une blague) est en cours de discussion.



Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2015.

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[1Editions Parigramme/CPL, Paris, 1996

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Réactions
par un ancien rugbyman - le : 28 septembre 2012

Le Stade

Le terme "Olympique" a été conservé dans la dénomination officielle du Red Star qui est le Red Star Olympique Audonien.

L’Olympique de Paris vit également toujours au travers du "chant de tradition" de la section rugby du R.S.O.A, chant que j’ai eu l’honneur d’entonner quelques fois dans la version que je reproduis ci-dessous :


[refrain]
Tu n’as pas vu comme elle est belle
L’équipe du Red Star Olympique oui Olympique
Il n’y en a pas deux comme elle de Montrouge à la Villette, à la Villette
Légère comme une hirondelle à tous elle tient quand même tête
Et partout ce n’est qu’un cri l’Olympique de Paris
Voilà son équipe de Rugby


[1er couplet]
Au Red Star Olympique, équipe magnifique
Nous avons tous juré, honneur, fidélité
Nous avons le bonheur de porter nos couleurs
Partout l’on t’aimera et l’on t’applaudira
Et nos petits joueurs de tout leur coeur
C’est pour l’honneur de nos couleurs


[2eme couplet]
Dans notre vieux Panam, le béguin de nos femmes
Sont nos p’tits équipiers tout de vert habillés
Pour l’Olympique ils jouent et ce qu’on admire surtout
C’est la franche camaraderie qui partout les unis
Et nos petits joueurs de tout leur coeur
C’est pour l’honneur de nos couleurs
[au refrain]


Il est vraisemblable que dans le première phrase du 1er couplet, le terme "Red Star Olympique" est venu remplacer celui de "Paris Olympique" qui bénéficie de la même scansion et de la même rythmique.

Répondre à un ancien rugbyman

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