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Marc Tardieu

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Le Bougnat


Quartiers libres avait eu le plaisir de recevoir le précédent livre de Marc Tardieu : Belleville-Apache, édité en 1998 par Le Sémaphore, d’en faire une critique et de réaliser un entretien avec son auteur qui ne nous a donc pas tenu rigueur des quelques reproches que nous avons pu écrire puisqu’il vient de nous envoyer Le Bougnat - avec une gentille dédicace, publié aux éditions du Rocher - et d’ailleurs annoncé dans notre journal 76-77.

Le livre est à la fois semblable au précédent et différent puisqu’il est consacré à son grand-père, Jean Casses (qui signifie chêne en celte ou petite louche dans l’Aveyron), auvergnat monté à Paris et qui devient son propre patron d’un café-charbon à 35 ans, au 53, rue Bisson, entre Belleville et Ménilmontant.

Points communs entre les deux ouvrages : localisation très précise dans nos quartiers et intérêt documentaire : après Belleville du début du siècle nous sommes invités à découvrir un petit espace voisin entre 1930 et 1960 - une partie de la rue Bisson et la cité du même nom - il ne peut excéder la possibilité de livraisons de charbon d’un seul homme, d’ailleurs, dans la seule rue Bisson il y a trois bougnats. Charbougna disaient les Auvergnats pour charbonniers, mot réduit à bougna par les parisiens ou "Charbon y a" crié par les vendeurs ? L’origine du mot semble incertaine.

Mais, dans ce livre, pas d’autre aventure que celle - très importante - qu’est la vie d’un homme dont certaines époques sont liées à l’Histoire : Jean Casses a été soldat pendant la première guerre mondiale, il a vécu durant la seconde, il a dû s’expatrier de sa province natale pour vivre, a-t-il pensé, un peu mieux que son père ; et l’autre partie ressemble à celle de tout homme "fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui" G.P. Sartre - Les mots) : mariage, un enfant -la mère de l’auteur- .

Mais entre 1930 et 1960 cette vie de beaucoup d’hommes c’est 14 heures de travail par jour, sept jours sur sept, on a beau être son patron c’est une vie difficile, que les congés payés de 1936 ne peuvent pas alléger. Outre cette présence permanente il y a les sacs de 50 kilos de charbon à porter sur son dos dans les étages en prenant des précautions pour ne pas salir…

Et les voisins n’ont pas toujours un meilleur sort : madame Simon, la chiffonnière, après avoir récupéré, dans les poubelles, avec son crochet, les vieux tissus, ne gagne guère sa vie. Dans ce quartier, tous sont des pauvres, qu’ils soient, de droite, de gauche, sans opinion politique, leurs qualités humaines font seules la différence : Aberjoin, le communiste, revient après la libération de Paris avec un grade de lieutenant acquis dans la Résistance. Jean aurait bien aimé y participer mais il n’a pas osé faire le premier pas. Madame Simon, les petites filles juives, camarades de jeux d’Henriette ont disparu, le comptoir d’étain a été réquisitionné par les Allemands. Le voisinage cosmopolite avait pourtant vécu une bonne entente : Arméniens, Anatoliens, Grecs, Juifs d’Europe Centrale … Il Y avait "une synagogue au coin de la rue Pali-kao, le temple près de la rue de Belleville, et l’église au bout, juste avant la rue de Ménilmontant".

L’après-guerre n’est pas rose, les chaudières des logements nouveaux demandent de grandes quantités de charbon qu’on fait livrer par des grossistes et le charbon lui même dont on estimait que les réserves pouvaient être utilisées pendant" soixante dix siècles" intéresse de moins en moins. On se retrouve encore entre pays. Mais sont absents ceux qui ont "réussi" : le propriétaire de la Brasserie Lipp, celui du Flore, de la Coupole.

Et on commence à détruire des pâtés de maisons, "pourtant chaque pierre s’était pour ainsi dire insérée dans son inconscient".

D’autres événements jalonnent cette vie : l’assassinat de l’Algérien Abdel, fidèle partenaire des parties de belote, en 1960, et au-delà du quartier, en France, en Europe … Sur fond historique Léonie et Jean se rapprochent de la retraite alors que leur fille Henriette, employée de banque, se marie. Après tant de travail, les Casses ne pourront s’offrir qu’une maison de deux pièces, avec jardin, du côté d’Auxerre !

Léonie meurt vingt et un ans après son mari, en 1988.

Le propos de Marc Tardieu implique une composition très chronologique : 6 parties aux titres transparents : Le rêve aveyronnais, La bataille du charbon par exemple. Chacune datée à son début avec suffisamment d’adresse pour que cette monotonie ne lasse pas. La fin pourtant est moins vivante, le chapitre 39 a peut -être été vite écrit. Ce ne sont que petits défauts.

La postface "à la recherche des derniers bougnats" complète cette histoire et cet historique, en 1999, il en reste si peu ! J’en ai moi-même encore connu un entre 1975 et 1979 rue Popincourt, près du carrefour avec la rue du Chemin-Vert. S’il était presque déjà une curiosité, je le remercie de m’avoir permis d’utiliser ma vieille cheminée pour me réchauffer l’âme et le corps. Comme dans son livre précédent Marc Tardieu a des trouvailles de style, des images frappantes, poétiques : "les êtres comme les objets ont un petit air d’occasion", "les nuits sont sans sommeil, comme des prolongements lumineux du jour". On ne s’étonne pas qu’il se soit intéressé à la poésie. [1]

Un regret : Henriette est présentée dans deux ou trois anecdotes très rapidement, et son fils - le futur auteur - tout juste mentionné. Quels rapports ont-ils eus avec Léonie et Jean Casses ? Un autre livre est peut -être en chantier… Nous le lirons avec plaisir.


Jacqueline Herfray

P.S. Question de curieux : Pourquoi Belleville-Apache n’est-il pas cité parmi les livres précédent ? Marc Tardieu nous donnera-t-il un jour des nouvelles de sa maison d’édition : "Les mille et un jours" ?


Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens, actualisé en février 2014.

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[11987 entretiens avec Jean-Claude Renard - 1993 Péguy.

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Réactions
par Louis PETRIAC - le : 11 mars 2013

Le Bougnat

J’ai moi-même évoqué dans un hommage à un bistrotier de quartier (HISTOIRES D’AVANT) ces charbougnats ou charbonniers du temps d’avant. Une entreprise de conditionnement de charbon : La Charbonnière était implantée à l’endroit dont aujourd’hui on a fait un complexe marchand : Le Millénaire. A la limite même du XVIIIè et d’Aubervilliers.
Dans les années soixante-dix y travaillaient encore ceux que j’ai nommé du nom de fantassins du charbon. On y vivait mal, l’air était pollué… Avant que l’on prenne conscience qu’on avait fait de ce quartier un pôle industriel où tous les abus étaient légitimés !…

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