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Histoire

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Jules Vallès

(1832 - 1885)

Feuilleter L’insurgé de Jules Vallès, c’est vivre l’histoire de Belleville avant et pendant la Commune de Paris, dont il fut un des membres des plus actifs.

À l’annonce de la défaite du Bourget (30 octobre 1870), due pour l’essentiel à un état-major sans envergure aucune, et à la honteuse capitulation de Bazaine à Metz (27 octobre 1870), se manifeste une vive effervescence dans les faubourgs ouvriers devant l’impéritie officielle - la population juge indispensable de prendre en main la situation. La date du 31 octobre 1870 constitue le moment-clé où va se forger le destin de Belleville et ce jusqu’à la fin de la Semaine sanglante (21 au 28 mai 1871).

Jules Vallès participe à la prise de la mairie de Belleville, [1] installée depuis 1847 au 136 rue de Belleville dans une ancienne guinguette l’Île d’Amour qu’il évoque au 1er acte d’une pièce inédite La Commune de Paris qui ne fut publiée qu’en 1970 !
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Jules Vallès - Dessin X.

Mais un siècle plus tôt, à l’automne 1870, Vallès, opposant à un Empire au bord de la catastrophe, note dans L’Insurgé : "En, attendant, Paris s’agite. Il y a une réunion à Belleville. Dans la grande salle des Folies, le peuple s’entasse, frémissant." (page 99). Dès septembre le mouvement se précise : "Nous sommes montés à Belleville, au pas de charge. Nous allons organiser un club." (Page 137). La situation se durcit, fin octobre 1870 : "Vous savez qu’à la mairie de la Villette sont restés des gardes nationaux qui, ce matin, n’ont pas voulu participer au mouvement ? Allons occuper la mairie de la Villette." (page 152)

Le héros de L’insurgé, Jacques Vingtras, double de l’auteur, se campe en ces termes, en ce 1er novembre 1870 : "Une dépêche vient d’arriver. Au maire du 19e. C’est moi le maire puisque j’ai l’écharpe."

La prise de pouvoir par la Commune se prépare au pied de Belleville, témoin cette réunion qu’évoque Vingtras, (page 138) : "Place de la Corderie (entre le Temple et la caserne du Château d’Eau, sur l’emplacement de l’actuelle place de la République), c’est la Révolution qui est
assise sur ces bancs.
"

L’agonie de la Commune : la Semaine sanglante

Saisissante, l’évocation de ce que fut l’agonie de la Commune, durant la Semaine sanglante, 21-28 mai 1871, et dont les presque dix semaines d’existence effective, 19 mars- 28 mai, allaient laisser un souvenir indélébile dans la mémoire prolétarienne, et ce, bien au delà des frontières : "Jeudi (25 mai 1871). Mairie de Belleville. J’ai rejoint Ranvier* à la mairie de Belleville. Il vient de parcourir toute la ligne de défense et il est rentré éreinté. Les obus pleuvent. Le toit en est criblé, le plafond s’écaille sur nous. On amène à chaque minute des arrêtés qu’on veut fusiller." (page 236)

"Samedi (27 mai 1871). Place des Trois Bornes. On est resté debout toute la nuit. À l’aube, Cournet*, Theisz*, Camélinat* et moi, nous sommes redescendus vers Paris. La rue d’Angoulême tient encore. C’est le 209eme, le bataillon dont Camélinat est le porte-drapeau, qui se défend là en désespéré." (page 239)

"Dimanche (28 mai 1871), 5 heures du matin. Nous sommes à la barricade géante qui est au bas de la rue de Belleville, presque devant la salle Favié … Nous répondons par le fusil et le canon au feu terrible dirigé contre nous. Aux fenêtres de la Vielleuse et de toutes les maisons de l’angle, les nôtres ont mis des paillasses dont le ventre fume sous la trouée des projectiles. On entend des cris vers la rue Rebeval. Seraient-ils (les Versaillais) venus par derrière tandis que leur messager détournait l’attention ? Vingtras, allez voir !…

Soudain les croisées se dégarnissent, la digue s’effondre. Le canonnier blond a poussé un cri. Une balle l’a frappé au front et a fait comme un œil entre ses deux yeux bleus." (page 242)

Le combat se prolonge jusqu’à la dernière cartouche.

"À dix pas de nous, un drapeau tricolore !
Il est là, propre, luisant et neuf, ce drapeau, insultant de ses nuances fraîches le nôtre dont les haillons pendent encore de-ci, de-là, roussis, boueux, puants comme des pavots écrasés et flétris."
(page 242) et ce dernier regard de Vingtras, désespéré mais invaincu, sur Paris : "Je viens de passer le ruisseau qui est la frontière. Ils ne m’auront pas ! Et je pourrai être avec le peuple encore si le peuple est rejeté dans la rue et acculé à la bataille.
Je regarde le ciel du côté où je sens Paris. Il est d’un bleu cru, avec des nuées rouges. On dirait une grande blouse inondée de sang
." (page 251)

Au propos de l’écrivain répond ce témoignage : "Dimanche 28 mai. La Commune ne tient plus qu’un quartier délimité par le boulevard de Belleville, les rues du faubourg du Temple, la rue des Trois Bornes, les rues des Trois Couronnes et de la Folie Méricourt. Le combat se prolonge jusqu’à la dernière cartouche. À midi, le dernier coup de fusil part de la dernière barricade, rue Ramponneau. L’ordre règne."

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Dernière position de résistance des insurgés au cimetière du Père-Lachaise - (L’illustration).


À l’appui des relations vécues, saisies dans le feu de l’action, le livre de Lissagaray* La Commune de Paris, ouvrage de référence s’il en est, confirme le récit de Jules Vallès.

À une heure, tout est fini.

"Sur les Buttes-Chaumont, Ranvier qui surveille la défense de ces quartiers a établi trois obusiers, … près du temple de la Sybille. Des canons enfilent la rue de Puebla (aujourd’hui avenue Simon Bolivar) … À la hauteur des carrières d’Amérique, il y a deux batteries de troupiers … (page 305) … Prêtez votre concours au 19e arrondissement, aidez-le à repousser l’ennemi.
Là est votre sécurité… n’attendez pas que Belleville soit lui-même attaqué et Belleville aura encore une fois triomphé. En avant donc. Vive la République !" (texte de la dernière affiche placardée par la Commune).
(page 305)
"la barricade de la rue de Puebla cède vers dix heures. Un marin, resté seul, caché derrière les pavés, attend les Versaillais, décharge son revolver, la hache à la main, bondit sur eux … " (page 308)

… "à quatre heures, les canons des Buttes se taisent faute de munitions ; leurs servants vont rejoindre les tirailleurs des rues Meynadier, Fessart et des Annelets." (page 309)
… à cinq heures Ferré* amène rue Haxo les lignards de la caserne du Prince Eugène. Ils sont casernés dans l’église de Belleville… on accourt sur leur passage et la place des Fêtes se dégarnit. Les Versaillais surviennent, l’occupent…
… "le samedi soir, il n’y a plus aux fédérés que deux morceaux des 11e et 19e.
(page 309)
… "la barricade Pradier est abandonnée !… il faut des hommes rue Rebeval… rue des Prés, on se sauve ! (page 310)
… vers cinq heures, les troupes occupent la barricade de la rue Rebeval, et par la rue Vincent* et le passage du Renard attaquent les dernières barricades de la rue de Paris (aujourd’hui rue de Belleville)…
…"à dix heures,… deux ou trois rues du 20e se débattent encore, entre autres rue Ramponneau. À onze heures, les fédérés n’ont presque plus de canons, les deux tiers de l’armée les entourent. Rue du faubourg du Temple, rue Oberkampf, rue Saint-Maur, rue Parmentier, on veut encore lutter. Il y a là des barricades qu’on ne peut tourner et des maisons qui n’ont pas d’issue. Le dimanche 28 mai, à midi, le dernier coup de canon fédéré part de la rue de Paris que les Versaillais ont prise … la dernière barricade des journées de mai est rue Ramponneau. Pendant un quart d’heure, un seul fédéré la défend. À une heure, tout est fini."


En conclusion à cet abrégé de la semaine d’agonie, il n’est pas inutile de dessiner la figure mythique de Jules Vallès et de quelques uns de ses compagnons qui en furent les acteurs.

Jules Vallez dit Vallès

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Derniére photo de Vallés - Collection Georges Sirot.

Jules Vallez dit Vallès, né au Puy-en-Velay en 1832 et mort à Paris en 1885, connut une jeunesse très pauvre, difficile. Dès le 2 décembre 1851 il s’insurge contre le Coup d’État, partant, contre un régime autoritaire et mercantile qu’il abhorrait. Très vite germe en lui le sens révolutionnaire qui trouvera dans la Commune sa justification. Dès la chute de l’Empire, il fait partie du Comité républicain des vingt arrondissements, et crée au début de 1871 le Cri du Peuple le journal le plus lu au cours des mois suivants. Durant la Commune où il fait partie de la Commission de l’Enseignement aux côtés du peintre Courbet et du chansonnier Jean-Baptiste Clément, l’auteur du Temps des Cerises, il se range dans les rangs de la minorité, soucieuse des enjeux économiques et des impératifs du présent, soucieuse d’organisation, alors que la majorité se réclame de l’esprit de 93 et crée un Comité de Salut Public auquel Vallès ne se rallie pas. Il a, du reste, affirmé : «  J’écrirai sur mon drapeau : "Vivre en travaillant sans ajouter mourir en combattant. Je réclame des outils, point des fusils. Je crie : pas de sang mais du pain. "Je jetterai seulement un cri de justice et tiendrai droite la balance, sans jamais faire descendre les plateaux au souffle d’une colère et sous le poids d’un glaive. »

On retrouve Jules Vallès sur les dernières barricades, présent au moment du danger. Il réussit à s’enfuir, les Versaillais le condamnèrent à mort par contumace ce qui n’empêcha pas le journal Le Gauloisla presse se distingua du reste dans l’ignominie, la délation et les fausses nouvelles) d’affirmer sur la foi d’un témoin que Vallès était mort. Vallès et quelques-uns de ses camarades furent ainsi "fusillés" plusieurs fois dans la personne d’individus qui leur ressemblaient plus ou moins (cité par Lissagaray).

Exilé en Angleterre, Vallès composa sa trilogie : L’enfant, Le bachelier, L’insurgé et, une fois rentré en France après l’amnistie, entreprit de rééditer son Cri du Peuple en 1883. Les Parisiens devaient lui faire, en 1885, de grandioses funérailles.

En guise de conclusion, quelques mots sur des compagnons de Vallès, de ces hommes que les Versaillais traitaient de "canailles" :

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Zéphirin Camélinat (1840 - 1932), monteur en bronze ciseleur, directeur de la Monnaie de Paris durant la Commune.

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Jean-Baptiste Clément* (1836 - 1903), journaliste, poète et chansonnier (Le Temps des Cerises). Élu au Conseil de la Commune, membre de la commission de l’enseignement, condamné à mort par contumace. Exilé en Angleterre - (Photo Nadar).

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Frédéric Cournet (1839 - 1885), cheminot puis commissaire de bord sur un paquebot. Élu au Conseil de la Commune. Tenta d’empêcher le massacre des otages, rue Haxo. Condamné à mort par contumace. Exil à Londres.

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Théophile Ferré (1846 - fusillé à Satory par les Versaillais), clerc d’avoué, délégué à la sûreté générale, une des grandes figures de la Commune.

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Gabriel Ranvier (1828 - 1879), peintre décorateur sur laque, maire du xxe prit la tête, le 18 mars, des bataillons de Belleville. Exil à Londres.

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Albert Theisz (1839 - 1891), ciseleur en bronze, candidat socialiste révolutionnaire à l’Assemblée Nationale, directeur des Postes durant la Commune. Partisan de la Minorité. Exilé à Londres, travailla avec Karl Marx.


Il est malaisé de voir clair dans un écheveau d’événements petits, grands, locaux et nationaux pour ne pas dire internationaux, aussi ce texte prend-t-il appui sur un lieu et un homme, à travers les écrits de Vallès, de Lissagaray, de Bernard Noël et d’autres historiens, attachés à restituer son vrai visage à une période brève dans le temps,considérable de par ses implications et ses prolongements.

Michel Brunet



Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2014.

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[1Ce serait Flourens qui aurait pris la mairie suivant Raoul Dubois, Président des Amis de la Commune - 20e arrondissement

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Réactions
par Julia - le : 18 juin 2013

Jules Vallès

Eloi Valat, auteur d’une trilogie sur la Commune dont le 2ème volet illustre la journée de l’enterrement de Jules Vallès, a peint, en résidence au musée d’Art et d’histoire de la ville de St Denis (qui abrite le musée de la Commune) un triptyque, La Barricade, dont le thème est la dernière barricade de Paris, celle qu’a défendue Vallès rue de Belleville. Photos et quelques détails ici
https://www.facebook.com/events/455640357840629/
Le dernier volet de la trilogie, La Semaine sanglante (éd. Bleu autour) nous donne à suivre, jour par jour, la progression des Versaillais dans Paris jusqu’au
Mur des fédérés, jusqu’à la dernière barricade.

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