La ville des gens : 28/octobre

Spendeurs et misères des gens de théâtre

Ils ont un seul point commun : le théâtre dans le 19e. Regards croisés sur les difficultés du quotidien et le sens de leur démarche…

Hommes et femme de terrain, ils donnent chacun leur sentiment sur la crise du statut des intermittents, définissent le sens qu’ils attribuent à leur pratique quotidienne, et livrent leurs conseils à quelqu’un qui voudrait se lancer.

L’un, Eric Blanchard, est producteur et gestionnaire d’une salle de spectacle, La Petite Scène. Les autres gèrent aussi des théâtres, mais ils sont avant tout portés par leur démarche artistique.

Richard Arselin est directeur du Bouffon Théâtre mais également metteur en scène de la troupe éponyme. Vincent Auvet est directeur de la programmation et metteur en scène au théâtre Darius Milhaud, et Christophe Hay est chargé de la communication dans ce même théâtre.

Quant à Pauline, élève-comédienne au cours Florent, elle est encore en formation.

Leurs réalités et leurs vues sont parfois très différentes, voire divergentes, parfois non.

Les intermittents du spectacle

- Richard Arselin : « Je me sens directement concerné par la fragilité du statut des intermittents. Tant que le statut existe encore, ça va. Le nombre d’heures pour rester intermittent, c’est encore faisable.

Si le statut disparaissait, ce serait catastrophique.
Comme en Angleterre où les acteurs sont obligés de faire un autre métier pour vivre. Faire du théâtre, c’est aussi se former, lire, aller voir des spectacles. Cela demande du temps. C’est un privilège qu’il faut conserver.

Les problèmes que rencontrent les intermittents viennent de l’ouverture au statut à des techniciens, des gens de télévision qui n’ont rien à voir avec le métier, alors que justement le statut a été créé par Gérard Philippe pour les comédiens. »


- Christophe Hay : « J’ai été intermittent pendant 20 ans (je suis aussi chorégraphe et danseur), le statut c’est évidemment un moyen de soutenir la création. C’est pour cela aussi que c’est important de créer un espace comme le théâtre Darius Milhaud.

Comment les artistes peuvent-ils continuer à travailler, à produire et à vivre dans cette société ? c’est tout le problème… »


- Pauline : « Les intermittents, je ne suis pas confrontée à leurs difficultés et je les connais très peu. Au cours Florent, on ne nous en parle pas, peut-être pour ne pas nous décourager. »

- Éric Blanchard : « C’est un statut complexe au point que personne n’est en mesure de l’expliquer. Les charges sont plus lourdes pour l’employeur que dans un les autres secteurs. Nous, nous passons par une société de portage, sinon ce serait trop coûteux. »


Mon conseil à quelqu’un qui veut faire du théâtre…

- Éric Blanchard : « Cela dépend de la personne, si elle veut écrire, jouer. On ne s’improvise pas comédien, on prend un minimum de cours. Il faut au moins 2 ans de formation.

En plus, si la personne écrit et veut jouer ses textes, il lui faut quelqu’un d’extérieur pour la mise en scène. Un spectacle doit avoir ses lumières, ses couleurs, son ambiance : c’est au moins 6 mois de plus. En tout, il faut compter 2 ans et demi. »

Pauline : « Je dirais qu’il faut se poser les bonnes questions, avoir conscience des difficultés qu’on va rencontrer. Tout n’est pas rose dans le milieu et les gens ne sont pas forcément gentils !
 
Le but ne doit pas être d’être célèbre, car dans ce cas, on n’a rien envie de donner, de transmettre.
 
On peut vivre sans être une star, avec peu d’argent en faisant simplement ce qu’on aime. »

- Richard Arselin : « Je lui dirais qu’il fait ce qu’il veut, mais d’y réfléchir à 2 fois ! »

- Christophe Hay : « Il faut être ouvert à toutes les disciplines, être attentif à l’interaction entre le cinéma et le théâtre. Il faut aimer les gens et avoir envie d’aller vers eux. »

- Vincent Auvet : « Qu’il le fasse ! il ne faut pas aller contre ses envies. Il faut rencontrer les bonnes personnes. C’est un métier qui ne s’improvise pas, ça s’apprend tout au long de la vie. Il faut avoir un sens aigu du travail, et une grande exigence de vie. Il faut conserver son rêve originel et savoir à quoi on a envie d’arriver. »


Quel sens cela a-t-il de faire du théâtre aujourd’hui ?

- Éric Blanchard : « Je vais être franc : si on fait du spectacle c’est pour gagner de l’argent. Il y a un moment donné où on doit lancer un artiste, le faire découvrir par quelqu’un d’autre pour qu’il soit pris en charge. Nous restons ses producteurs et nous le suivons sur sa carrière dans d’autres salles.

Un spectacle, c’est permettre la rencontre avec des gens, favoriser le relationnel, avoir une certaine promiscuité avec les autres, chose qui existe de moins en moins de nos jours. Il faut croire au spectacle que l’on produit, sinon il faut passer à autre chose. »

- Richard Arselin : « Faire du théâtre aujourd’hui, c’est une nécessité. Le théâtre ne changera rien au monde, mais il permet la rencontre entre les gens, il y a un échange avec le public, une histoire racontée, c’est charnel, organique, on écoute une œuvre.

Le public entre dans l’univers du créateur, son imaginaire est mis à disposition. Si le théâtre existe encore, c’est que le public y trouve quelque chose. »

- Vincent Auvet : « Le théâtre estle miroir de la société. Au même titre que l’Histoire, c’est un repère, un espace de réflexion. Le jour où la société n’aura plus de miroir, nous disparaîtrons.

Mais cela doit rester un spectacle. Et le spectacle, c’est chaque fois un moment unique, privilégié qui ne se reproduira plus jamais. Il y a 2 entités qui se rencontrent : les artistes et le public. Ils sont tous différents, mais pour un instant ils ne forment plus qu’un. »

- Christophe Hay : « Le théâtre est un lieu où les gens expriment leur acte créatif. On donne à l’autre ce qu’on est capable de donner. Cela montre que chacun peut avoir envie d’échange et de partage.

Dans notre société c’est important. C’est fondamental pour vivre ensemble. C’est un espace politique… »

- Vincent Auvet : « …Et poétique ! »


Propos recueillis par Leila Hafed - Octobre 2006