La ville des gens : 17/octobre
Il était une fois…

Le souhait du petit oiseau



Il était une fois, un petit oiseau perché sur la branche la plus haute de l’arbre le plus grand de la forêt. Il chantait gaiement en regardant au loin, sur une colline, le château où vivait une princesse, une très belle princesse.

Une étrange idée lui vint. Il cessa de chanter et soupira : « comme j’aimerais être un prince amoureux d’une princesse ! » Un enchanteur qui passait par-là, caché dans un souffle de vent, l’entendit et trouva, venant d’un petit oiseau, le souhait amusant. Il le réalisa aussitôt sans trop y réfléchir et poursuivit son chemin.

Immédiatement dans la grande allée qui menait au château, apparut un jeune et beau prince chevauchant un magnifique cheval blanc. Le ciel était bleu, le soleil brillait, tout n’était que joie et bonheur ; dans le cœur du prince se déployait un merveilleux arc-en-ciel.

Le cavalier, habillé élégamment de velours grenat, fut bientôt dans la cour du château. Il descendit de sa monture avec aisance et d’une souple démarche alla jusqu’à l’entrée. Il frappa à deux reprises à la solide porte en chêne doublée de délicates volutes en fer forgé. N’était-il pas le prince ?

Quelques instants passèrent puis une ravissante voix féminine s’inquiéta de cette visite inattendue : « C’est le prince » dit le prince d’un ton chaleureux. Il pensait, une princesse espère toujours l’arrivée de son prince.

Quand la porte s’ouvrit toute grande, il ne fut nullement surpris et d’un pas discret, bien que résolu, il entra. N’était-il pas le prince ? Un charmant spectacle s’offrit à sa vue éblouie : à demi allongée sur un sofa recouvert de satin blanc se trouvait la princesse aux cheveux d’or vêtue d’une longue robe de soie bleue. Elle était occupée à terminer le dernier d’une ribambelle de petits coussins multicolores qui, l’entourant, lui faisaient un merveilleux écrin.

Le prince la salua avec beaucoup de grâce et vint s’asseoir tout naturellement près d’elle. N’était-il pas le prince ? Mais il ne remarqua pas le léger mouvement de recul de la princesse, celle-ci, lui jetant un bref regard, acheva calmement son coussin et resta silencieuse.

Prenant cela pour un encouragement, le prince, avec confiance, lança son compliment comme il se doit en pareille circonstance : « Les oiseaux de l’amour, dit-il, ont leurs nids dans vos yeux et vos yeux sont plus beaux que le plus beau des bleus. Vos lèvres sont plus roses que le plus beau des roses et vos cheveux plus blonds que le plus beau des blonds ».

Le prince s’estimait fascinant, la princesse cependant gardait toujours le silence. Le prince se crut ainsi autorisé à continuer : « Belle princesse » et sa voix se fit plus chaude, « Belle princesse, je vous aime et n’aimerai jamais que vous ». La princesse tourna son joli visage vers le prince et le regarda intensément. Quelqu’un de plus fin que le prince aurait été inquiet, lui s’imagina soudain au paradis. La princesse ne pouvait maintenant que se jeter dans ses bras ! Mais rien de semblable ne se produisit. Il entendit une voix tranquille lui répondre : « Je ne vous aime pas ! »

Indifférente, la princesse commença de rassembler ses coussins dans un grand panier. L’ombre d’un doute assombrit un instant le prince et dans le ciel de son cœur, fit pâlir légèrement l’arc-en-ciel. Pourtant n’était-il pas le prince ? Délibérément il ignora la réponse et il reprit d’une voix remplie de passion contenue : « Princesse, je brûle pour vous d’un amour infini ».

Cette fois-ci la princesse se leva et posa son panier sur un guéridon, puis se retournant vivement fit face au prince : « Prince, articula-t-elle, je ne vous aime pas ; comprenez-moi, je ne vous aime pas ! »

Le prince dont le cœur battait la chamade devant tant de beauté répondit, voulant convaincre et se convaincre : « Vous ne m’aimez pas, ce n’est pas possible, c’est même impossible, vous ne pouvez pas ne pas m’aimer ! » Son discours lui paraissait irréfutable, il continua : « Le prince aime la princesse et la princesse aime le prince, c’est ainsi dans tous les contes depuis que le monde est monde, il ne peut en être autrement ».

Ceci étant dit, il la regarda tendrement en souriant, il avait retrouvé sa sérénité et l’éclat de son arc-en-ciel. « Vous croyez cela ? » dit la princesse, « Eh bien vous vous trompez car moi je ne vous aime pas ! »

Le prince se sentit tout à coup mal à l’aise. Quelque chose n’allait plus, quelque chose lui échappait. L’Amour d’un prince pouvait t-il ne pas suffire ? L’arc-en-ciel s’estompait quelque peu, il insista malgré tout. N’était-il pas le prince ?

« Nous avons forcément, dit-il, des points communs, vous aimez comme moi les promenades sentimentales au clair de lune ?

- Pas du tout ! » rétorqua la princesse.

- « Ou bien encore, reprit-il, les longues soirées à deux au coin du feu ?

- Absolument pas ! » fut la réponse.

- Alors, les chansons d’amour du temps jadis ?

- Non !

- La poésie et l’aquarelle ?

- Rien de tout cela ! »

Le prince perdait peu à peu de son assurance, son arc-en-ciel palissait d’avantage. La princesse d’un ton ironique lui détailla ce qu’elle aimait. En l’écoutant l’abîme s’ouvrait dans l’âme du prince. Ce qui lui arrivait était incompréhensible, son arc-en-ciel avait totalement disparu ? Mais enfin, se disait le prince, comment, comment pouvait-on ignorer l’amour d’un prince à ce point !

Il fit bravement une dernière tentative, un prince se le devait. Alors, s’étant mis à genoux, il s’écria d’une voix pitoyable : « Je suis follement amoureux de vous, nous nous marierons, nous serons heureux et nous aurons beaucoup d’enfants ; c’est inévitable, inéluctable, c’est dans la nature des choses »…

Il s’arrêta net car les yeux de la princesse jetaient des éclairs. « Non ! Et non ! » cria- t-elle cependant avec distinction : « je ne vous aimerai jamais, jamais, jamais ! »

Le prince comprit que les princesses n’étaient plus ce qu’elles étaient. Le prince se releva lentement en proie à un profond désespoir, il sortit du château dont la porte claqua derrière lui mais sans vulgarité.

Trébuchant à chaque pas, le prince traversa la cour et avec une extrême difficulté, se remit à cheval. Le ciel était gris, le soleil absent, le vent venait du Nord. Il frissonna. À quoi bon être amoureux d’une princesse, pensait-il ?… Quelle erreur avait-il fait et à quel moment ?

Sans trop savoir comment, il se retrouva sur le chemin de la forêt. Il pouvait y voir le plus grand des arbres. Une étrange idée lui vint, il soupira, comme j’aimerais être un petit oiseau perché sur la plus haute branche de cet arbre…

Toujours aussi distrait, l’enchanteur qui rentrait chez lui l’entendit. Il trouva venant d’un prince le souhait amusant. « Qu’il en soit ainsi ! » dit-il.

Immédiatement sur la plus haute branche du grand arbre, un petit oiseau se retrouva perché. Il prit son vol après avoir chanté comme jamais un petit oiseau ne chanta. Le petit oiseau disparut dans un ciel redevenu bleu où le soleil brillait. Il y avait sur une lointaine colline un château où demeurait une belle princesse qui attendait ainsi que toutes les princesses, le prince charmant.

Le souhait du petit oiseau était bien sur incomplet ; en amour il faut être deux, mais on ne peut reprocher à un petit oiseau de n’y avoir songé. On peut aimer et ne pas être aimé, les choses de la vie sont ainsi faites.

Les dames et les messieurs souvent n’y songent également pas.

Les enchanteurs ne peuvent rien pour eux.

C’est peut-être aussi bien comme cela…


Louis-Bernard PAPIN


Article mis en ligne en 2010 par Salvatore Ursini. Actualisé en octobre 2013.

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