La ville des gens : 24/juin
(Suite 9)

Mémoires d’un épicier de la Villette

Domestique et ravi de l’être

François-Ernest Michaut (QL 103 et précédents) poursuit la relation des souvenirs de son enfance rurale confrontant sa préadolescence aux difficultés de temps incertains. Formé par les exploiteurs et les directeurs de conscience du conformisme social du XIXe siècle, le jeune Michaut continue de se satisfaire presque de son sort d’enfant exploité. [1].

Arrivé au domicile de mes parents je trouve ma mère inquiète de mon retour précipité et qui me croit malade. Je lui raconte mon affaire. Elle est ennuyée au sujet de ce que va dire Madame Petit et pense qu’elle va venir me rechercher car je n’ai pas prévenu de mon départ.

Je cache à ma mère que je serai debout demain à 4 heures pour attendre sur la route les hommes et les porteurs afin de savoir si j’avais quelque chance d’être embauché. Mon idée était bonne. Un fils Lamet avait une entreprise de décombres au Parc. À cette époque, on commençait sur les chantiers à 6 heures du matin ; je m’y rends et trouve le contremaître qui me propose de commencer tout de suite. Comme je l’avertissais que je n’avais pas de hotte, ni apporté à manger, il me répondit qu’il trouverait un arrangement.

J’ai donc trouvé du travail sans perdre de temps. En absence de hotte, on faisait la chaîne avec une brouette : deux gamins pour les charger, deux hommes pour les rouler. Le soir, maman m’a questionné pour savoir comme était le travail. Le docteur est venu et a déclaré ne rien savoir de l’histoire de la chambre et que la cuisinière avait, seule, pris l’initiative de m’en chasser. Je lui lançais : « Eh bien ! Qu’elle y reste ! ». Et l’hiver passa ainsi.

Fais toujours un mois avec nous et nous verrons si tu peux tenir l’emploi !

J’appris que ma sœur Cécile avait trouvé une place de domestique à Moret-sur-Loing auprès d’une pharmacienne. Je lui écrivis que j’avais quitté Monsieur Petit et lui en donnais les raisons tout en la sollicitant pour une place de palefrenier. En effet, j’avais repris les extractions pénibles sur le chantier du Parc, mais la tâche se révélait sans avenir.

Voici qu’au printemps, ma sœur nous arrive en me prévenant qu’elle m’emmène avec elle pour me présenter à ses maîtres parce qu’elle s’y trouve bien. Je suis ravi, surtout que je vais, pour la première fois, faire le voyage en chemin de fer pour me rendre auprès des écuries du pharmacien et soigner une jument docile. Nous prîmes le train vers 16 heures pour aller dans la vallée de Moret où j’allais passer sept années de ma jeunesse, y faire souche jusqu’à avoir un petit-fils, Paul, qui héritera de la maison de son père décédé en 1922. Mais ceci est une autre histoire.

Au cours de la présentation, Madame Perret la pharmacienne me trouve un peu petit en taille. Me voilà une fois de plus vexé dans mon amour-propre ; je lui relate mon passage à la ferme, ma capacité à soigner les bêtes ainsi que ma courte campagne chez le Docteur Petit auprès duquel j’ai œuvré au bon état et du cheval et de la voiture. Cela fit rire mon nouveau patron qui me proposa : « Fais toujours un mois avec nous et nous verrons si tu peux tenir l’emploi ! ».

J’avais l’air d’un « Breton du Finistère » au milieu de toutes ces élégantes…

Immédiatement, je suis installé et le soir je suis présenté aux dames et demoiselles de la maisonnée. J’avais l’air d’un « Breton du Finistère » au milieu de toutes ces élégantes, mais je n’avais pas honte me préparant, en cas d’attaques ironiques, à répondre par des répliques cinglantes.

Le lendemain, je suis à l’œuvre et fais connaissance avec Cocotte, une jument docile, belle et grasse qui partage son écurie avec une jolie chèvre poitevine aux longs poils blancs. Un laborantin de l’officine me passe les consignes. Je fais le pansage de Cocotte et en profite pour continuer avec la chèvre qui, n’ayant pas l’habitude de la brosse, bêle en me donnant des coups de tête. C’est un jeu sans méchanceté. Je passais en revue le matériel, les harnais et la voiture.Tout cela manquait d’entretien régulier et je me chargeais de tout faire briller. J’y mettais de l’ardeur, ne voulant pas être remercié après un mois d’essai. Je faisais quelque peu la risée du gars du laboratoire de la pharmacie, mon accoutrement campagnard ne correspondant pas à celui d’un ouvrier de la ville. Ceux-ci portent généralement la blouse bleue bouffante s’attachant dans le dos.

J’avais aussi un copain chez le potard, un petit gaillard bossu qui avait la charge de tenir la pharmacie et qui me dit : « Je te mettrais à la coule quand tu auras un moment. » Il avait un sobriquet : Beuricard, potard en pharmacie, tambour de ville et colleur d’affiches.

Au début, je ne voyais que très peu Monsieur Perret qui était souvent retenu à Paris. J’allais le conduire à la gare le matin et le rechercher le soir au train de minuit.Les premiers voyages, il ne me laissait pas tenir les guides. Mais lorsqu’il comprit que je connaissais les chevaux, il me laissa faire et Cocotte, très douce, se laissa conduire sans barguigner.

J’étais parfaitement satisfait, presque heureux de mon sort.

Ces dames et demoiselles ayant vu que je m’intéressais au jardinage me confièrent l’entretien des plantes. Ce n’était pas un potager mais un jardin d’agrément avec deux pelouses, un gazon, des arbustes et quelques massifs de fleurs. Une allée en faisait le tour et une autre traversait les pelouses, garnie de grève de rivière. Chaque jour je donnais un coup de râteau et ramassais les feuilles mortes en automne. Aussi ces dames me faisaient elles compliment pour les soins que je donnais à leur séjour favori. Il y avait, à côté de l’écurie, une vulgaire cabane où logeaient les poules et dont la vétusté jurait avec le reste de l’environnement. Je résolus de construire un poulailler plus moderne ; un fois terminé je constatais le résultat avec satisfaction. Ces dames étaient enchantées de mon initiative ainsi me chargèrent-elles de petits travaux en me félicitant de compliments qui m’allaient droit au cœur. J’étais parfaitement satisfait, presque heureux de mon sort.

Inquiet pourtant, quand arriva la fin du mois je demandais à Monsieur Perret s’il me gardait.
- Pourquoi me demandes-tu cela ?
- Parce que vous ne m’avez engagé que pour un essai d’un mois.
Il me prit par l’oreille et me dit :
- Continue de bien travailler en prenant des initiatives et l’on fera quelque chose de toi.

… Jeune coq, je me pavanais comme un paon.

Tranquillisé, j’étais certain de demeurer en place et ne ralentis pas les petits services et les multiples corvées qui m’étaient allouées. J’étais à la maison le seul domestique mâle et à notre table, à l’office, s’activaient une demi-douzaine de femmes et de demoiselles : la cuisinière cordon bleu, ma sœur – la femme de chambre, Adèle – la couturière, Désirée – la lingère, Eugénie – la femme de peine pour les gros ouvrages, Marie.

Et moi, parmi tout ce personnel féminin, le jeune coq, je me pavanais comme un paon.


(À suivre…)


François-Ernest MICHAUT (°1862 - +1949).

PCC/ Marie et Jean-François DECRAENE.

- Le site internet de Jean François Decraene : Histoire Populaire

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Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en juin 2014.

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