La ville des gens : 30/juin
Exposition coloniale de 1931

Le retour du refoulé


Exposition coloniale 1931 à Paris - Photo familiale MAA.

En avril prochain, le président de la République Jacques Chirac procédera à l’inauguration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, installée au Palais de la Porte dorée à Paris, là même où fut organisée l’exposition coloniale de 1931. Un palais qui devint en 1960, le Musée des Arts africains et océaniens, et qui a fermé ses portes avec la création du musée du Quai Branly. Conçue comme « un élément majeur de la cohésion sociale et républicaine », cette Cité sera chargée, nous dit-on, « de rassembler, sauvegarder, mettre en valeur et rendre accessible les éléments relatifs à l’histoire de l’immigration en France, notamment depuis le XIXe siècle et contribuer ainsi à la reconnaissance des parcours d’intégration des populations immigrées dans la société française et faire évoluer les regards et les mentalités sur l’immigration en France ».

Des intentions louables à priori et des objectifs affichés plutôt ambitieux. Malheureusement, le choix de ce lieu constitue un scandale à plus d’un titre. D’abord, il symbolise l’une des pages les plus sombres de la période coloniale. Il faut quand même rappeler que les expositions coloniales n’étaient autres que des manifestations à la gloire de l’empire colonial français, où les colonisés qui étaient au mieux des indigènes, et au pire des « bons sauvages », étaient exhibés comme des bêtes de foire pour amuser les Européens. Pour ce qui concerne notamment les populations venues d’Afrique noire, il s’agissait de véritables zoos humains, c’est-à-dire des exhibitions racistes, comme l’ont très bien décrits les historiens Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire [1]. Par ailleurs, l’immigration qui a commencé de façon massive en France au début du XIXe siècle, ne concerne pas seulement les anciennes colonies françaises. Les premières vagues d’immigrations étaient constituées de paysans allemands fuyant la misère et la crise économique !

Exposition coloniale 1931 à Paris - Photo familiale MAA.

En assimilant ainsi l’histoire de l’immigration à l’histoire de la colonisation, l’on contribue un peu plus à brouiller les choses. Sauf à considérer que l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, la Pologne, l’Espagne ou encore le Portugal, premiers pays d’immigration vers la France, bien avant l’Afrique noire et le Maghreb, constituaient alors des colonies françaises. Ce qui en l’occurrence n’est pas vrai. Il s’agit donc, plus vraisemblablement, d’une façon détournée d’affirmer consciemment ou inconsciemment, que, dorénavant, seuls sont considérés comme immigrés – terme à la connotation quasi exclusivement négative désormais - tous les non-européens qui ont été colonisés ? Car en effet, ce lieu dont la symbolique est pour le moins dégradante et négative, ne concerne que les anciennes colonies françaises. Pis, lorsqu’on sait que les stéréotypes, les clichés, les préjugés et la stigmatisation à l’encontre des immigrés issus des anciennes colonies, tirent en grande partie leur force de la période coloniale, ’on comprend mal comment un tel lieu peut contribuer à déconstruire toute l’imagerie héritée de la colonisation.

Rappelons d’ailleurs qu’en France, toutes les vagues d’immigration ont été confrontées à ces problèmes de stéréotypes, de discrimination, de xénophobie et de racisme. Ce fut notamment le cas en France pour les Italiens, les Belges, les Polonais, les Juifs d’Europe centrale, les Espagnols ou encore les Portugais. L’on ne peut donc pas laisser entendre que le Palais de la Porte dorée, qui est un vestige de la colonisation, est le meilleur moyen de contribuer à la reconnaissance de la place des étrangers dans l’Histoire commune de France. N’était-il pas plus sain d’investir un nouveau lieu, avec une symbolique neutre, voire plus positive, afin de contribuer patiemment à ce long travail de déconstruction des imageries liés à tous les immigrés sans exception, d’où qu’ils viennent ? Car en définitive, le choix du Palais de la Porte dorée semble plutôt révélateur d’un retour du refoulé, sur fond de regrets de la puissance perdue de l’empire colonial français.


Christian EBOULÉ

Photos : Exposition coloniale de 1931 à Paris
Photos familiales MAA.


Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en juin 2014.

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