La ville des gens : 13/novembre
Résistance à l’effacement des sites

Mémoire de la gare de Ménilmontant


Rédaction révisée au 3 juillet 2016




Entre 1968 et 1971 disparut du paysage ménilmontanais son bâtiment de gare de chemin de fer sur la ligne de la Petite Ceinture. Il est depuis lors remplacé par la barre d’immeubles modernes des 7-11, rue de la Mare. De l’ensemble de la station, il ne reste aujourd’hui, d’une part, que la passerelle de cette rue qui, enjambant les voies, reliait les deux quais maintenant démolis au profit des herbes et arbustes sauvages ; d’autre part, la grille d’accès et les marches descendant vers le quai de l’est à partir de ladite rue. En vérité, la fermeture de la gare de Ménilmontant a suivi le déclin de la Petite Ceinture.


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Gare de Ménilmontant (1900) - « Début du xxe siècle : vue générale de la station en direction de Belleville. On voit les immeubles de la rue des Couronnes. »



L’idée d’un chemin de fer ceinturant la capitale et reliant entre elles les lignes partant des six gares de Paris a germé dès le début des années 1840. On y voyait deux avantages : le trafic de marchandises et les utilités stratégiques militaires.

Le décret de mise en chantier de la ligne circulaire, baptisée Petite Ceinture (un projet de Grande Ceinture existait par ailleurs), est signé le 10 décembre 1851. Les travaux commencent au mois de janvier suivant. Dans la partie nord du Grand Paris, ils partent du quartier des Batignolles.

Le percement du tunnel sous la butte de Chaumont (le parc actuel des Buttes n’était pas encore aménagé) se termine en 1853. Dès le début de 1854, des trains roulent des frontières de la commune des Batignolles à celles d’Ivry mais le bouclage total de la ceinture autour de Paris ne s’opère qu’en 1866 (l’administration de la ligne est assurée par un syndicat de cinq compagnies ferroviaires).


Histoire de la Petite Ceinture à grand train
D’abord limitée au trafic des marchandises, la Petite Ceinture s’ouvre au transport des voyageurs en juillet 1862, de façon partielle, et, de manière élargie, en 1868.

Si le succès de cette ligne est vif auprès des Parisiens de 1870 à 1900 (elle transporte 39 millions de personnes par an à cette dernière date), l’ouverture du Métropolitain au service public va ensuite entraîner son déclin non moins rapide (14 millions de voyageurs en 1913, 6 millions en 1927).

Dès 1918, le Syndicat supprime le service aux voyageurs sur le tronçon d’Auteuil et l’arrêt total, à l’étude à compter de 1931, est décidé en juillet 1934 (le train circulaire étant alors remplacé par des autobus PC roulant sur les boulevards des maréchaux).

Le transport des marchandises se trouvait lui-même déficitaire aux lendemains de la guerre et n’a déjà pratiquement plus de clients en 1927. Réduite après 1945 à un pur rôle logistique (transport de matériaux d’entretien et de personnels) pour la SNCF, devenue l’administratrice du réseau, la Petite Ceinture voit sa continuité rompue dans les années 1960-1970 avec la fermeture de plusieurs tronçons.

La dépose des rails par secteurs suivra au cours de la décennie suivante ; c’est d’elle qu’a résulté la « Coulée verte » du 12e arrondissement, très agréable promenade dont personne, à ce qu’il semble, ne regrette l’existence.

Depuis 1990, les rails et les tunnels subsistants ne sont plus entretenus qu’à minimum pour certains besoins logistiques de la SNCF. La RATP s’en est servi lors de ses travaux pour les nouvelles lignes de métro Météor et EOL, vers 1993. Seules quelques gares qui, telle celle de Courcelles-Levallois [1], se situent à la croisée avec d’autres lignes demeurent debout et actives.

Des associations parisiennes amoureuses des trains et la société du Réseau ferré de France essaient de sauver les vestiges de voie tombant en friche et, occasionnellement, font circuler une locomotive attelée à quelques voitures. La Mairie de Paris, pendant une dizaine d’années, ne fut pas hostile à la réutilisation de certains segments pour la circulation de tramways-navettes périurbains qui, on le sait aujourd’hui, ont finalement emprunté d’autres pistes.


Visite commentée de la station

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« La station vue du quai est en 1904. Sur le quai opposé, le bâtiment de la gare. »

Ménilmontant était la station intermédiaire entre les gares de Belleville-La Villette, au Nord, et de Charonne, au Sud. A la différence de la première, elle ne se situait pas sur un nœud de trafic. C’est pourquoi elle avait une moindre envergure. Tout comme Charonne.

Le long du quai est s’arrêtaient les trains qui avaient traversé le parc des Buttes-Chaumont puis la colline bellevilloise sous un tunnel continu débouchant à l’air au-dessous de la rue des Couronnes. Ceux qui venaient de Charonne après être passés eux-aussi par des tunnels – plusieurs à la suite dont le dernier se terminait sous la rue de Ménilmontant – stoppaient donc devant le quai opposé, celui sur lequel s’ouvrait le bâtiment de la gare.

A l’origine, soit en 1862, celui-ci n’était qu’un baraquement précaire. Il fut remplacé par une construction solide en 1868, à la date de la généralisation du trafic voyageurs, l’inauguration officielle ayant lieu le 1er mai.

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« Hall d’accueil et billetterie de la gare de Ménilmontant en 1906. »

L’accès au hall d’accueil et à la billetterie se faisait par une cour ouverte à l’ouest. On y arrivait par la rue de la Mare ou encore par un chemin de desserte spécialement tracé entre la rue de Ménilmontant et celle des Couronnes. Cette venelle, opportunément appelée passage de la Station-de-Ménilmontant, a vu son usage condamné vers 1970. Le segment qui en subsiste de nos jours, du côté de Ménilmontant, fermé à la rue par une grille, est envahi de végétation sauvage.

« 1904 : la passerelle de la rue de la Mare ; l'entrée des bureaux de la gare est cachée, au deuxième plan du cliché, par des arbres ; au fond, l'escalier montant vers la rue des Couronnes. »

Pour les cinéphiles, rappelons que ce passage apparaît dans une des scènes du début du film « Jules et Jim » (1962), de François Truffaut, parcouru par Jim. D’ailleurs, la gare et son environnement, pittoresque en diable, ont beaucoup inspiré les cinéastes – et le font encore. La passerelle reliant les deux quais et les segments de la rue de la Mare est notamment empruntée par les personnages du « Rififi chez les hommes » (Jules Dassin, 1955) et de « La Métamorphose des cloportes » (Pierre Granier-Deferre, 1965).

La construction primitive ne comprenait pas de garde-fous. Des enfants des pauvres maisons environnantes s’étant livrés au jeu stupide de jeter des pierres et des ordures sur les trains à partir d’elle, le Syndicat en fit construire une autre en 1881, bordée cette fois de grilles. C’est celle qui se trouve encore en place.

Quelques faits de la chronique

  • 16 juillet 1863. Sous le tunnel de Belleville, un voyageur de l’impériale tombe sur la voie en voulant retenir son chapeau. Les agents ménilmontanais de la Petite Ceinture retrouvèrent l’accidenté debout et appuyé à la paroi, sans blessures apparentes. Mais la personne mourut peu de semaines après des conséquences de sa chute malencontreuse.
  • 30 octobre 1863. Une avarie de machine immobilise une demi-heure à Ménilmontant le train qui ramenait l’impératrice Eugénie à Saint-Cloud.
  • 1865. Des agents de service doivent dégager, à Ménilmontant , un jeune homme pris violemment à partie par des voyous dans un compartiment de train. Les problèmes de la sécurité des voyageurs s’étant vite posés, le syndicat fit armer ses agents roulants.
  • Pendant le siège de Paris par les armées allemandes, en 1870-1871, Ménilmontant voit passer de fréquents convois militaires. La Petite Ceinture ne connaîtra pas une pareille mobilisation lors de la Première Guerre mondiale.
  • Février 1874. Des sondages y ayant détecté des anomalies, la voûte du tunnel de Belleville est refaite sur 345 mètres vers Ménilmontant.
  • 10 juin 1883. Nouvelle collision sous le tunnel entre un train de bestiaux et un train de voyageurs. Une douzaine de blessés. Une partie des bêtes s’enfuirent de wagons défoncés. Elles furent vite rattrapées dans l’enceinte ferroviaire à l’exception d’un bœuf qui réussit à gagner les rues adjacentes après avoir frappé d’un coup de corne un agent de la station de Ménilmontant. L’animal, renversant d’autres personnes sur son passage, prolongea sa cavale jusqu’à la porte de Charenton ! où l’on dut abattre le bovin, devenu fou furieux.
  • 23 septembre 1888. Un voyageur tombe de l’impériale du train n° 59 tout près de la gare de Ménilmontant. Il est grièvement blessé à la tête (d’après « Le Postillon du 20e » ).
  • 2 août 1893. Une erreur de signalisation est à l’origine d’une collision sous le tunnel de Charonne (côté Ménilmontant). Un blessé grave parmi les voyageurs.
  • 1898-1899. Réfection de la voie sous les tunnels nord et sud.
  • Lors des combats de la Libération de Paris, des opérations militaires se déroulèrent le 23 août 1944 à la station de Ménilmontant. A ce moment, les forces armées américano-françaises se rapprochent de Paris ; les troupes allemandes cherchent à quitter la capitale en emportant avec elles le plus d’équipements et de fournitures possible.

Dans ce cadre, les FTP du réseau Nord-Libération et un groupe local dit (de la rue) Piat eurent l’information qu’un train de la Petite Ceinture était gardé par un bataillon de soldats de la Wehrmacht sous le tunnel de la rue de Ménilmontant. Descendant sur les voies, ils enfumèrent celui-ci pour forcer les soldats allemands à la fuite car il ne pouvait s’agir de mener une bataille rangée qui aurait conduit à l’explosion des munitions et à un écroulement de terrain catastrophique pour le quartier.

Ils firent prisonniers les soldats du Reich asphyxiés et se saisirent du train. Las, le résultat de la bataille fut décevant. Pas d’armes dans les wagons mais seulement, selon le témoignage du chef résistant Albert Ouzoulias (in « Les Bataillons de la jeunesse ou les Fils de la nuit » ), des uniformes d’hiver et des chaussures.


Maxime Braquet


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« Le site de la gare vue du pont de la rue des Couronnes vers 1905. Au plan médian, la passerelle de la rue de la Mare ; au fond, les immeubles de la rue de Ménilmontant. »


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« Longeant à l’ouest les voies ferrées, le passage de la Station de Ménilmontant, qui commence à la rue éponyme. Cliché de 1907. »


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« Sur l’emplacement de l’ancien bâtiment de la gare de Ménilmontant, les immeubles de la rue de la Mare en cours de construction en 1972. » - Crédit : Daniel Boudinet-Ministère de la Culture


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« 1994 : la tranchée du chemin de fer vue de la rue de Ménilmontant. » - Crédit : Maxime Braquet


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« Vestiges de l’accès au quai est de la gare par la rue de la Mare. Photo de 2003. » Crédit : Maxime Braquet


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