La ville des gens : 27/janvier

Les foyers africains


Source de profit pour les uns
et de solidarité pour les autres

Dans le 11e arrondissement,le foyer de la rue Fontaine-au-Roi a lutté pour trouver une solution au ménage. Le foyer dégradé de la rue Bisson du 20e, après une longue bataille, attend sa réhabilitation. Dans le 19e, celui de la rue de Romainville se défend contre les dealers qui trafiquent en son sein et rue de Lorraine, foyer particulièrement actif, la discussion tourne autour de l’installation d’un digicode ou de la remise de clé à chaque résident. Chaque foyer africain à Paris a ses propres problèmes à régler. Mais tous ont un point commun, le prix exorbitant du logement.

Les foyers ont été créés à la fin des années 60 dans le but de fournir un logement aux travailleurs célibataires immigrés peu fortunés, mais comme solution provisoire ne devant pas excéder deux ans. Dans les faits, presque tous y vivent toute la durée de leur séjour en France jusqu’à leur retraite et leur retour au pays. Mais aujourd’hui, les places manquent et les demandeurs sont très nombreux sur les listes d’attente. Les associations gestionnaires les plus importantes sont l’ALPI, la SUNDIATA, la FRP et la SONACOTRA qui est la seule à faire des efforts en matière d’équipement et d’entretien. Les foyers les plus peuplés sont ceux situés près d’un métro, car en général les immigrés travaillent très tôt le matin ou tard le soir et ils doivent se déplacer plusieurs fois par jour. Les secteurs qui les emploient sont l’hôtellerie, la restauration, le nettoyage et les travailleurs ont des horaires décousus.

La chambre de quatre mètres sur trois pour deux personnes coûte 2552 frs par mois et un studio individuel de huit mètres carrés 1527 frs. Rajoutons cinq mètres carrés pour la kitchenette et le wc collectifs et le tout fait une surface de vingt -cinq mètres carrés pour un loyer de 4079 frs, sans doute le loyer mensuel en logement social le plus cher de Paris. Si les résidents des foyers n’avaient pas manifesté leur réprobation sur la hausse régulière du loyer, il serait actuellement autour de 6000 francs. Un immigré africain n’a de toute façon d’autre solution que de se loger en foyer, et ce, si par bonheur on lui donne une place. Vu qu’il gagne entre six et sept mille francs par mois ou se retrouve facilement au chômage, il lui est de toute façon impossible d’acquérir une location en appartement particulier et de faire venir sa famille. Au foyer Lorraine par exemple, lequel héberge officiellement cent quatre vingt trois résidents, le directeur a une liste de cent personnes qui attendent qu’un lit se libère.

Le résident en foyer n’a pas de statut de locataire et n’a donc ni contrat de location ni bail. Ce qui fait qu’il peut être mis à la porte du jour au lendemain et que les banques ne lui accordent pas l’ouverture d’un compte. Il doit toucher son salaire à la Poste ou à la banque de son employeur.

Il est arrivé que des associations gestionnaires ne remplissent pas leur devoir d’entretien ou de réparation et ne fassent qu’encaisser des loyers de plus en plus élevés, ce qui a engendré des conflits, des grèves de paiement des loyers et finalement un règlement au tribunal. Pour être moins isolés, les résidents ont alors décidé de se faire représenter par des comités qui régissent désormais la vie collective du foyer. Pour tous les travailleurs immigrés vivant en foyer, qui cotisent à la Sécurité Sociale et paient leurs impôts, la fédération des comités de résidents mise en place et le COPAF (Collectif pour l’Avenir des Foyers) réclament maintenant aux pouvoirs publics une existence légale, des droits, et aux associations gestionnaires l’instauration d’un véritable échange et une libre consultation des comptes.

JPEG - 62.7 koLe résident, qui a souvent une grande famille à charge, essaie d’aller en Afrique tous les ans ou tous les deux ans mais cela peut aller jusqu’à plusieurs années et la communication se fait par lettres ou cassettes car peu de villages sont équipés en téléphone. Dieng Allasan, sénégalais, est un des trois délégués du foyer Lorraine. Cuisinier dans une cantine universitaire, il est venu en France en 74 pour éviter la famine à sa famille. Il dit avoir tout essayé pour avoir un logement en HLM afin de faire venir sa femme et ses enfants mais qu’on a toujours trouvé des prétextes de refus et aujourd’hui, résigné, il n’en a plus envie. "Mon projet est d’essayer d’économiser pour construire une petite maison et envoyer les enfants à l’école pour qu’ils aient une meilleure vie que leur père. C’est pourquoi je me forme ici à différentes compétences techniques qui pourront servir là-bas dans l’avenir. En attendant, quand je rentre au village, ils me considèrent un peu comme un étranger. Ce n’est pas une vie, ça, mais que faire ?" Son unique soulagement, il le trouve au foyer. "Heureusement, ici nous vivons en solidarité. Sénégalais, Maliens ou Mauritaniens, nous sommes tous les mêmes. Nous mangeons ensemble, nous prions ensemble, nous nous serrons les coudes et nous nous aidons financièrement s’il le faut."

Autre habitant du foyer Lorraine, Diagara Bouki, est venu à Paris il y a trente ans. Après avoir travaillé longtemps à la Général Motors, il a été licencié. Il est maintenant interprète-médiateur à la bibliothèque municipale de la rue Petit et en ressent une certaine fierté. "Au début, il y avait des tensions entre le personnel et les enfants africains. On a créé un soutien scolaire et des rencontres avec les parents français et immigrés. Et ça marche !"

Le foyer est un lieu communautaire, convivial, reconstitué comme un village. La cantine, tenue par des femmes africaines qui habitent ailleurs, est ouverte à tout le monde du matin au soir. On peut avoir un maffé, un poulet yassa ou tout autre plat africain avec son accompagnement pour un prix modeste fixé par le comité de résidents.

Le FAS (Fonds d’Action Social) est l’organisme qui subventionne les projets déposés par les résidents après étude, bien que les sommes allouées soient chaque année de plus en plus réduites. Cet argent sert entre autre à financer les fêtes ou les cours d’alphabétisation et de français. Le foyer Lorraine a voulu rompre avec l’image de ghetto qu’on attribue en général aux foyers. Il a fait un travail considérable avec les associations et les services sociaux du 19e pour faire connaître et partager un peu la vie du foyer et la culture africaine. C’est dans ce but que l’association J2P a été créée avec les habitants du quartier, instaurant ateliers de théâtre, de photo et de couture. À la dernière journée portes ouvertes, cinquante repas ont été servi aux Français, ce qui est un évènement.

Mais qui sait que chaque mois, le travailleur résident investit un peu d’argent dans un projet de développement qui concerne son village ou un groupement de villages ? La collecte finance la construction de puits, de forages, d’une école, l’amélioration des moyens agricoles et de l’irrigation, la création d’un dispensaire ou d’une maternité. C’est ainsi qu’une ONG, le GRDR (groupe de recherche et de réalisation de développement rural) a été fondée par des coopérants français et des migrants de la vallée du fleuve Sénégal. L’objectif des étudiants agronomes qui viennent au foyer donner des cours du soir est de parfaire le savoir des résidents en matière d’agriculture, d’hydrologie et d’élevage pour leur avenir en Afrique.

Pour faire connaître leurs foyers et leurs projets aux habitants de leurs quartiers et aux pouvoirs publics, ils veulent être reconnus et pas seulement considérés comme des travailleurs faciles à exploiter ou des "Africains noirs qui effectuent des trafics et des marchés économiques parallèles en tous genres, transmetteurs de sida et de tuberculose dans la société, vivant dans des foyers où la surconsommation en eau, gaz et électricité dû au nombre élevés de résidents est un risque en perte de vies humaines … ", comme le souligne un rapport gouvernemental toujours en vigueur . [1]


Laure Pouget


Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens, actualisé en janvier 2014.

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