La ville des gens : 30/janvier
Un voyage à restreindre l’appétit du gourmand :

Le mémorial du martyr juif inconnu


La communauté humaine fête dans le recueillement le cinquante-cinquième anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination, installés dans les pays occupés et sur son propre territoire par l’Allemagne nazie. Le gourmet des villages de Ménilmontant et de Belleville descend des hauteurs de ses quartiers enfin libres pour se souvenir.

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Photothèque du Centre de Documentation Juive Contemporaine.



Collections

Le musée attenant à la crypte où brûle la flamme du souvenir est impressionnant par son dépouillement. Le sujet traité coupe l’appétit au gourmand le plus goinfre qui plonge dans l’abîme de l’horreur en constatant que l’homme est capable de la même imagination pour l’assouvissement de ses instincts destructeurs les plus ignobles que pour la satisfaction du plaisir des sens.

Le pèlerin se recueille dans la crypte du souvenir et honore les inconnus et les noms de ceux qui ont disparu dans un des plus grands massacres programmé de l’Histoire Universelle. L’épicurien, ouvert à l’autre par nature conviviale et philosophique, est au centre exemplaire des résultats de l’intolérance et du totalitarisme institutionnel issus d’un esprit politique assoiffé d’asservissement, réduisant un ou plusieurs groupes de l’humanité à l’état de serviteurs et d’esclaves. "Un peuple n’est pas identique à un autre peuple. Cherchons à favoriser dans la communauté les éléments reconnus supérieurs et à en accroître leur nombre […]. Le fort est plus fort quand il reste seul.[…] La présence d’hommes de race inférieure fut une condition primordiale pour la formation de la civilisation supérieure ; ils compensaient la pénurie de ressources matérielles sans lesquelles on ne peut concevoir la possibilité d’un progrès. Il est certain que la première civilisation humaine s’appuya moins sur l’animal que sur l’emploi d’hommes de race inférieure. C’est seulement après la réduction en esclavage de races vaincues qu’un sort semblable atteignit les animaux, et non pas inversement… (A. Hitler in Mein KampfN.E.L.-1934 [1] )". Mis en application dès 1933 en Allemagne, ces principes aboutissent à la plus grande entreprise criminelle de masse qui mène les Tsiganes, une partie des Slaves et la plupart des Juifs d’Europe et des pays occupés, des centres de regroupements aux camps de concentration transformés en industries d’extermination.

Le visiteur suit, sur une des rares maquettes au monde reconstituant le ghetto de Varsovie, la révolte d’une poignée d’hommes refusant de se laisser mourir dans l’avilissement. Les Nazis avaient regroupé la totalité de la population juive de la capitale polonaise dans un espace réduit de 1,72 km², sans charbon, sans gaz, avec de l’énergie électrique par intermittence. 400 000 personnes, 30% de la population de Varsovie, survivent sur 2,4% du territoire de la cité. La ration alimentaire imposée est de 184 cal/jour alors que la ration de survie nécessaire à chaque individu est de 1200 cal/jour. Les enfants, qui sont parvenus à échapper à la vigilance des gardiens pour rapporter quelques pommes de terre aux affamés, sont dépouillés par les soldats allemands et renvoyés à leur famille, le ventre et les mains vides. Entre le 22 juillet et le 12 septembre 1942, 265 000 hommes, femmes et enfants sont déportés à Tréblinka. Conscients, après tant d’humiliation et de restrictions, du sort qui les attend, la famine ou la déportation, quelques groupes de jeunes survivants se soulèvent le 19 avril 1943 pour des combats qui dureront 27 jours. Ceux qui capitulent sont exterminés puis le ghetto est incendié et dynamité à partir du 16 mai 1943.

Les libérateurs américains et soviétiques découvrent l’horreur de la Shoah (catastrophe) que tout le monde taisait alors que les théoriciens nazis de la "Solution Finale", Adolph Hitler, Alfred Rosenberg, Heinrich Himmler et Martin Bormann avaient clairement annoncé leurs intentions et que les informations circulaient, depuis la "Nuit de Cristal" du 9 novembre 1938, sur ce qui attendait les Juifs et sur ce qui se passait réellement dans les "Konzentrationlager" ouverts depuis 1933.

Le puriste conserve le terme hébreu de Shoah pour désigner le génocide frappant les Juifs de l’Europe envahie par la barbarie. Il le préfère à celui d’holocauste utilisé par les médias depuis la diffusion du feuilleton télévisé et du film américain : " … Très en deçà du désastre, il remplace l’horreur concrète par les clichés de l’horreur, il ramène l’inimaginable au déjà-vu du mélodrame, aux recettes éprouvées des catastrophes en tape-à-l’œil. [ … ] La mièvrerie s’annexe un domaine jusqu’alors irréductible, et augmente encore l’étendue de sa domination. Tyrannie du pathos qui soumet au régime sentimental Love Story et les camps de la mort .. . (Alain Finkielkraut, in L’avenir d’une négation, réflexion sur la question du génocide, Seuil - 1982)". Le vocable d’holocauste remplace, dans le langage courant, au bénéfice des révisionnistes, le mot de génocide qui lui, évoque exactement l’objet de ce qui était véritablement programmé. Celui qui recherche le document impartial et brut se soumet à la vision insoutenable de "Nuit et Brouillard", film d’archives et de témoignages restitués par Alain Resnais.

Impressionné, le visiteur espère que la raison et la sagesse humaniste l’emporteront sur l’obscurantisme, l’intolérance et la domination pour éviter de nouveaux ethnocides. Il admire les survivants qui, après tant de crimes, ont encore la force d’âme de témoigner sans haïr et de prier pour leurs bourreaux. Pardonne mais n’oublie pas !

J’ai rêvé tellement fort de toi,
J’ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu’il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres
D’être cent fois plus ombre que l’ombre
D’être l’ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée.
Dernier poème de Robert Desnos - 1945.

Jeûne et abstinence

Le jeûne se pratique depuis la plus haute antiquité dans la plupart des civilisations. Nécessité alimentaire de purger le corps des excès de nourritures et de boissons prises au cours des fêtes rythmant le cycle des saisons, la pratique est codifiée par les prêtres des différentes religions. Signe de deuil, de mortification ou de purification, le jeûne est commun aux pratiquants des trois principales religions du monothéiste.

Les Juifs se préparent au Yom Kippour, ou plutôt Yom hakkippourîm, "jour des expiations", par un jeûne de purification et de pénitence, dix jours après Roch Hachana, la nouvelle année. De l’Exil au Retour, de nombreux jeûnes sont instaurés ; ils marquent les deuils de la communauté frappée par les exterminateurs. Le 17 tamouz commémore la destruction du premier Temple, le 9 Ab, la destruction du second. Chaque événement fatal est marqué par une période de jeûne, tel l’assassinat de Guedalia (ou Godolias) à Miçpa après la première dispersion et le sac de Jérusalem par Nabuchodonosor. Le jeûne de trois jours effectué par Esther marque plutôt la joie d’avoir échappé, le 13 Adar à l’extermination programmée par Aman, vizir d’Assuérus, roi des Mèdes et des Perses. Il prépare à la fête de Purim du 14 Adar.

Les Chrétiens instaurent le Carême, période de quarante jours de jeûne commémorant le séjour de réflexion de Jésus au désert. Ce temps est mis à profit pour préparer les catéchumènes à la réception du baptême et l’ensemble de la communauté ecclésiale à l’événement de Pâques, à la Résurrection du Christ sauveur.

Le Prophète Mohammed, que la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui, institue le jeûne du Ramadan en l’an II de l’Hégire. Il veut restaurer un usage que les Juifs et les Chrétiens pratiquent avec laxisme, trouvant toujours des accommodements avec le Ciel pour transgresser, plus ou moins, la privation de nourriture. Pendant toute la durée du mois sacré, commémorant les Révélations qu’Allah inspiraient à son Prophète, il est interdit aux fidèles d’absorber toute nourriture, solide ou liquide, du lever au coucher du soleil.
(El Coran, Il, 181, 183).

L’athée peut suivre, de temps en temps, les préceptes de l’une ou l’autre des religions du Livre. Son corps et son esprit en tireront profit pour une meilleure santé. Parfois, à quelque chose, malheur est bon !


Jean-François Decraene
In Guide gourmand des musées de Paris
© Pierre Horay - Octobre 2000.


Anne Grynberg, Les camps de la honte : les internés juifs des camps français, 1939- 1944, Découverte - 1991.
François de Fontette, Histoire de l’antisémitisme, P.U.F. Que Sais-je N°2039 - 1993.
David Rousset, L’Univers concentrationnaire, Hachette-Pluriel - 1993.
Richard Nollier, La Solution finale, Flammarion - 1966.
Herbert Mac Golphin Shelton, Le Jeûne, Courrier du Livre - 1983.
Pierre Vanderlinden, Un Carême autrement, témoignage d’un cheminement spirituel, Cerf - 1993.
Ya’qoub Roty, Le Jeûne du Ramadan expliqué aux enfants et aux adolescents, Vivre l’Islam en Occident - 1985.
Marinette, Carême gourmand, Lacour - 1993.


Centre de Documentation Juive Contemporaine
Mémorial du Martyr Juif Inconnu
17, rue Geoffroy l’Asnier Paris 17e



Poésie
Ici un homme, sans cesse, se remémore
tous les noms des vivants
dès qu’il en oublie un
un autre homme, plus haut situé sur le versant,
l’accueille en sa mémoire
ainsi, toujours, quelqu’un veille en amont.

Francis COFFINET

Francis Coffinet habite notre arrondissement. Il nous a fait le plaisir de nous envoyer quelques-uns de ses poèmes, dont celui-ci édité par la TILV : "Je t’ai construit dans la promesse". Dans le prochain Quartiers Libres vous en saurez plus…



Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2014.

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