La ville des gens : 7/janvier
Noms de rues

Michel Tagrine


Au début de la rue Georges Lardennois qui serpente sur l’une des collines des Buttes-Chaumont se dresse une escalier. Le 14 juin 1997 a été inaugurée par la municipalité du 19e une plaque de rue portant le nom de Michel Tagrine, jeune résistant, mort lors de la Libération de Paris. C’était un compagnon de Résistance de Madeleine Riffaud qui en parle dans son livre on l’appelait Rainer [1] L’A.N.A.C.R. [2] du 19e nous a confié le texte du discours prononcé par Manuel Bridier [3] lors de cette inauguration :


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Michel Tagrine - Photo X.

"Pour toi, Michel, cette rue discrète et poétique.

Il a bien le droit de porter ton nom cet escalier qui monte vers la lumière et déjà presque la campagne, aux derniers étages de Paris, mais qui prend racine dans ses faubourgs où tu as mené ton dernier combat. Étudiant au conservatoire, violoniste brillant, plein de grands rêves et d’avenir, tu as rejoint, dès les premiers mois de l’occupation, ceux qui ont lutté contre l’occupant et ses complices de Vichy. Tu as d’abord été le responsable pour les grandes écoles de ce Front National, l’une des grandes organisations de la Résistance, dont nous éprouvons aujourd’hui tant de peine et tant de dégoût à voir le nom usurpé par ceux-là même qui représentent, avec la même haine, le même mépris des hommes, ce contre quoi nous avons alors combattu. Michel Tagrine a participé à toutes les tâches des résistants actifs, depuis la distribution des tracts, l’édition et la diffusion des journaux clandestins, les faux papiers, les tickets de ravitaillement pour les militants illégaux, jusqu’à la lutte armée, au sein des F.T.P., les Francs-Tireurs et Partisans Français, organisation militaire de notre Front National : actions de sabotage contre les moyens de transports et le matériel de l’occupant, opérations offensives et punitives contre les militaires ennemis et les mercenaires de la trahison.

Certains, aujourd’hui, nous demandent parfois si cela était nécessaire, à quoi cela servait -il ? La presse et les radios au service de l’Allemagne nazie, les bourreaux des camps de concentration et les incendiaires de villages, nous traitaient alors de "terroristes". Mais notre guerre a été une guerre propre, une guerre juste, jamais aveugle mais ciblée contre l’occupant et contre ses complices. L’efficacité de cette lutte, à l’échelle nationale, a été reconnue par le Général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, qui a rendu hommage au soutien que les maquisards et les partisans ont apporté aux armées de la libération. Ici même, à Paris et dans sa région, l’action menée par la résistance, malgré une répression croissante et des pertes sévères parmi nos meilleurs camarades, a seule rendu possible cette insurrection d’août 1944 que le monde entier a salué comme la victoire du courage sur la résignation, la victoire des hommes libres sur les robots de la tyrannie. Paris libéré par Paris, selon le mot célèbre du Général de Gaulle.

Quelques jours à peine avant cette grande insurrection, Michel Tagrine et son camarade Pierre Weill, étudiants au lycée Condorcet, effectuaient une mission de liaison à travers la capitale. Interpellés au carrefour Richelieu Drouot par des miliciens français de Darnand, ils ont ouvert le feu pour se dégager. Pierre Weill a été tué sur le coup. Blessé au bras, Michel Tagrine est parvenu à s’enfuir. Soigné sommairement il a rejoint quelques jours plus tard le groupe F.T.P. du 19e arrondissement. Je le revois encore, avec son bras en écharpe, à notre P.C., installé dans la cour du centre de tri postal derrière la mairie du 19e.

L’insurrection était partout victorieuse. Le 24 au soir, les chars de la deuxième D.B., dont certains, montés par d’anciens combattants de la République Espagnole, portant les noms des grandes batailles de la guerre d’Espagne, étaient arrivés devant Notre-Dame. Sur la rive gauche on fêtait déjà la victoire, mais il y avait encore quelques noyaux de résistance nazie et particulièrement celui de la caserne de la place de la République, dont les canons et les mitrailleuses prenaient en enfilade les rues adjacentes.

Dans la nuit du 24 au 25 août, des barricades sont dressées autour de la place pour assiéger l’adversaire. Les groupes F.T.P. des arrondissements du nord et de l’est de Paris progressent vers la caserne, par les toits et les immeubles mitoyens.

Michel Tagrine, gêné par sa blessure des jours précédents, avait accompli jusque-là des missions d’estafette entre les positions tenues par les groupes de combat. Dans l’après-midi, lorsque l’attaque est lancée, il ne peut plus tenir. Il demande à participer à l’assaut final.

Promu lieutenant sur le champ de bataille par le capitaine Fenestrel, il s’élance avec ses camarades dans la rue du faubourg du Temple. C’est là qu’il est tué, d’une balle explosive en pleine tête, horriblement défiguré, l’un des derniers morts de la bataille de la République, le dernier peut-être, quelques temps avant que la garnison allemande ne capitule non sans une dernière traîtrise, en ouvrant le feu sur la place après avoir hissé les drapeaux blancs aux fenêtres.

Toi, Michel Tagrine, tu n’auras pas vu la victoire pour laquelle tu as tant œuvré. Tu n’auras pas suivi tes camarades, incorporés dans l’armée de la libération, jusqu’aux rives du Rhin et du Danube, où tant d’autres ont disparu.

Pour nous leur absence n’est pas seulement un objet de douleur, elle est une incitation à ne jamais désespérer, à ne jamais renoncer aux causes que l’on croit justes, celles de la dignité de l’homme, celle de la liberté, par delà les difficultés et quelquefois les erreurs.

Car ce n’est pas seulement le passé qui nous réunit ce matin. L’hommage que nous te rendons, Michel Tagrine, n’est pas seulement le respect que l’on doit au mort, mais l’admiration pour ta vie, ton courage, ta ténacité, pour l’espoir vivant que tu as porté - que nous conservons avec toi."


Manuel Bridier



Rue Michel Tagrine, Paris 19e

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Photos Agathe Didier.


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Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2014.

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