La ville des gens : 19/mai
Noms de rues : rue Mélingue, Paris 19ème…

Etienne Mélingue : le mousquetaire de Belleville


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Fanfan la Tulipe.

Au temps où Belleville n’était encore qu’un village, la rue Levert qui grimpe dans le 20e arrondissement, de la rue des Cascades à la rue de Belleville, était une charmante venelle de campagne où fleurissaient le lilas et le chèvrefeuille. C’est là que demeurait, sous le Second Empire, au numéro 22, le Mousquetaire de Belleville, acteur à triomphes : du Boulevard du temple qui électrisa tout le public parisien pendant prés de quarante ans.

Étienne Mélingue naît à Caen en 1807, rue du Port. Son père est douanier, homme bon et rude, que le théâtre ne séduit guère et qui soulage sa colère à coups de bâton le jour où il surprend son fils se contorsionnant sur les tréteaux des comédiens. Pourtant à quinze ans, il a déjà trouvé sa voie.

JPEG - 60.2 koBrillant élève de l’école de dessin et de sculpture de la ville, il part pour Paris avec une recommandation de son maître pour un de ses amis qui dirige les travaux de sculpture de l’église de la Madeleine. Il est embauché mais parvient à se faire engager, grâce à un jeune homme nommé Hippolyte Tisserand qui se destine au théâtre (il fera partie plus tard de la troupe du Gymnase) au théâtre de la rue Lesdiguières … C’est un début. Après quelques expériences malheureuses, qui frisent de très près le drame, tous deux se retrouveront au théâtre de Belleville, le plus apprécié et le plus populaire des théâtres de banlieue.


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Théâtre de Belleville.

Il obtient un engagement pour les Antilles et commence à être bien connu sous le nom de Gustave. Hélas ! le théâtre de Fort-Royal ferme ses portes. Il se fait alors miniaturiste et se constitue un pécule intéressant en peignant des portraits miniature sur… des boules de billard sciées en tranches … Il peut alors rentrer en France et se fait engager au théâtre de Rouen, par l’intermédiaire d’un jeune rouennais rencontré aux Antilles.

La grande Marie Dorval vient jouer à Rouen. Elle apprécie le grand et beau jeune homme, aux yeux noirs magnifiques, à la superbe chevelure noire abondante et bouclée, au nez droit de proportions parfaites, aux mains fines et éloquentes, qui interprète tous les grands rôles du répertoire romantique (Hernani, la Tour de Nesle, Henri III). Elle lui donne une lettre de recommandation pour Alexandre Dumas afin qu’il le présente au directeur du Théâtre de la Porte Saint- Martin. Étienne-Gustave plaît à Dumas, impressionné par sa superbe plastique.

Alors va commencer une extraordinaire aventure.

Harel, directeur de la Porte-Saint-Martin que le grand comédien Bocage vient de quitter, est de très mauvaise humeur et reçoit très mal Dumas. Mais d’Épagny, auteur de la nouvelle pièce de la Porte Saint- Martin, et la grande comédienne, Mademoiselle Georges (qui vivait avec Harel) prennent Étienne-Gustave sous leur protection. Le jour où l’acteur Delaistre qui tient le rôle de Buridan dans La Tour de Nesle est pris de malaise avant la représentation et ne peut assumer son rôle, ils présentent Mélingue qui avait incarné le personnage au théâtre de Rouen. Harel, qui l’embrasserait presque de soulagement, fait annoncer "Monsieur Mélingue, acteur de Rouen, présent par hasard dans les coulisses, qui accepte de remplacer sans répétition, avec son propre costume". Mélingue en effet l’a fait apporter. À la fin de la représentation, la salle tremble sous les applaudissements et les ovations d’un public enthousiasmé par ce Buridan superbe et si près du rôle. Il est engagé.

Après cet immense succès inattendu de l’année 1832, il connaît une suite ininterrompue de triomphes. La seule annonce de son nom fait gonfler les recettes ; tous les théâtres le sollicitent et les plus grands dramaturges veulent lui confier leurs premiers rôles. Adulé du public, il subjugue dès son entrée en scène par sa prestance, sa verve incomparable, le soin qu’il apporte à la confection de ses costumes, son art consommé du maquillage. Grâce à lui, le costume de théâtre évolue vers plus de vérité et d’esthétique.

En 1840, il épouse Théodorine Thiesset, actrice très appréciée des théâtres du Boulevard puis du Théâtre Français où Victor Hugo la fait engager. Ils interprètent ensemble plusieurs créations, Mélingue confectionnant les costumes de sa femme. Hélas ! Harel est en déconfiture ! Le couple Mélingue se retrouve à l’Ambigu. Ovations incessantes durant les deux cents représentations de Lazare le Pâtre, drame de Bouchardy,puis ce sera avec le même succès La Jeunesse des Mousquetaires de Dumas. Lorsqu’ est érigé pour Dumas le Théâtre Historique, sur le boulevard du Temple, l’édifice est inauguré en février 1847 avec les douze actes de La Reine Margot. La pièce débute à 18h30 et s’achève… à l’aube le lendemain. Il incarne le Roi de Navarre ; c’est de nouveau un triomphe. De même avec Monte-Cristo où il incarne, en plus du rôle-titre, divers autres personnages.

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La Reine Margot.

Le public trépigne, la critique exulte…

Lorsqu’en 1850 disparaît le Théâtre Historique dont le luxe effarant est un gouffre, il retourne à Saint-Martin, repris en de nouvelles mains. Sa popularité va alors atteindre son paroxysme dans les rôles de Salvator Rosa, de Ferdinand Dugué, pièce dans laquelle il incarne le rôle d’un jeune peintre sauvant sa vie en exécutant le portrait d’un des brigands chargés de le supprimer, et dans Benvenuto Cellini, de Paul Meurice, où il sculpte chaque soir sur scène une statuette d’Hébé. On s’arrache esquisses et statuettes. On fait la queue des heures durant devant le théâtre et l’étranger même afflue. Le public trépigne, la critique exulte : "De tant de créations du grand acteur, celle-ci est encore la plus complète, la plus magnifique … on a cru voir ressusciter Benvenuto en personne". L’empereur Napoléon III, qui a vu la pièce avec l’impératrice, réclame une statuette et lui envoie une tabatière en or marquée de diamants à son chiffre.

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Etienne Mélingue.

Sans se laisser griser par ce cortège de succès, il rentre paisiblement après la dernière représentation, par le dernier omnibus. De Château-d’Eau, il va jusqu’au terminus, l’Église de Belleville … où l’attend son chat qui l’escorte jusqu’à la maison. Il soupe avec sa femme qui a tôt quitté la carrière pour s’occuper de ses trois enfants. Frédérick Fèvre, qui est parfois son partenaire et demeure tout près, l’accompagne certains soirs ; une vie paisible, sans scandale ni rumeur, tout entière consacrée à son métier. Il est toujours au théâtre trois heures avant la représentation pour revoir attitudes, costume, soigner son maquillage. En 1852, il joue Fanfan la Tulipe où il est étonnant de vérité. De même avec Schamyl où il manque de peu à un mystérieux attentat pourtant bien organisé ; Lagardère dans Le Bossu d’après Paul Féval, où il démontre avec feu ses remarquables connaissances d’escrimeur ; Lucrèce Borgia de Victor Hugo où il apparaît en somptueux costume de velours vert avec barbe et chevelure blondes. La recette de Lucrèce s’élève à 7300 F. Le 5 février 1870, Paul Meurice, ami intime de Hugo, lui écrit : "éclatant, immense, unique,… effrayant". Il est adoré du Boulevard. On le salue au passage, les titis s’arrachent le cigare du Mousquetaire qu’il jette parfois sur le trottoir avant d’entrer au théâtre.

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Fanfan la Tulipe.

Il paraîtra pour la dernière fois sur scène dans Ruy BIas de Victor Hugo. Cette tragédie en vers l’incommode. Il y tient pourtant avec superbe le rôle de Don Cesar de Bazan, malgré ses soixante ans passés. Il est resté mince et garde toute son élégance. Mais il a décidé de ne plus jamais jouer. Il se consacre à la sculpture et à la peinture avec ses fils, eux-mêmes artistes peintres.

Il meurt dans sa maison de Belleville, d’une indisposition qu’on croyait légère, au printemps de 1875, dans les bras de son fils Gaston. Par testament, ce fils laissera la maison de Belleville à la Ville de Paris, à charge pour elle d’y accueillir des enfants de familles en difficulté des 19e et 20e arrondissements. C’est pourquoi on peut voir, au 22 de la rue Levert, une plaque : Fondation Mélingue.

Mireille PEDAUGE

Documents archives de Mireille Pedauge


Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en décembre 2013.

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