La ville des gens : 3/octobre
De quoi aurons-nous l’air…

Sans oiseaux ?


Tous les matins il vient se pavaner devant ma fenêtre. Il jette un coup d’œil de mon côté. C’est un beau brun. Un jour viendra où j’oserai ouvrir. Ce jour est proche, oui, je le sais. À ma fenêtre, je lui dirai : "Salut, beau merle !"

Eux, les merles, ils sont toujours là, l’hiver, l’été, merle, merlette et puis merleau, un couple mais aussi deux, parfois, dans le paulonia ou le marronnier.

Des catastrophes se produisent : il y a quelques années un jeune, arrivé sur le sol de la cour, ne pouvait plus s’élever, les enfants, en voulant le prendre le faisaient fuir vers tous les refuges possibles, dans les entrées des deux immeubles, entre la grosse caisse de géranium et le mur où le chat de l’époque ne pouvait pas l’attraper, c’est là que j’ai pu, moi, le saisir. Perplexité : sauvé des chats et des enfants qu’allait il devenir ? Sur le rebord d’une fenêtre du deuxième étage je l’ai installé dans un ancien panier à salade bien fixé, ouverture disponible, sans savoir ce qui se passerait. Il était dix-sept heures environ. Peu de temps après, à l’autre bout de l’appartement, la quatrième fenêtre étant ouverte , donc à onze mètres de la précédente : chahut indescriptible, comme si un oiseau était entré dans la pièce ; en réalité le merle mâle était sur la barre d’appui et faisait une séance d’intimidation vers l’intérieur, vers le chat qui à trois mètres de là, sur une banquette, couché, mais en train de regarder l’oiseau, semblait hypnotisé. Et pendant ce temps, à l’autre fenêtre, la merlette voletait autour du panier qui protégeait son petit.

Le lendemain matin, à sept heures, plus d’oisillon dans la cage ouverte improvisée, aucun chat n’avait pu l’attraper, on ne l’a pas revu.

Les autres permanents sont bien sûr les moineaux qui, au mois de mars, viennent prendre les bouts de laine mohair proposés pour leurs nids.

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Photo : J.H.


Les pigeons sont nombreux et s’installent sous les modillons des deux toits, ils maculent le sol de leurs déjections et font parfois tomber deux demi- coquilles d’œuf vides, impossible de voir les jeunes et leur évolution. Le matin après le merle, ils roucoulent doucement dans l’aube naissante. Quelques-uns meurent lentement dans la cour, prostrés, sans que les chats les inquiètent.

Récemment j’en ai libéré un d’un filet de ficelle accroché à un morceau de zinc qu’il avait dû arracher en se débattant, qu’il trainait avec lui parce que le poids l’empêchait de s’envoler, ses pattes étant liées l’une à l’autre et au zinc ; j’ai mis du temps à tout couper ! Il s’est laissé faire, immobile et palpitant dans ma main gauche et … pfuitt…, il est allé se poser sur une gouttière.

Quelques tourterelles turques font escale, collier blanc et poitrail rose, s’en vont, reviennent ; ce sont certainement des voisines.

Les étourneaux ne sont que de passage. En novembre ils s’installent : ou ils sifflent longuement des trains imaginaires, ou ils lancent quelques injonctions d’agent de la circulation, ou bien encore ils démarrent des roulades de crécelle très rapidement interrompues. En mars disparaissent leurs plumes brunes ocellées de confettis d’arc-en-ciel, leurs becs longs, leurs queues courtes.

Et l’on attend les hirondelles entre le premier et le douze mai environ, il y a douze ans elles cherchaient encore sous tous ces toits une H.L.M. à leur convenance, mais elles ont trouvé maintenant asile ailleurs, elles se contentent de tourner, le soir, autour de l’immeuble de deux étages, comme dans un cirque. Puis elles s’enfuient, en vols nerveux et saccadés, et reviennent en piqué vers leur piste.

Quelques corbeaux, depuis peu, se perchent régulièrement sur une des plus hautes cheminées, la préférée des pies jacassantes qui s’y reposent de temps en temps, les nids ne sont pas loin. Un jour : apparition, disparition d’une mésange bleue égarée.

Des mouettes survolent, très haut, l’hiver, l’immeuble, mais elles acceptent de venir se nourrir de pain en petites bandes bruyantes et vite effarouchées au sixième étage.

Et miracle ! Autrefois, au tout début, il y a douze ans, un oiseau de nuit semblait lancer à l’écho son cri solitaire. Les constructions récentes ont dû avoir raison de son obstination à vouloir être dans la nature, à Paris.

Car c’est dans Paris, parmi des immeubles anciens populaires, sans petit parc privé, au-dessus d’une cour d’une quarantaine de mètres carrés, que j’ai pu retrouver tous ces faiseurs de rêves, de légèreté et de bonheur. C’est dans Paris que nous venons de découvrir, au pignon de notre immeuble, le vingt-septième couple de faucons crécelles répertoriés dans la capitale.

Ils devront bientôt, comme le hibou, comme moi et tant d’autres, s’exiler pour cause de destruction d’immeubles anciens en bon état, pour le profit de quelques-uns, pour de l’argent. Lourds, lourds, de quoi aurons-nous l’air sans oiseaux ?


J.H.


Article mis en ligne en 2011 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en septembre 2013.

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