La ville des gens : 30/janvier

D’une plaque de rue… suite


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Si le premier article, paru dans le numéro 78-79, p. 6, s’attachait au descriptif du paysage bellevillois, le texte qui va suivre précisera un certain nombre de points : qui est ce personnage, à quelle époque a-t-il vécu, à quelle date la voie a-t-elle été ouverte et dans quelles circonstances ?

Le premier paragraphe sera consacré aux propriétaires, nombreux sur le terrain et qui ont beaucoup contribué à la transformation du lieu.

Être propriétaire

"Je veux que le jour de ma fête, la St Honoré, à Baden, vous voyiez en moi un ami quitte de toutes dettes et … propriétaire" le plus beau titre de gloire sous Louis-Philippe (d’une lettre de Balzac à Eveline Hanska, 12 décembre 1845). L’abondance des noms de propriétaires sur les plaques de nos rues répond à une urbanisation progressive, passage de la "campagne" à la ville, partant d’une évolution de l’habitat. Correspondant à un enrichissement des classes moyennes, elle est une affirmation du droit de propriété. Eugène Labiche, dans sa comédie : L’avare en gants jaunes, 1858, avalise cette tendance : "j’avoue ma faiblesse… j’aime à signer mes quittances ! c’est même le seul instant de bonheur que j’aie dans le trimestre… tout le reste m’ennuie."

La rue DELOUVAIN est la première, en 1825 à perpétuer le nom d’un propriétaire, possesseur d’une guinguette "L’ile d’Amour", il eut le privilège d’être le maire provisoire de Belleville et d’abriter la mairie dans son établissement, (emplacement de la sortie du métro Jourdain).

DE 1835 à 1850, l’extension de la commune voit apparaître les noms de BOURET, KUZNER, PÉTIN 1835, LAUZIN, LEGRAND 1840, VINCENT, PRADIER, WATTIEAUX 1843, HASSART 1844, JANDELLE 1846, EMELIE, HENAIN 1850, ce qui coïncide avec la politique de l’ère Louis-Philipparde résumée dans la célèbre formule de Guizot : " Enrichissez-vous".

Possession et embourgeoisement vont de paire, sans oublier la spéculation comme en témoigne encore Labiche dans la comédie sus-dite : "… Mais il a de vastes terrains, parfaitement situés dans une rue qu’on va percer… il ne le sait pas encore, peut-être se décidera-t-il à donner ces terrains en échange de la dot… son terrain vaudra 200 F. le mètre au moins… je lui en fais offrir 30 par un notaire, puis 25 par un autre, et demain on ne lui proposera que 20." Tel est entre 1850 et 1870, le credo du Second-Empire qui suscite un mouvement d’urbanisation intense, l’immobilier participant de l’essor industriel et capitaliste engendré par le régime. Témoins les rues BINDER, DUBOIS 1856, aujourd’hui André DUBOIS, MICHAUD, MATHIS 1858, LEPAGE, FESSART, FLORENTINE, HENRY 1859, LEMIERE, DESGRAIS 1860, GOIX 1867, HIVER 1868, TANDOU 1869.

La période 1875-.1914 est le théâtre d’un mouvement immobilier continu qui dépouille Belleville, à tout jamais, de son caractère villageois pour revêtir l’apparence que nous lui connaissons.

Ouvertes dans ce laps de temps, les rues : Léon GIRARD 1875, LABOIS ROUILLON 1877, GAUTHIER 1880, JUMEAU 1884, HAUTERIVE 1889, impasse SAINT VINCENT, POTTIER, MENGUY 1890, AMALIA 1892, SANZEL 1898, BOCQUET 1902, BLANCHE ANTOINETTE 1903, STEMLER, FRANÇOIS PINTON 1908, Marie HERMANT 1910, Eugène JUMIN 1911, Eugène LEBLANC 1913, DELODER 1914.

Après 1918, si la tradition se perd, c’est que le terrain disponible dans la capitale se fait rare et cher, et que les constructions collectives prennent le pas sur la propriété privée, comme en témoignent la Ceinture de Paris (boulevards des Maréchaux), et diverses cités ouvrières. Pour ce qui est de ces dernières, le mouvement avait été amorcé dans les années précédant la guerre.

Seul un monsieur MONJOL est honoré d’une plaque en 1925, suivi en 1932 d’une rue DU COUDREAU, mais cette dernière voie a été sacrifiée aux constructions de l’ère 1970-1980 … , ironie du sort ce DU COUDREAU était le seigneur du fief d’Aubervilliers au … XIIe siècle ! … sans quoi, la boucle eût été bouclée.

On remarquera que dans l’ensemble, les rues, villas, impasses, cités et passages perpétuant des noms de propriétaires sont des voies de peu d’importance, nombre d’entre elles étaient privées, la Ville de Paris ne prenant en charge, ni leur entretien ni leur éclairage, ni leur viabilité.

Il n’en sera pas de même des "acteurs" de la rubrique suivante, qui bénéficieront, eux, de voies importantes.

Être militaire

Si en 1844, l’impasse de JOINVILLE célèbre un des fils de Louis Philippe qui vient de ramener les cendres de Napoléon, il revient au Second Empire de célébrer les généraux des campagnes de l’Empire. Hommage du neveu à l’oncle.

Plusieurs d’entre eux sont liés à l’Histoire de Belleville et des Buttes-Chaumont qu’ils ont défendues contre les Alliés en 1814 : en 1864, les noms du Général COMPANS 1769-1845, du général CLAVEL 1783-1843, en 1868 ceux du général MEYNADIER 1778-1847, du colonel SECRETAN 1773- 1837, et du Contre-Amiral BASTE 1768- 1814, apparaissent sur nos plaques.

En 1865,le maréchal SERRURIER 1748-1819, le général PETIT 1772-1856 familier de Napoléon, présent aux Adieux de Fontainebleau, le général d’HAUTPOUL 1754-1807, tué à Eylau, le général CURIAL 1774-1829 les rejoignent suivis en 1867, du général LAUMIÈRE 1812-1863 tombé au combat durant la campagne au Mexique, en 1868 du général PICOT DE DAMPIERRE 1756-1793, successeur de Dumouriez, et du général BARBANEGRE 1772-1830 défenseur de Hunningen en 1815.

La période 1875-1914 voit s’ouvrir en 1875 la rue du lieutenant général LALLY TOLLENDAL 1702-1766, gouverneur des Indes, réhabilité, post-mortem, par Voltaire. En 1877, le général BRUNET 1803-1855, tué en Crimée, en 1892 le général MARCEAU 1769-1796, tué à Altenkirchen, et en 1894, le général LASSALLE 1775-1809, tué à Wagram, sont honorés d’une plaque de rue dans notre arrondissement.

Ouvert en 1864, le boulevard Général MAC DONALD 1765-1840, est prolongé en 1935 en direction du boulevard SERURIER. En 1945, la place du Combat prend le nom de Colonel FABIEN (Pierre GEORGE, 1919- 1944) héros de la résistance, tué au combat lors de la campagne d’Alsace.



Noms de pays étrangers
et d’anciennes colonies françaises

Ces attributions ont peu ou prou une raison événementielle autant que politique de figurer sur des plaques de rues, ce qui conduit à inscrire cette liste à la suite de l’énumération sus dite : y figurent faits, personnages et lieux qui relèvent de l’Histoire et de l’Économie, à des titres divers.

1838 impasse des ANGLAIS (en raison du voisinage d’une société anglaise de charbon).
1845-passage du MONTÉNÉGRO.
1847-impasse et place du MAROC.
1864-rue de TANGER.
rue de KABYLIE (la conquête de l’Algérie date de 1830).
passage de l’ISLY (même origine).
1865-passage de PUEBLA (victoire française lors de la Campagne du Mexique).
1868 - rue de CRIMÉE (Campagne de Crimée, 1854-1855).
1869 - rue du HAINAUT.
rue de PALESTINE.
1877 - rue de la MOUZAÏA (Gorges de la Mouzaïa, en Algérie, théâtre de violents affrontements en 1839 et 1840).
passage de l’ATLAS.
1930 - boulevard de l’ALGÉRIE.
rue de MAGENTA (victoire française sur les Autrichiens en 1859).
1933 - boulevard d’INDOCHINE.


À suivre…


Michel Brunet



Article mis en ligne en 2010 par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en janvier 2014.

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