La ville des gens : 30/septembre
Promenades à travers les rues du 19ème

L’usine à gaz de La Villette


Avant l’usage généralisé de l’électricité, le gaz constitue pendant plus d’un siècle la première source d’énergie pour l’éclairage et le chauffage.
La première commercialisation de l’éclairage au gaz de toute une artère fut réalisée en 1816 à Paris au passage des Panoramas, dans le 2e arrondissement.

Construites entre 1819 et 1836, les usines à gaz (Vaugirard, Ternes, Trudaine, Poissonnière, Villette, Ivry) représentent, tant en taille qu’en volume, l’emprise industrielle parisienne la plus importante. Exploités industriellement depuis 1819 à partir de l’usine Trudaine, les réseaux et canalisations des six sociétés gazières couvrent tout Paris dès 1836.

Les six compagnies fusionneront en 1856 avec l’appui du banquier Pereire qui leur prêta quinze millions de francs [1] pour constituer la Compagnie parisienne d’Éclairage et de Chauffage par le gaz. En 1906, à l’expiration de la concession de 50 ans liant la Ville de Paris à la Compagnie parisienne du Gaz, se crée la Société du Gaz de Paris remplacée en 1937 par la Compagnie du même nom.

Elle existe encore, alors qu’est votée le 8 avril 1946 la loi de nationalisation, confiant au Gaz de France, la production, le transport et la distribution du gaz à Paris.
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Construction d’un gazomètre télescopique de 225 000 m3. Mars 1934.



Une myriade de petits métiers

L’usine de La Villette, dont l’entrée principale se trouve boulevard Macdonald et rue d’ Aubervilliers [2] pour l’usine à goudrons, accueille des ouvriers venus de toutes les provinces françaises ; chacune pour des raisons historiques ou géographiques a sa spécialité.

Les chauffeurs de four sont bretons, les briqueteurs sont limousins, les ramoneurs savoyards, les maçons viennent de la Creuse.

Lorsque cette vague d’immigration provinciale se tarira, elle sera remplacée par des migrants venus du Maghreb. Il faut aussi imaginer, à côté des activités strictement liées à la production du gaz, la distillation du charbon, la réfrigération du gaz, l’épuration physique et chimique, le retraitement des sous-produits (goudron, ammoniaque, naphtaline, huile), le stockage et la livraison de ces produits, une myriade de petits métiers : les forgeurs, les attacheurs de sac de coke, les conducteurs de voitures à chevaux, les réparateurs de toutes sortes, etc.

Le métier est très dur, plus insalubre que dangereux. Peu d’ouvriers, en raison de l’absorption de gaz nocifs (et notamment de gaz carbonique) mais aussi du taux d’alcoolisme élevé, atteignent l’âge de la retraite. Les salaires sont faibles, mais une fois l’essai d’entrée effectué, l’ouvrier, titularisé ou conventionné, a une garantie d’emploi et la certitude d’une retraite qui permettra le retour au pays.



Une hiérarchie très rigide

Les tâches sont extrêmement hiérarchisées en fonction de l’ancienneté dans l’usine. La transgression de cette règle est synonyme d’arrêt de travail. Ainsi se côtoient des ouvriers très qualifiés (reconvertis après la crise de 1930) et des ouvriers très peu qualifiés, ce qui provoqua, en 1947 notamment, des conflits. Au sommet de cette pyramide ouvrière, le « milord », vêtu d’un tablier de cuir, nettoie les barillets de tôle dans lesquels le gaz abandonne une partie du goudron et des sels ammoniacaux qu’il contient.

La forte hiérarchie qui règne dans l’usine à tous les échelons (un ouvrier manquant ne peut être remplacé que par un ouvrier de rang équivalent) structure cette diversité. Il existe une solidarité « de corps » renforcée par un fort sentiment d’identité des gaziers. Comme les abattoirs, l’usine à gaz constitue donc un univers où se côtoient des façons de dire, de faire, de vivre fort différentes.

L’usine à gaz de La Villette s’éteint définitivement en 1956 ; en 1978, une entreprise de démolition investit le site de la station gazométrique désaffectée. La Ville de Paris reprend alors possession des terrains concédés à la Société du Gaz de Paris en 1856.

F.K.



Avenue Corentin Cariou
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Corentin Cariou au centre. Une avenue et une station de métro portent aujourd’hui le nom de ce militant fusillé par les nazis.


Les gaziers et leurs syndicats
  • 1891 : création de deux syndicats ouvriers : celui des allumeurs et celui des travailleurs du gaz regroupant des employés.
  • 1892 : création de l’Union syndicale des employés du gaz.
  • 1896 : création d’un comité d’entente entre les deux syndicats.
  • 1905 : le comité d’ entente forme la Fédération nationale de l’éclairage, rattachée à la CGT. Dès cette époque, les gaziers revendiquent un projet de service public et leur assimilation au statut du personnel de la Ville de Paris.
  • 1906 : accord de principe du Conseil municipal après trois jours de grève. C’est en fait l’aboutissement d’une bataille qui dure depuis sept ans. Louis Lagarrège, secrétaire du Syndicat ouvrier du gaz, membre du Conseil municipal, participa activement à cette lutte ; il était conseiller municipal de Paris représentant le quartier Pont de Flandre.
La Compagnie Parisienne du Gaz, née en 1856, aura le monopole de l’éclairage et du chauffage par le gaz de Paris durant cinquante ans.

L’usine à gaz de La Villette a été bâtie sur le plateau qui dominait le chemin de fer de ceinture et s’étendait jusqu’aux fortifications. Un embranchement spécial,. du chemin de fer du Nord y amenait à pied d’œuvre les charbons de Belgique et du Nord de la France. L’usine recevait encore ses charbons par le canal, au moyen d’un quai de débarquement construit à l’une des extrémités de ses vastes terrains.


Françoise Kersébet

(Extrait de : « Paris 19ème au-delà du miroir » édité par l’IFOREP).



Cariou Corentin Marie

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« Né le 12 décembre 1898 à Loctudy (Finistère) ; fusillé comme otage par l’armée allemande le 7 mars 1942 à Carlepont, près de Compiègne, (Oise) ; marié, père d’une fille ; aide de forge ; puis aide ajusteur à La Société du Gaz de Paris ; syndicaliste ; membre du Comité Central du Parti Communiste (1932-1936) ; conseillé municipal de Paris (1938-1940).

[…] Ouvrier au Gaz de Paris, il entra dans cette société, où travaillaient de nombreux bretons, comme aide de forge à l’usine de La Villette, le 13 novembre 1923. Il sera titularisé en 1925 et passera plus tard aide-ajusteur.
[…] Il adhéra à la CGTU et au Parti Communiste en 1923, sans doute sous l’influence conjuguée de son frère Jean, militant syndical, et du climat révolutionnaire qui régnait alors dans les usines du Gaz de Paris (grèves avec occupation en 1922, nouvelles grèves en 1923) […] Porte-drapeau communiste aux élections municipales de mai 1935, dans le quartier de La Villette (19ème arr.), il recueillit 2500 voix sur 10402 inscrits et 8754 votants, puis se désista en faveur du socialiste SFIO Georges Beaufumé qui fut élu. Il entra au Conseil Municipal de Paris comme représentant du quartier Pont-de-Flandre (19ème arr.) à l’occasion de l’élection partielle du 27 mars 1938 provoqué par la démission du communiste Jacques Grésa (élu député). Le conseil de préfecture le déchut de ce mandat le 21 janvier 1940 pour appartenance au Parti Communiste.

[…] Le 23 mars à Bourg-Lastic, il fut incorporé dans la 2ème « Compagnie Spéciale de travailleurs » créée dans ce camp d’internement (il retrouva notamment Lucien Sampaix). Il s’évada et gagna Lyon où il profita de la pagaille de la débâcle pour se faire démobiliser légalement. Il rejoignit alors sa femme et sa fille en Bretagne, puis retourna avec elles à Paris dans le 19ème où le Parti Communiste clandestin lui confia des responsabilités. « Un soir, dit sa fille Andrée, en se promenant dans le square de la Butte-Rouge, il s’est rendu compte qu’il était suivi. En rentrant il nous dit : “Je ne suis pas sûr, mais je pense avoir été repéré ; demain, je partirais”. La police tournait autour de trois familles du quartier : les Sampaix, les Michel et nous ». La Police était là le lendemain, 5 octobre 1940.

[…] Il était interné depuis le 9 février au camp de Compiègne lorsqu’à la suite de l’attentat commis le 1er mars 1942 contre une sentinelle allemande, Rue de Tanger, les autorités d’Occupation décidèrent de fusiller comme otages “vingt communistes et un juif” ; […] L’exécution de Cariou, de Pierre Rigaud et de Réchaussière (syndicaliste de la TCRP) eut lieu le 7 mars 1942, à midi, à Carlepont, dans une forêt près de Compiègne, au même endroit où Louis Thorez avait été fusillé le 21 février (une stèle a été posée). […] Une avenue du 19ème arrondissement et une station de métro porte le nom de Corentin Cariou, tout près de l’usine de La Villette où il avait travaillé. »


« Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » de R. Gaudy, J. Maitron et Cl. Pennetier - Éditions Ouvrières.


Article mis en ligne par Mr Antoine Seck, collaborateur à La Ville des Gens. Actualisé en septembre 2013.

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