La ville des gens : 24/mars
Mémoire de l’histoire populaire

Comment les Parisiens étaient ravitaillés en alimentation dans les années 1920-1985


Un foisonnement de petits commerces succursalistes de détail occupait tous les quartiers de Paris : Goulet-Turpin, Félix Potin, les Laiteries Parisiennes, Familistère, Radar et bien d’autres. C’était l’âge d’or du « succursalisme ». Après la seconde guerre mondiale, on appellera cette période : les « 30 glorieuses ».


Le commerce marchait à fond. Il y avait du travail dans toutes les corporations, nombreux ouvriers et employés bénéficiaient des « heures supplémentaires » rémunérées au double des heures normales. Le commerce était prospère.

Les logements étaient encore très difficiles à obtenir, les loyers assez chers du fait de leur rareté Le travail dans ces entreprises succursalistes alors était abondamment proposé dans les journaux et la publicité des magasines.

Ces succursalistes, alors à leur apogée, ouvraient de plus en plus de magasins et faisaient miroiter dans leur contrat : « vie de famille assurée, vous gérerez votre magasin en tant que Patron … »

Peu de formation était demandée aux solliciteurs, seulement 8 jours de stage dans leur entrepôt Lors de l’obtention du magasin, un logement était fourni gratuitement souvent attenant au commerce, l’état de cette habitation restait à voir, souvent : acceptable, mais plus souvent : minable. Pourtant, il n’y avait plus qu’à travailler.


Le prix des marchandises, dans ces commerces, était imposé par la direction et fixée par elle, suivant la superficie du magasin.

Malheureusement il arrivait quelquefois, qu’un gérant côtoyait une autre boutique de la même enseigne, plus importante, de ce fait, le prix de son paquet de café, par exemple était 30 ou 40 centimes plus cher que chez son voisin ayant la même direction. Quelques clients, non avertis, traitaient ainsi leur gérant de voleur.


L’emploi du temps s’établissait ainsi :

- 7h : ouverture du magasin, Avant l’ouverture, des portes ménage, préparation et mise en place

- En matinée, il fallait servir les clients, et faire leur compte sur une pauvre petite « additionneuse », les magasins n’étant pas encore agencés en libre-service.

Il faut dire qu’il y avait moins de variétés de produits que maintenant. Souvent intervenaient des coupures d’électricité et les additions se faisaient à la main, d’où la queue qui s’allongeait dans la boutique.

Entre temps réception et déballage des livraisons

- 13h : fermeture du magasin et réouverture à 16h, cette coupure souvent occupée par l’ approvisionnement des gondoles.

- 20h : fermeture. Ceci 6 jours sur 7, le dimanche matin, étant encore ouvert jusqu’à 13h.


La porte de ces supérettes devait être ouverte en toute saison, pour prouver aux clients, notre disponibilité. Pas de chauffage, l’hiver dans la boutique.

Comptez les heures… Je vous rappelle que la « vie de famille » était assurée, j’en suis moins sûre et heureusement que pour la plupart d’ entre nous, nos enfants étaient gardés par leurs grands parents.

Il faut dire que peu de gérants y finissaient leur carrière, sauf quelques privilégiés, qui par chance avait obtenu une supérette à un bon emplacement et qui ainsi bénéficiaient d’un salaire plutôt normal, les autres, gagnant difficilement leur vie, partaient assez rapidement.

Le salaire était établi ainsi : 6% du chiffres d’affaires attribués au mari nommé : gérant mandataire, rien pour la femme, qui n’était pas reconnue comme employée, mais devait signer quand même le contrat d’embauche, pour être responsable avec le mari en cas de déficit. Les couples devaient impérativement, être mariés légalement.

Le déficit apparaissait très souvent au résultat d’inventaire qui avait lieu, la première fois au bout de 1mois de présence et ensuite tous les 6 mois.

Nous avons fait partie de cette race de gérants.


Ayant eu un magasin intéressant dans le XVIIe, nous y sommes restés de 1965 à 1985. Notre supérette ayant une surface de 49m2, notre chiffre d’affaires : très honorable.

La direction m’accorda d’être déclarée à l’URSAF après maintes réclamations…

Le montant d’un SMIG était alors déduit du salaire de mon mari, et passait sur ma fiche de salaire et je repayais une deuxième fois les cotisations URSAF et autres….

Peu de gérants étaient aptes à suivre leur comptabilité, assez rébarbative, faite d’innombrables pointages sur des tas de documents de livraison, de facturation .de récapitulation…

…De plus, il faut signaler qu’une multitude de vols au préjudice des gérants, avaient lieu au moment des livraisons par des livreurs peu scrupuleux et avides, eux aussi d’augmenter leur maigre salaire.

Les déficits devaient être réglés très rapidement au siège, mais lorsque
un excédent ressortait au résultat d’inventaire, le montant était gardé en compte et déduit du résultat du prochain inventaire…des mois après.

En 1985 nos inspecteurs vinrent, un beau jour, nous rencontrer et avec un beau sourire, nous dire :

« Pendant 20 ans nous reconnaissons vous avoir exploités, aujourd’hui nous venons vous offrir une formidable affaire : achetez votre magasin, mettez vous à votre compte, vous pourrez, pour le même travail, gagner le double d’argent ».

L’offre fut refusée, la suite vous la connaissez, il ne reste pratiquement plus de ces boutiques rachetées pour la plupart par des gens d’Afrique du Nord car les super et hypermarchés montraient leur nez.


Jeannine Védovato
Paris 19ème - Mars 2012