La ville des gens : 26/mars

Bertrand Prévost

Créer l’espace de la rencontre et saisir quelque chose de la subjectivité ordinaire, tel est le projet de ces portraits conçus dans l’intimité des foyers du 19e arrondissement.

« Il y a des gens qui habitent quelque part, simplement parce qu’il faut bien habiter quelque part », et c’est tout. Bertrand Prévost, lui, a choisi de s’intéresser à ce qui se passe autour de lui et aux gens qui l’entourent.

Dans ce projet en apparence simple : rencontrer ses voisins et donner à voir ce qu’ils veulent bien montrer d’eux, il y a quelque chose de la résistance. « Il s’agit aussi d’une réaction à la vie que propose la société actuelle. Pour moi, ce sont des photos d’ouverture, quand je vis ce monde comme un monde de fermeture. »

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©Bertrand Prévost

L’urgence de prendre le temps

La démarche importe donc autant que le cliché final. Dans une ville de plus en plus cloisonnée, qui ne cesse de nous proposer clichés, stéréotypes et modèles, il faut « pendre le temps de s’intéresser à l’autre, de réussir à ce qu’il s’intéresse à ce que tu lui proposes ».

L’important ce n’est pas de chercher à capter une illusoire vision « objective » de la réalité, mais l’art de la rencontre. « Mon travail c’est un cheminement transversal à travers les diverses classes de la société, les personnes qui vivent bien, les pauvres. Lorsqu’il y a beaucoup d’échanges, c’est là où ça a un sens d’être dans la ville. »

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©Bertrand Prévost

« C’est ma façon à moi de voyager maintenant : je reste là où j’habite et le voyage se fait. Ce voyage inclut tout ce que j’ai réussi à voir, et y compris ce que je n’ai pas réussi à capter. C’est très subjectif. C’est comme une promenade en barque, avec plein d’odeurs et de points de vue différents. C’est une vision panoramique sur le monde qui m’entoure. »

La photographie n’a jamais dit la vérité de quoi que ce soit

« Les personnes que je photographie habitent dans le 19e, et pour beaucoup par choix, il y a donc obligatoirement des constantes. Mais à l’ère de l’Ikea généralisé, on peut apprendre des choses sur les gens mais plus difficilement sur l’endroit où ils habitent. Même si bien sûr, photographier des gens d’ici, ce n’est pas tout à fait comme photographier des gens ailleurs.

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©Bertrand Prévost

Un photographe qui a décidé de passer 6 mois dans une cité, va apprendre quelque chose sur cette cité, mais ce n’est pas mon travail, et d’ailleurs ça ne m’intéresse pas. Ma démarche se situe à la limite de l’information. Je ne cherche pas à produire beaucoup d’informations, je cherche à transmettre certains sentiments, certaines idées sur la manière dont les gens veulent se montrer.

Ce sont des photos d’intérieur, j’y tiens beaucoup. L’intérieur, c’est le reflet de ce que sont les gens. Chez eux, les gens sont plus à l’aise, ils se sentent plus protégés. Le chez soi c’est l’affirmation de son identité. Moi je retrouve l’authenticité de l’humain à travers cette forme du portrait.

A priori, je m’intéresse à tout le monde, même si bien évidement il y a des gens vers qui il m’est plus facile d’aller. Je m’intéresse plutôt aux gens que je trouve sympathiques. Je n’ai pas envie de me laisser emmerder par des gens qui de toute façon ont décidé de vivre contre les autres… Je lance des perches, et qui veut les prend.

Mon travail a un peu évolué en cours de route : au début, , je photographiais tous mes voisins de palier, maintenant je choisis davantage, je m’intéresse surtout aux personnes seules, les femmes seules, les hommes seuls, et moins aux familles. Cela induit aussi un questionnement sur le couple. »

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©Bertrand Prévost

L’image d’un moment

« Mes photos ne montrent jamais des modèles ou des stéréotypes, je suis à l’opposé de cette manière d’appréhender les choses. Les puissants, les gens célèbres je les contourne.

De nos jours, on ne fait que montrer des modèles. Nous vivons une époque ou les choses doivent être ultra affirmatives : on vend un produit parce que ce produit est telle ou telle chose. Or, l’individu est très complexe, on ne peut rien montrer en une image, qui n’est qu’un point de vue à un moment donné.

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©Bertrand Prévost

Moi je montre ce qui filtre de la personne au-delà de ce prisme commercial, ce qui s’en échappe : la subjectivité de la personne ordinaire.

Les gens que je photographie je les aime bien. Je ne fais pas de presse, je me nourris de la réalité, mais ce n’est pas universitaire.

La prise de vue ou l’anti-photo volée

Pour moi, la personne doit être la plus consciente possible de l’image qu’on est en train de faire, au moins au départ. C’est pourquoi je l’associe au cadrage, en faisant des essais au polaroïd. La conscience, c’est l’acquiescement, cela permet d’être le plus possible en confiance.

Une séance de portrait c’est une séance d’ouverture de portes. On prend le temps de visiter l’appartement, de choisir un endroit. C’est un moment où il semble ne pas se passer grand-chose, mais tout se joue là. C’est de l’ordre d’une bonne préparation physique pour un sportif.

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©Bertrand Prévost

Lors des premières photos, il y a un peu de tension. C’est difficile pour tout le monde : le photographe et la personne photographiée, il y a des enjeux intimes. J’essaie de saisir un moment où il y a une combinaison de relâchement et d’acceptation.

Je cherche à être le plus respectueux possible. Même si je ne demande pas de sourire, j’ai envie qu’au moment de la photo la personne soit le mieux possible - le mieux possible en elle, le mieux possible chez elle.

Il y a un cadre précis et au sein de ce cadre le plus de liberté possible. Je ne donne pour ainsi dire pas de consigne, si ce n’est de regarder l’appareil. Le seul critère, c’est que ce ne soit pas douloureux.

Les personnes sont d’accord pour donner quelque chose, elles ont fait un don, le don de leur image, le don de soi. C’est de l’anti-photo volée.

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©Bertrand Prévost

La personne qui accepte de se faire photographier a besoin de ce don et moi j’ai besoin de prendre. C’est une relation. C’est en cela que c’est humain : c’est un échange entre 2 personnes, et cet échange est restitué à la collectivité. »

Réussir à être quelqu’un parmi les autres

« La seule constante depuis le début des années 80, c’est mon travail personnel, avec des moments forts et d’autres épouvantables. Mais j’ai fini par trouver ma voie et, grâce à tout cela, à être quelqu’un parmi les autres. »

« Au niveau de l’inspiration, Diane Arbus
compte énormément pour moi. Ce que je trouve très émouvant, c’est la manière dont elle a fait son cheminement, montré qui elle était à travers ses photos. »

Arrivé à une certaine maturité dans son propre cheminement, l’artiste s’interroge aujourd’hui sur la place à donner à ses images : « J’ai montré mes photos trop jeune et on m’a cassé, depuis j’ai toujours été à la marge, parce que je m’y suis placé », la question du moment est : « Qu’est-ce que je fais avec les images que je fabrique ? »

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©Bertrand Prévost

Concernant les portraits d’habitants du 19e, un travail en cours depuis quelques années déjà, le but serait de faire un livre, mais le problème c’est le financement.

Quant à la question « Qu’est-ce que je fais avec les images que je fabrique ? », pas d’inquiétude, elle va faire son chemin. Pour nous, on sait déjà : on les savoure.


Propos recueillis par Clarisse Bouthier, mars 2007

Retrouvez Bertrand Prévost dans l’article
Cultiver son quartier

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