La ville des gens : 22/octobre
L’art et la nécessité

Au Bouffon Théâtre

Richard Arselin est metteur en scène et directeur du Bouffon Théâtre, dans lequel il accueille de jeunes troupes. Un quotidien fait de passion et de bricole.

Richard Arselin est un homme très occupé. Ce matin, il l’est particulièrement : il doit intercaler entre ses propres rendez-vous ceux de sa collègue absente.

Nous le rejoignons au café la Bicyclette [1] et l’interview commence, dans une ambiance agréable avec du jazz en musique de fond, et se poursuit dans la rue, jusqu’au théâtre où un autre rendez-vous l’attend…

« Le Bouffon théâtre existe depuis à peu près 20 ans. Lorsque je suis arrivé, il y a 10 ans, il portait déjà ce nom. Je pense que c’est lié à la programmation qu’il y avait alors, essentiellement des pièces de la Commedia dell’Arte.

Le nom rappelle celui d’autres théâtres célèbres : les Bouffes du Nord (qui n’est pas très loin) et les Bouffes Parisiens. Cela a probablement aidé à faire venir le public au début. »

Un public jeune pour du théâtre d’essai

« 
Le public vient de Paris et également de banlieue, il y a surtout des jeunes de moins de 26 ans alors que dans beaucoup de théâtres, les spectateurs sont des enfants ou des gens plus âgés.

Les gens viennent parce qu’il se passe quelque chose de vivant, c’est un rapport qu’ils ne trouvent pas devant leur écran de télévision.

Ces jeunes viennent au théâtre parce qu’on leur propose des créations de jeunes auteurs et metteurs en scène.
C’est du théâtre d’essai à 100 %, c’est-à-dire que nous laissons les planches à des jeunes qui créent, qui expérimentent toutes sortes de formes théâtrales. »

« 
Pour décider de la programmation au sein du théâtre, il n’y a pas vraiment de règles. Ce sont les troupes qui ont un coup de cœur pour le Bouffon Théâtre. Ce qui compte c’est la rencontre entre les gens.

J’ai très rarement refusé à des troupes de jouer au Bouffon Théâtre. Sauf si la pièce proposée ne correspond pas au lieu ou s’il n’y a pas eu de vrai travail avant, ou encore si c’est pour faire passer des idées douteuses (incitation à la haine, etc.).

Le Bouffon Théâtre accueille aussi des troupes amateurs qui jouent leur spectacle de fin d’année. »

De quelle manière êtes-vous impliqué dans la vie de quartier ?

« Lorsque je suis arrivé il y a 10 ans, j’ai organisé des cours pour les jeunes de la cité d’à côté. Ces ateliers ont fonctionné pendant 2 ans. Je le faisais gratuitement, ça me paraissait évident, et je pensais que ça l’était pour tout le monde.

Mais aucune aide financière n’a été apportée. La mairie nous a seulement proposé de faire des photocopies gratuites… J’ai fini par arrêter. Il faut bien payer son loyer !

Ici, la culture, n’est pas une priorité. Mais si nous avions proposé de faire un terrain de basket, nous aurions eu des subventions, ça ne fait pas de doute !

Néanmoins, la présence du théâtre participe à la vie du quartier. Il y a des lectures au café La Bicyclette et quand les gens sortent d’un spectacle ils vont boire un verre, c’est important. Je participe également à l’organisation des repas de quartier. »

Bricole, survie et passion

« La Compagnie monte des spectacles et part en tournée en Italie. Pour faire vivre le théâtre, la troupe voyage. Les pièces sont jouées en français en Italie. Pour un public francophone. Il y a 200 représentations à l’étranger. Sans subvention.

Aucune aide, 0 € de la part de la francophonie. Pour bénéficier de subventions de la francophonie, il faut faire une tournée dans 5 pays ! Mais il est impossible de monter des pièces dans autant de pays sans subvention…

Seuls les théâtres qui ont les moyens de monter ces pièces bénéficient donc de subventions. »

« Je fais ce métier depuis plus de 20 ans. Ce n’est pas un métier à faire si on veut devenir riche. J’aime le côté artisanal du théâtre, la “bricole”, fabriquer des rideaux, des décors, le voyage qu’on fait avec le public.

Le théâtre n’a aucune subvention et ne tire aucun bénéfice financier. Toutes les recettes vont dans les cachets et le loyer.

Mais faire du théâtre aujourd’hui, c’est une nécessité. Le théâtre ne changera rien au monde, mais il permet la rencontre entre les gens, il y a un échange avec le public, une histoire racontée, c’est charnel, organique, on écoute une œuvre.

Le public entre dans l’univers du créateur, son imaginaire est mis à disposition. Si le théâtre existe encore, c’est que le public y trouve quelque chose. »

Propos recueillis par Leila Hafed, juin 2006

Bouffon théâtre - 26/28 rue de Meaux - 75019 Paris - Métro Colonel Fabien/Jaurès

Retrouvez le Bouffon Théâtre dans :

Splendeurs et misères des gens de théâtre

Théâtre dans l’est parisien