La ville des gens : 2/juillet
Requiem pour Belleville

« Nous n’irons plus au bois les lauriers sont coupés »


Déjà en 1975, on pouvait parler de Requiem pour Belleville ! Christiane Rochefort, célèbre romancière, confiait au journal ELLE les cinq ans d’idylle qu’elle avait vécus à Belleville avant l’agression du béton qui l’en avait chassée pour de bon !… Cet article s’intitulait tout simplement Requiem pour Belleville.

JPEG - 79.9 ko« … Je cherche un vrai lieu. Où vivre. Je veux dire, vivre. Belleville est encore (1959) ce fouillis de petites maisons, allées-jardins, au flanc des collines. Voilà. C’est là. Je peux m’arrêter. C’est au rez-de-chaussée d’une maison Charles X à pâtisseries, offerte, paraît-il, à sa belle par un négociant en vins…

Mes pierres descendent dans le jardin, qui a une tonnelle. Dès que posée là, je m’assois à une table, j’écris. Sur fond d’arbres verts et de silence, au loin la rumeur de la ville toute adoucie…

Et puis un arrêté d’"intérêt public", signé du Préfet Andrieux : l’îlot, partiellement insalubre, sera rénové dans sa totalité…

On me décrit la splendeur du futur Belleville qui va s’élever, d’ailleurs il s’élève déjà, des sortes de choses grisâtres ornent le sommet de la Butte des En vierges : bloc de transit. Ils m’ont rattrapée…

Bon ! Je vais prendre mon piano, mes pierres, mes bouts de papier et ma table, et repartir, en quête de lieux qui gardent trace de la vie, et donc la transmettent…

Le nouveau Belleville est passéiste avant d’être fini. Et puis entre nous et sans vouloir faire de peine à personne, pourquoi est-ce que c’est si abominablement laid ?

Tout ce qui s’élève sur cette pauvre colline est hideux, monotone, sans idée, carré, sans harmonie, chaotique. Mort avant d’avoir vécu. Ma vieille maison délabrée aurait duré longtemps si on l’avait laissée vivre…

Dans mon allée, Villa Ottoz, un tas d’écrivains ont habité, dont Nizan. Peut-être que ça m’inspire. Ici, Henri IV a fait boire son cheval, pas bien loin on a arrêté Cartouche et Jean-Jacques Rousseau s’est cassé la figure. Les marches de la rue de Belleville au coin de la rue Piat garderont la trace de la naissance d’Edith Piaf, tant qu’elles seront là. Les Envierges viennent de perdre "Casque d’Or". Bye, bye ! Il ne faut pas être sentimental comme ça, il y a des choses plus importantes. Dites, on commence vraiment à se demander lesquelles…

L’œuvre de M. Thiers s’achève, enfin. Des barrières. Des grillages. Des palissades. Des clôtures. On ferme, on enferme. On exclut… »


Extrait d’un article de Christiane Rochefort paru dans ELLE au printemps 1975, illustré par des photos de Jean Mounicq.



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Pierre-Emmanuel Weck.

1993 : blocage du chantier par l’association Sauvons le bois de Belleville. Sur le terrain de l’ancienne villa Ottoz, où devait être prolongé le jardin de Belleville et où la mairie de Paris a finalement décidé de construire encore des immeubles. Photo : Pierre-Emmanuel Weck.



Article mis en ligne en décembre 2013.

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