La ville des gens : 1er/juin
Chronique musicale

Charles Simon Favart

(Paris, 1710- Belleville, 1792)
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Gravure de C.A. Littret d’après f.E. Liotard

À la hauteur du 112, Rue de Belleville s’élevait la maison où se retira Favart en 1777 et où il mourut en 1792.

Si Favart n’a pas été un compositeur de musique au sens propre, il a été l’inventeur d’un genre de spectacle musical spécifiquement français : l’opéra comique qui a nourri le répertoire lyrique durant plus de deux siècles : autrement dit, une action musicale, rondement conduite, obéissant aux canons en vigueur dans le domaine de l’opéra : ouverture, soli, duos, ensembles, divertissements, mais d’un caractère gai en général, ou sentimental ou grave quelquefois et dont l’originalité est de comporter des scènes parlées et des couplets chantés vaudevilles. Réputé léger, en opposition avec l’opéra séria, il a fait les beaux jours de la Salle Favart, l’actuel Opéra Comique par la grâce de Monsigny, Grétry, Philidor, Boïeldieu, Berlioz, Massenet, Chabrier, Gounod, Offenbach, Messager, Poulenc, Milhaud, Ravel, Ibert, Honegger, Jolivet, etc…


Petit historique de l’opéra comique

Le Régent rappelle en 1716 les Comédiens Italiens chassés par Louis XIV en 1687. Ils s’installent à la Foire où les théâtres ont acheté à l’Académie royale de musique (l’Opéra) le droit de représenter des ouvrages mêlant le chant et les paroles, à une époque où la toute puissante Comédie Française interdisait aux autres troupes de parler - restait le vaudeville.

Le futur Opéra Comique a donc été une façon spirituelle de tourner la loi. Un public populaire, bourgeois, mêlé de nobles se divertit à ce genre de spectacles tant à la Foire Saint-Germain, (Paris 6ème), qu’à la Foire Saint-Laurent, (Paris 10ème). Le tout jeune petit maître pâtissier, Favart, est du nombre. Garçon d’esprit, il a tôt fait de composer des vaudevilles qui vont le faire connaître. Vont suivre d’innombrables livrets qui lui vaudront de collaborer avec les meilleurs compositeurs du temps.

Il débute au théâtre des Marionnettes du Bienfait en 1732 à la Foire Saint-Germain avec Polichinelle, Comte de Paonfier, parodie de la comédie à la mode de Destouches Le Glorieux.

JPEG - 49.6 koSuivent des ouvrages à succès : La foire de Bezons avec Panard, Les Deux Jumelles, et en 1741, La chercheuse d’esprit, comédie tendre et patoisante, son premier triomphe ; il est "lancé".

En 1743, date importante pour l’histoire du théâtre, Jean Monnet obtient pour six ans le privilège de l’Opéra Comique. Le neveu de Rameau dirige l’orchestre, Boucher peint les décors, Noverre chorégraphie les divertissements, Favart écrit les livrets.

En 1745, Favart épouse Justine Du Ronceray, dite Mlle Chantilly, première danseuse du Roi de Pologne Stanislas, venue danser à la cour de Lunéville, Les vendanges de Tempé. Outre ses dons de danseuse, Justine Favart se révèle chanteuse de talent, comédienne accomplie (elle jouera L’épreuve de Marivaux), une femme d’esprit qui va concourir au succès de la troupe.


Mais le métier d’artiste peut être traversé de circonstances dramatiques : l’interdiction, en 1749, de l’Opéra Comique, contraint le couple à accepter les propositions du Maréchal de Saxe pour paraître sur son théâtre des Armées, ce qui ne va pas sans inconvénients pour Justine, l’homme de guerre manifestant à la comédienne un intérêt marqué qui la contraindra à la fuite. Retour à Paris en 1751 à la Comédie Italienne.

Justine Favart collabore avec son mari à la parodie du Devin du village de Jean-Jacques Rousseau en 1754 : Les amours de Bastien et Bastienne. Elle révolutionne le costume de théâtre en rejetant les robes à paniers, les rubans, falbalas et plumes pour apparaître en simple paysanne.

En 1758, Favart prend la direction de l’Opéra Comique à la Foire Saint Laurent. Devant la concurrence des troupes, la Comédie Italienne se joint à lui : en 1762 installation à l’Hôtel de Bourgogne qui vit la création au XVIIème siècle des oeuvres de Corneille, Rotrou, Racine.

1761, Les trois sultanes, exquise Turquerie restée longtemps au répertoire de la
Comédie Française. 1762, Annette et Lubin. Livret de Favart, musique de Romualdo Duni. 1765, La fée Urgèle.

Gravure de C.A. Littret d'après f.E. Liotard
L’ouvrage, joué devant la cour à Fontainebleau puis à Paris, est inspiré de Voltaire, lui-même de Dryden, Dryden de Chaucer, Chaucer de Boccace ! La spirituelle histoire de cette fée à transformations, Urgèle, a fait l’objet d’une brillante reprise à Paris et en province, en 1991. Voltaire écrira : "Ma foi, il n’y a plus que l’Opéra Comique qui soutienne la réputation de la France".

Suivent, en 1768, Les moissonneuses, musique de Duni, L’amant déguisé, musique de Philidor, en 1773, La belle Arsène, parodie de l’Iphignénie en Tauride de Gluck.

Favart, à qui Voltaire a dit : "Vous embellissez tout ce que vous touchez" est une figure singulière et emblématique du XVIIIème siècle qui vaut que l’on s’y attarde. Interprète accompli des modes et goûts de son temps, il traite, avec le même bonheur, sujets allégoriques, contes de fées, pastorales, comédies de genre, sujets exotiques, parodies, c’est dire la diversité de ses talents. À travers Favart se lit la vie souvent hasardeuse des comédiens de l’époque, de ceux qui n’appartenaient pas aux scènes officielles, soumis qu’ils étaient aux caprices des Grands, à l’arbitraire des ministres, à la faveur ou à la défaveur, aux interdictions qui pleuvaient sur eux, en butte aux lazzis d’un public peu policé, contraints à des tournées épuisantes et peu rentables.

Lorsque Favart se retire dans sa campagne de Belleville, la "Chercheuse d’esprit", l’adorable Justine est morte depuis 1772, à 45 ans. Ne lui reste que la ressource de "cultiver son jardin" et de se pencher avec attendrissement ou mélancolie sur les rêves qu’ils avaient offerts à tant de publics de Paris ou d’ailleurs…

Michel Brunet

Photo (1) et (3) : gravure de C.A. Littret d’après f.E. Liotard


Cet article est fondé, pour l’essentiel, sur le texte "La Fée Urgèle ou ce qui plaît aux dames", ses origines, ses créateurs, publié par Marie-Françoise Christout, en mars 1991, à l’occasion de la re-création de cet ouvrage de Favart.


Article mis en ligne en décembre 2013.

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